« Un monde » : Pourquoi les frères et sœurs des élèves victimes de harcèlement scolaire souffrent par ricochet

EDUCATION Ce sujet est au cœur du film belge « Un monde » de Laura Wandel, qui sort ce mercredi 26 janvier

Delphine Bancaud
Lorsqu'ils sont dans la même école, la victime du harcèlement, son frère ou sa soeur souffrent de ces violences, même si c'est différemment.
Lorsqu'ils sont dans la même école, la victime du harcèlement, son frère ou sa soeur souffrent de ces violences, même si c'est différemment. — Pixabay
  • Le film Un monde, de Laura Wandel, qui sort ce mercredi 26 janvier, met en scène Nora, une élève de primaire témoin des agressions multiples que subit son grand frère Abel.
  • Un long-métrage qui lève le voile sur les répercussions psychologiques du harcèlement scolaire pour ses victimes comme pour leur fratrie.
  • Or, les parents et les équipes éducatives passent souvent à côté de la douleur des frères et sœurs.

Le harcèlement scolaire ne détruit pas seulement les élèves qui en sont victimes, il fait aussi souffrir leurs frères et leurs sœurs par ricochet. C’est la thématique qu’aborde le film belge   Un monde , de Laura Wandel, qui sort ce mercredi 26 janvier et va beaucoup faire parler. Il met en scène Nora, une élève de primaire témoin des agressions multiples que subit son grand frère Abel.

Plus le film avance, plus une réalité se fait jour : les frères et sœurs sont des victimes collatérales du harcèlement scolaire et sont encore trop peu prises en compte : « Ce n’est pas ancré dans l’esprit des parents qu’en cas de harcèlement d’un enfant, il faut s’intéresser à la fratrie. A l’école aussi leur souffrance est aussi mise de côté, car on se concentre sur la victime directe », explique Nicole Catheline, pédopsychiatre au Centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers. « Or, voir son frère ou sa sœur souffrir est très perturbant, car bien souvent, on s’identifie à lui. Cela peut générer un sentiment d’insécurité à l’école, voire des difficultés scolaires », explique Marie Quartier *, responsable du Réseau Orfeee, dédié au traitement des souffrances scolaires.

« Ne dis rien à papa, ça ne ferait qu’empirer les choses »

Plus ils sont proches, plus les frères et sœurs vont être réceptifs à ce que vit la victime. Parfois, cette unité familiale peut être une arme face aux agresseurs. « En cassant la solitude de la victime, le frère ou la sœur peuvent inverser le rapport de force et éviter qu’un groupe se coalise », note Marie Quartier. Mais force est de constater que la fratrie n’a pas toujours les moyens d’intervenir et se trouve parfois réduite au statut de témoin pétrifié. « Un enfant qui intervient seul face à un groupe peut prendre des mauvais coups, devenir une victime lui-même. Il ne faut pas agir sans l’aide d’un adulte », recommande Nicole Catheline.

Dans le film, Nora voit les harceleurs plonger la tête de son frère dans la cuvette des toilettes. Une scène insoutenable. Mais elle ne dit rien aux adultes dans un premier temps, car son frère l’a enjointe de garder le silence. « Ne dis rien à papa, ça ne ferait qu’empirer les choses », souffle-t-il. Une attitude assez fréquente, selon Marie Quartier : « Les victimes craignent souvent que les adultes n’interviennent de façon maladroite, en ne ciblant qu’un ou deux agresseurs, alors que le harcèlement scolaire est un phénomène de groupe. Pour agir, il faut casser la dynamique collective du groupe maltraitant ».

« Un sentiment d’impuissance et de culpabilité »

Si le frère ou la sœur respecte cette consigne de silence, ce n’est pas sans mal. « Le fait d’assister à des agressions sans pouvoir agir génère un sentiment d’impuissance et de culpabilité qui peut rendre malade », souligne Nicole Catheline. De plus, il existe un vrai conflit de loyauté : faut-il parler et donc rompre la promesse que l’on a faite à son frère ou à sa sœur ? Ou se taire, en risquant des reproches a posteriori des parents ?

Bien souvent, quand le harcèlement scolaire prend de plus en plus d’ampleur, les frères et sœurs qui en sont témoins finissent par cracher le morceau aux parents. C’est le cas dans Un monde, où Nora lâche l’information à son père lorsque ce que vit son frère devient insoutenable. « Les enfants parlent lorsqu’ils sont conscients que cela va trop loin. Et que c’est même parfois une question de survie », analyse Nicole Catheline. « Mais ce rôle de lanceur d’alerte fait peser sur eux une responsabilité lourde à assumer », commente Marie Quartier.

Des sentiments parfois ambivalents

Lorsque la fratrie est dans le même établissement, il arrive aussi que le frère ou la sœur qui voit son proche harcelé éprouve des sentiments ambivalents à son égard. Ce que montre très bien le film Un monde, où Nora assiste aux railleries de ses camarades concernant son frère, ce qui l’empêche d’être insouciante, de vivre pleinement sa vie d’enfant. « Tu ne sais pas te défendre », finit-elle par lui reprocher. « Certains enfants s’enferment dans leur bulle pour limiter les répercussions de la situation sur eux. Ils ne veulent pas perdre leurs amis parce que leur frère ou leur sœur est un bouc émissaire », observe Marie Quartier. « Ils ne veulent pas être encombrés de cette sœur ou de ce frère harcelé. Ils ont aussi l’impression que ce dernier leur vole l’attention des parents avec ces problèmes. Ce qui peut les conduire à développer des troubles du comportement pour attirer l’attention », ajoute Nicole Catheline.

Des émotions complexes que les frères et les sœurs taisent souvent, quitte à en subir les conséquences psychologiques longtemps. Reste l’espoir que ce film génère une prise de conscience sur ces victimes collatérales chez les adultes à la maison comme à l’école. « Lorsqu’une fratrie est dans le même établissement, il faudrait que les équipes éducatives offrent un temps d’écoute à tous les frères et sœurs de victimes, pour qu’ils puissent faire part de leur ressenti et être rassurés sur la capacité de l’école à gérer le problème », estime notamment Nicole Catheline.

* Nicole Catheline est autrice de Enseignants et élèves en souffrance, éditions ESF, 2019, 23 euros, et de Le harcèlement scolaire, Que sais-je ?, 2018, 9 euros.

* Marie Quartier est coautrice avec Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette de Harcèlement scolaire : le vaincre, c’est possible, ESF, 2021, 23 euros.