Tirs mortels de policiers à Paris : Neuf tirs et des questions sur la légitime défense des forces de l'ordre lors des contrôles routiers
SOCIETE Les récents tirs mortels de la police lors de refus d'obtempérer, comme ce week-end à Paris, mettent en lumière le cadre complexe de l'usage des armes par les fonctionnaires
- Trois policiers qui ont fait feu samedi dans le 18e arrondissement de la capitale lors d’un contrôle sur une voiture qui aurait foncé sur eux, tuant par balle une passagère et blessant grièvement le conducteur.
- Les agents sont ressortis libres de garde à vue, sans poursuite à ce stade. Tandis que l''agent qui a tué, fin avril, près du Pont-Neuf, deux hommes soupçonnés d’avoir redémarré précipitamment vers une patrouille, a lui été mis en examen pour « homicide volontaire ».
- Cette affaire, comme d’autres impliquant des policiers qui tirent sur des véhicules qui refusent d’obtempérer, a mis en lumière le cadre complexe de l’usage des armes par les fonctionnaires.
Samedi, à Paris, trois policiers ont tiré sur une voiture qui aurait foncé sur eux. Le conducteur, qui, selon les policiers, a refusé de s’arrêter pour se soumettre à un contrôle, a été grièvement blessé tandis que sa passagère, âgée de 21 ans, a été tuée. Le parquet de Paris a demandé l’ouverture ce mardi d’une information judiciaire afin de « retracer avec précision le déroulement des faits et de déterminer les circonstances exactes d’usage de leur arme par les policiers », a fait savoir la procureure, Laure Beccuau dans un communiqué. Une affaire qui, comme d’autres, met en lumière le cadre complexe de l’usage des armes par les fonctionnaires, modifié par une loi en 2017.
Que s’est-il passé ?
Les faits ont eu lieu samedi 4 juin, vers 11h, dans le 18e arrondissement de Paris. Trois policiers appartenant à la brigade territoriale de contact à VTT remarquent que la passagère arrière d’une Peugeot 207 grise ne porte pas sa ceinture de sécurité. Ils décident alors de contrôler le conducteur du véhicule. Mais ce dernier refuse « d’obtempérer à l’ordre de s’arrêter qui lui était donné », poursuit la procureure de la République de Paris. Les fonctionnaires poursuivent alors la voiture qui se retrouve bloquée dans la circulation boulevard Barbès. Dans leur rapport, consulté par 20 Minutes, les fonctionnaires expliquent s’être positionnés « à hauteur de la fenêtre côté conducteur et passager et devant le véhicule afin de figer la situation et de procéder à l’interpellation » du conducteur. Ils soulignent lui avoir demandé à plusieurs reprises de « couper le moteur et de sortir du véhicule ».
La version des policiers et des passagers de la voiture diffère ensuite. Les fonctionnaires affirment pour leur part avoir agi en état de légitime défense. Selon eux, le conducteur aurait redémarré « en trombe dans leur direction ». Ils n’auraient eu d’autres choix que de tirer dans sa direction à neuf reprises pour le stopper. La 207 grise poursuit malgré tout sa course jusqu’au croisement entre la rue Custine et la rue de Clignancourt, où il percute un autre véhicule. Le conducteur sort avant de s’effondrer au sol. L’homme de 38 ans a été touché au thorax et transporté à l’hôpital Georges Pompidou. Quant à sa passagère, elle a reçu une balle en pleine tête et décède le lendemain.
De son côté, Ibrahima, qui était à l’arrière du véhicule, a raconté sur RTL que le conducteur avait « avancé un peu » et ne « s’est pas arrêté » quand un policier le lui a ordonné. Quelques instants après, les agents les ont rattrapés. « Ils sont revenus à côté de nous et nous ont braqués directement », assure-t-il. « Sortez », « coupez le contact », « éteignez le moteur », leur auraient alors lancé les policiers. Mais son « ami n’a pas osé regarder du côté gauche, il a regardé du côté droit et a fait comme s’il ne les voyait pas ». « Je crois que c’est à ce moment-là que le flic a dû voir qu’il ne voulait pas le calculer ni sortir de la voiture, il a tiré directement, au moins dix coups de feu. » Il se demande pourquoi les policiers n’ont pas tiré « dans les pneus ou sur l’habitacle ».
