Lyon : Quelle est la responsabilité de la mairie écologiste dans l’actuel « état d’urgence » ressenti par la police ?
VIOLENCES La nouvelle fusillade, qui a eu lieu le week-end dernier dans le quartier de la Duchère, symbolise « l’inquiétante aggravation des faits de violences » dans la métropole de Lyon depuis quelques mois
- Selon un récent palmarès de la délinquance en France, dévoilé par Le Figaro, Lyon a vu ses vols violents totaux et ses vols avec armes augmenter de plus de 25 % entre 2017 et 2021.
- La fusillade qui a fait trois blessés, le week-end dernier dans le quartier de la Duchère, illustre cette escalade de la violence, que ce soit dans le 8e et le 9e arrondissement, mais aussi à la Guillotière.
- L'équipe de Grégory Doucet est systématiquement taclée par Gérard Collomb et d'autres opposants sur le sujet. 20 Minutes s’interroge sur la responsabilité de la mairie écologiste quant à cette insécurité croissante, deux ans après leur arrivée à la tête de la ville.
La fusillade ayant eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche dernier à la Duchère (Lyon 9e) n’a étrangement pas traumatisé tout le quartier. « Aucun habitant ne m’en a encore parlé, assure un acteur local de la Duch'. Sans les médias, je ne serais au courant de rien. J’ai travaillé 10 ans en Seine-Saint-Denis et croyez-moi, entre sa belle rénovation et sa mixité sociale, la Duchère est un quartier tranquille par rapport à ce que j’ai pu connaître. » Le barbecue auquel participaient trois hommes dans un square a tout de même tourné au règlement de compte, puisqu’ils ont reçu une dizaine de tirs de kalachnikov. L’un d’eux reste dans un état critique, après avoir été touché au thorax.
Il s’agit du troisième épisode de violence extrême dans ce quartier sensible de Lyon sur les six derniers mois, marqués par des attaques à l’arme à feu contre des policiers de la brigade anticriminalité (BAC), puis à l’encontre de cinq jeunes de 15 à 17 ans. Il convient d’ajouter qu’une jeune femme de 22 ans a elle aussi reçu samedi une balle dans l’aine en pleine rue, dans le 8e arrondissement de Lyon, avec une enquête ouverte pour homicide volontaire. Une de plus qui pousse 20 Minutes à tenter de comprendre à quel point l’insécurité a grimpé à Lyon depuis quelques mois, bien au-delà des rodéos sauvages en centre-ville et des violences urbaines, comme cela a encore été le cas jeudi soir à la Duchère.
« Une guerre de territoires » à la Duchère ?
« L’ensemble de la France ne subit pas actuellement une telle augmentation des faits de violences aux personnes que ce qu’on peut constater sur l’agglomération lyonnaise, annonce Sébastien Gendraud, secrétaire départemental adjoint du syndicat Unité SGP Police du Rhône. La présence d’armes de guerre montre à quel point la situation est plus sensible que jamais dans certains quartiers. A la Duchère, on a affaire à une guerre de territoires entre clans sur fond de trafic de stupéfiants. Les politiques parlent tout le temps du sentiment d’insécurité de la population, mais à Lyon, ce n’est pas qu’un sentiment aujourd’hui. »
Délégué syndical FO de la police municipale de Lyon, Bertrand partage cet état des lieux : « Depuis la fin des confinements, on perçoit une énorme et très inquiétante aggravation des faits de violences, tant dans le nombre que dans l’intensité. Dans un cas comme la Duchère, ça peut s’expliquer par un durcissement des compétitions territoriales, et l’arrivée de nouveaux résidents qui ne se plient pas à une omerta de quartier. » Maire de Lyon durant près de 20 ans, Gérard Collomb multiplie les mises en cause de la mairie EELV : « J’ai mal à ma ville qui devient la ville de l’insécurité », « quand la mairie réagira-t-elle ? »...
Une hausse de plus de 25 % des vols avec armes en quatre ans
« Ces faits de violences dans l’actualité peuvent même à quelques endroits se banaliser, c’est ce qui devient dramatique », complète Yann Cucherat, président du groupe Pour Lyon et conseiller d’opposition proche de Gérard Collomb. Concrètement, dans le palmarès de la délinquance en France, dévoilé en mars par Le Figaro et effectué sur une moyenne par an pour 10.000 habitants, Lyon a vu ses vols violents totaux et ses vols avec armes augmenter de plus de 25 % (une hausse record dans le Top 20) entre 2017 et 2021. La ville se classe dans ces deux catégories à la 7e place nationale.
Finalement, quels sont les reproches faits par l’opposition aux équipes de Grégory Doucet, face à cette escalade de délinquance pointée par les forces de police en place ? « Ça ne serait pas honnête de notre part d’affirmer que ces problèmes d’insécurité n’existent que depuis deux ans, indique au préalable Yann Cucherat, battu au second tour des municipales en 2020 par le candidat EELV. Ce qui est inquiétant, c’est qu’on n’a pas le sentiment aujourd’hui que toutes les actions sont déployées pour essayer de contrecarrer ces phénomènes. La mairie a une vraie part de responsabilité sur sa non-réponse et sa non-action. Le travail de fond au quotidien qu’effectuaient sur le terrain Gérard Collomb et toute son équipe n’est pas fait aujourd’hui. » Un reproche que réfute Mohamed Chihi, adjoint à la Sécurité à la ville de Lyon.
