L'artiste Molecule a enregistré les bruits du phare « maudit » de Tévennec
MUSIQUE AU LARGE Le musicien électro Molécule a passé plusieurs jours au large de la pointe sud du Finistère pour capter les sons de la mer, du vent… Et des esprits
- L’artiste de musique électronique Molécule a passé cinq jours sur le phare de Tévennec (Finistère) pour y enregistrer un album conceptuel.
- A l’abandon pendant plus de cent ans, la maison phare avait retrouvé la vie il y a cinq ans quand un passionné avait passé soixante jours seul sur le rocher.
- Les deux hommes ont pu partager les étranges sons émis par la mer, le vent et sans doute par la faille située sous les rochers.
Beaucoup auraient rêvé de vivre la même expérience. Cinq jours sur une île bretonne au milieu d’une tempête de fin de printemps où la houle vient s’écraser sur les rochers. Le vent qui siffle dans les oreilles et les embruns salés qui viennent vous gifler le visage. Puis soudain, la porte du phare qui se ferme et le calme revient. Romain Delahaye fait partie des très rares privilégiés qui ont pu passer une nuit sur le phare de Tévennec.
Situé au large de la pointe sud du Finistère, ce caillou est une véritable anomalie dans le paysage des phares français puisqu’il a été construit comme une maison et non pas comme les tours d’Ar-Men ou des Pierres Noires qui dominent l’océan. Pendant 35 ans, la maison a vu les gardiens se succéder et bon nombre devenir fous, hantés par les mystérieux bruits qui résonnaient sur le rocher. Ce sont précisément ces sons que Romain Delahaye était venu chercher pour concevoir son album Tévennec sorti le 18 février en édition limitée à 500 vinyles.
Celui qui se fait appeler Molécule lorsqu’il monte sur scène est un DJ bien connu sur la scène française. Après avoir débuté par des sons dub et reggae, l’artiste de musique électronique s’est fait happer par les sons de la mer. Il a d’abord enregistré l’album 60° 43' Nord à bord d’un chalutier de pêche basé à Saint-Malo avant de migrer vers le Groenland pour un séjour polaire puis de sonder les vagues mythiques de Nazaré, au Portugal.
L’an dernier, c’est au large d’une Bretagne qu’il connaît très bien qu’il s’est aventuré. « J’aime bien découvrir la nature dans son élément, m’immerger », explique l’artiste. A Tévennec, il aura été servi. Hélitreuillé en mai au milieu de creux de cinq à six mètres, Molécule a passé cinq jours dans le phare en compagnie de Marc Pointud. Ce passionné de patrimoine a été le premier à dormir à Tévennec depuis l’automatisation du phare en 1910. Il y a séjourné deux mois en solitaire. « C’est un endroit extraordinaire. C’est difficile d’y aller et d’en revenir. Mais une fois qu’on y est, c’est le paradis sur mer », expliquait-il après son séjour en 2016.
Pour sa résidence en mer, Romain Delahaye avait apporté son duvet, sa brosse à dents mais aussi quantité d’instruments de musique qu’ils affectionnent. Branchés toute la nuit, les vieux synthétiseurs modulaires ont capté les sons de la mer et du vent mais aussi les oscillations des champs magnétiques. Alors, maudit ou pas maudit ? « Je ne crois pas aux esprits, ni aux fantômes. Mais j’aime être respectueux des lieux. J’ai ressenti Tévennec comme quelque chose de sacré. Un peu comme quand on rentre dans une église. Ça me faisait penser à un lieu de passage entre le monde des morts et celui des vivants », explique Molécule.
Pendant les trente-cinq ans où il a été contrôlé par des hommes, le phare de Tévennec a vu passer 23 gardiens. Bon nombre d’entre eux ont perdu la boule en entendant des bruits étranges qu’ils attribuaient à l’Ankou, symbole de la mort en Bretagne. Des recherches avaient permis d’établir que c’est sans doute le bruit de l’eau s’engouffrant dans une faille située sous les rochers qui avait créé ce mythe. « C’est un lieu étrange. On est immobile mais on a toujours l’impression que ça bouge en permanence, comme une étrave qui briserait la mer », raconte l’artiste.
De cette résidence est ressorti un album très conceptuel. Sur les deux faces du vinyle, seuls deux morceaux sont véritablement structurés. Le reste s’apparente plutôt à un concept expérimental mêlant le vent, la houle et de mystiques vibrations. Ce vinyle permettra-t-il de faire la lumière sur l’état dégradé de ce phare ? Ce ne serait pas un luxe tant la maison perchée à 17 mètres au-dessus de la mer a souffert. « Les boiseries, les murs, les peintures et surtout la toiture… Tout est très dégradé. Il suinte, il est en train de décrépir », regrette Romain Delahaye. L’artiste et son hôte ont d’ailleurs dû dormir dans des tentes installées à l’étage, au milieu de milliers de cloportes. La carte postale en prend un coup. Propriété des Phares et Balises, Tévennec devrait être rénové comme l’avait promis l’État. La question est de savoir quand.
Bientôt un film sur le Vendée Globe de Thomas Ruyant
Grand amateur de navigation, Molécule a fait la rencontre du skipper de Dunkerque Thomas Ruyant, que 20 Minutes suit depuis plusieurs années. Il a même reçu l’autorisation d’installer 13 caméras à bord du foiler LinkedOut sur le dernier Vendée Globe. Un film de 75 minutes retraçant cet incroyable tour du monde en solitaire devrait sortir au cinéma d’ici la fin de l’année.