Où en est l’enquête ?
Deux enquêtes de flagrance ont été ouvertes après les faits : l’une concerne les policiers, l’autre le conducteur de la voiture. Les trois policiers, deux hommes de 23 et 32 ans, et une femme de 31 ans, ont ainsi été placés samedi en garde à vue et entendus par les enquêteurs de l’IGPN. Ils sont ressortis libres ce mardi, sans poursuites à ce stade.
« Tout ce qu’ils ont dit est confirmé », affirme à 20 Minutes leur avocat, Laurent-Franck Lienard. « C’est un soulagement pour eux et pour tous les policiers, car la légitime défense semble avoir été, à ce stade, reconnue grâce aux éléments que l’IGPN a pu se procurer », indique Josias Claude, secrétaire départemental du syndicat Unité SGP Police-FO. « Nous avons soutenu nos collègues dès le début de cette affaire et nous continuerons jusqu’à son terme », insiste pour sa part Yvan Assioma, secrétaire régional d’Ile-de-France d’Alliance Police nationale.
L’autre enquête, confiée à la police judiciaire, concerne le conducteur du véhicule. Cet homme de 38 ans était au volant de la Peugeot 207 alors que son permis avait été annulé et qu’il était « sous l’empire d’un état alcoolique et après avoir fait usage de substances classées comme stupéfiants », indique la procureure de Paris. D’autre part, selon une source proche de l’enquête, il purgeait une peine et bénéficiait d’un aménagement en semi-liberté.
Que va-t-il se passer pour les policiers ?
« Quand un policier est concerné par ce genre d’affaires et qu’une enquête est ouverte par le juge d’instruction, ça peut prendre plusieurs années. C’est un temps durant lequel leur carrière est mise entre parenthèses », explique Josias Claude. En attendant les conclusions du magistrat instructeur, les policiers impliqués dans ce type d’affaire « peuvent ne plus avoir le droit de porter une arme » et être affectés dans un « service administratif ». C’est notamment le cas de l’agent qui est soupçonné d’avoir tué le conducteur et un passager d’une voiture qui aurait forcé un contrôle près du Pont Neuf, à Paris, fin avril. Il a été mis en examen pour « homicide volontaire ».
Quelles sont les règles pour utiliser leurs armes ?
Cette affaire, comme d’autres, met en lumière le cadre complexe de l’usage des armes par les fonctionnaires, modifié par une loi en 2017. Selon le code de la sécurité intérieure (CSI), les policiers et gendarmes sont autorisés à tirer en cas de refus d’obtempérer s’ils ne peuvent stopper la voiture autrement que par l’usage des armes et si, dans sa fuite, le conducteur est « susceptible de perpétrer (…) des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Les principes d'« absolue nécessité » et de « stricte proportionnalité », liés à la légitime défense, restent en vigueur.
Interrogé par Franceinfo, Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS juge cette loi « très problématique » car elle « explique la croissance considérable des tirs policiers, notamment dans les cas de refus d’obtempérer ».
Depuis 2017, le nombre de tirs sur des véhicules en mouvement a augmenté par rapport aux années précédentes, selon le dernier rapport de l'IGPN. Ainsi, 202 ouvertures du feu ont été recensées en 2017 contre 137 en 2016. Depuis trois ans, le recours à l’arme s’est stabilisé autour de 150 tirs annuels. Ces tirs constituent « toujours la majorité des tirs opérationnels (60 %) » des policiers, note l’IGPN, soulignant pourtant que le résultat de l’usage de l’arme à feu ne soit pas « toujours probant, les mis en cause parvenant, le plus souvent, à prendre la fuite ». Dans son rapport, la police des polices invite les agents à « viser le véhicule (pneu ou bloc-moteur) plutôt que le conducteur », afin de l’obliger à « dévier de sa trajectoire ». A noter que, selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, il y a un refus d'obtempérer toute les 30 minutes en France.
Comme le rappelle La Croix, la France avait même été condamnée, en 2018, par la CEDH (Cour européenne des droits de l’Homme) après qu’un gendarme avait tué le passager d’un véhicule. « Au vu de l’absence d’urgence à arrêter le véhicule, l’usage d’une arme à feu par le gendarme n’était pas absolument nécessaire pour procéder à une arrestation régulière. »