Il n’y avait pas moins de situations de violences de ce type sous la responsabilité de M.Collomb. Rajouter de la polémique à l’inquiétude ne réglera rien. Nous ne restons pas inactifs. La ville agit au quotidien pour enrayer ce phénomène qui dure depuis trop longtemps, au travers des actions de la police municipale et au travers d’échanges d’informations avec les services de l’Etat, grâce notamment à la vidéosurveillance qui était présente sur le site de la Duchère le week-end dernier. »
La place Gabriel Péri tristement connue jusqu’en Allemagne
La mairie écologiste indique ainsi s’appuyer sur 571 caméras fixes dans toute la ville, dont une soixantaine à la Duchère, plus « des caméras nomades » pour des problématiques ponctuelles. L’autre quartier lyonnais cristallisant depuis de longs mois cette insécurité en hausse est celui de la Guillotière (3e et 7e arrondissements). Fin janvier puis en mars, des hommes ont là aussi été gravement blessés par arme à feu.
Si bien qu’avant l’élection présidentielle française, le délégué syndical FO de la police municipale Bertrand s’est retrouvé interviewé par la chaîne de télévision allemande ZDF, qui a tenu à tourner sa thématique autour de la sécurité entre les quartiers nord de Marseille et la place Gabriel Péri de la Guillotière. « Il y avait une délinquance très installée, avec surtout des stupéfiants, qu’on pouvait réguler, détaille le policier municipal, sur le terrain depuis 13 ans dans l’agglomération lyonnaise. Mais là, il y a eu une arrivée massive de sans papiers à la Guill', et avec eux une nouvelle délinquance tend à se déporter vers le quartier des Etats-Unis (Lyon 8e). Cela s’annonce encore plus problématique car on a moins d’effectifs là-bas. »
Une brigade spécialisée de terrain a vu le jour à la Guillotière en février
Concernant les alentours de la place Gabriel Péri, pour lesquels l’association la Guillotière en colère ne cesse de fustiger l’exécutif EELV, Yann Cucherat livre là aussi un regard critique : « La mairie a selon moi envoyé des signaux faibles en envisageant de légaliser le marché clandestin de la Guillotière. Les délinquants entendent ces signaux faibles et ils s’engouffrent dedans. Il n’y a pas eu ce discours de fermeté nécessaire dès le départ ». Mohamed Chihi maintient qu’il s’agit « d’une problématique très ancienne » concernant les violences autour de Gabriel Péri. « La situation est cyclique sur cette place, et les confinements et restrictions sanitaires ont fortement impacté la présence sur cet espace public, estime l’élu écologiste. Depuis notre arrivée, notre plan d’action est de développer des politiques d’aménagement et d’urbanisme, de solidarité et d’accompagnement social, pour repenser ce quartier dans un sens global. »
Une orientation qui pousse le policier Sébastien Gendraud à ironiser : « Il faut un réaménagement de l’espace urbain dans ce quartier, mais ce n’est pas avec trois pots de fleurs que la situation va s’améliorer ». Créée en février par le préfet du Rhône Pascal Mailhos, la brigade spécialisée de terrain (BST), avec d’ici septembre 31 agents uniquement dédiés à la Guillotière et à la Part-Dieu, a dans ce sens « une action absolument nécessaire » (dixit Mohamed Chihi).
« Nous avons besoin d’une politique de sécurité forte »
Surtout que les policiers municipaux et nationaux ne cessent de faire remonter leurs « effectifs insuffisants ». Il manquerait au minimum, selon eux, respectivement 120 et 250 policiers « pour correspondre aux préconisations ». « Il y a une crise de vocation dans la police et nous sommes livrés à nous-mêmes, dans l’impossibilité d’assurer des patrouilles en nombre suffisant », regrette Bertrand. Si bien que les policiers municipaux lyonnais en sont venus à une manifestation d’envergure, le 1er mars devant l’hôtel de ville, « avec plus de 50 % de grévistes ». « Les élus actuels nous écoutent mais ils ne nous entendent pas », soupire le délégué syndical FO, avant de poursuivre.
La stratégie avec beaucoup de prévention des élus EELV est ambitieuse et elle peut porter ses fruits à long terme. Mais nous sommes des urgentistes de la voie publique. Et là, la situation s’annonce de plus en plus explosive sur Lyon. Nous avons besoin qu’une orientation vers une politique de sécurité forte soit prise. »
Un reproche dont se défend fermement Mohamed Chihi, qui espère d’ici la fin d’année une nouvelle unité de 28 agents de proximité : « Notre action est caricaturée par certains de nos opposants mais il n’est pas question pour nous de négliger la répression. Celle-ci est la seule réponse à apporter sur certains phénomènes. Notre volonté est de nous inscrire à la fois sur la prévention, la répression, et la prévention de la récidive ».
« On sent un malaise profond » entre le maire et le préfet
L’exécutif écologiste affirme aussi « se donner pour objectif d’augmenter de 20 % les effectifs de sa police municipale d’ici la fin du mandat en 2026, soit plus de 60 postes de policiers ouverts au recrutement ». C’est autour de cette problématique que le préfet du Rhône a adressé le 4 mars une lettre à Grégory Doucet. « Il est essentiel que l’effort que vous déployez pour renforcer votre police municipale se concrétise effectivement sur le terrain », y insistait Pascal Mailhos. Depuis, l’épisode des heurts à la Croix-Rousse et surtout à la mairie du 1er arrondissement, le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle, a été suivi d'une passe d’armes dans la presse entre les deux hommes, concernant le délais d’intervention ce soir-là de la police nationale.
« On sent un malaise profond pour en arriver à un dialogue par presse interposée, regrette Yann Cucherat. Les relations que nous entretenions avec la police nationale et la préfecture étaient collégiales, avec un dialogue permanent. C’était un vrai savoir-faire lyonnais qui ne se fait plus aujourd’hui. » Mohamed Chihi tient tout de même à souligner « la qualité du partenariat au quotidien avec la préfecture ». Pareille osmose ne serait pas de trop pour tenter de freiner au mieux « l’état d’urgence » que ressentent les forces de l’ordre à Lyon.