Permis de conduire : « J’ai déjà du mal à finir les fins de mois », « En ville, la voiture est peu utile »… Pourquoi de plus en plus de jeunes ne l’ont pas
AUTOMOBILE La désaffection de certains jeunes pour le permis est notable depuis une dizaine d’années
- De plus en plus de jeunes de moins de 30 ans ne ressentent pas d’urgence à passer le permis de conduire.
- En cause : son prix onéreux, des préoccupations écolos, le manque de temps, la peur de la route.
- Mais ce « non » au Saint-Graal ne sera peut-être pas définitif, car lorsqu’ils ont un enfant, les Français ressentent souvent la nécessité de savoir conduire.
Il était symbole d’autonomie et de passage à la vie adulte. Mais le permis de conduire l’est beaucoup moins. En 2019, 726.000 jeunes de moins de 30 ans ont obtenu le fameux sésame, contre 766.000 en 2017, selon le dernier bilan du ministère de l'Intérieur. « La tendance à la baisse est perceptible depuis au moins dix ans. Dans les années 1960-1970, à 18 ans et un jour, on devait être au volant. Le permis comme rite de passage a perdu de sa superbe », observe Jean-Pascal Assailly, psychologue et expert auprès du Conseil national de la sécurité routière (CNSR).
Si les jeunes sont moins enclins à passer illico presto leur permis dès leur majorité, c’est bien souvent par ce qu’ils ne le peuvent pas financièrement. « Il faut se souvenir que 13 % des jeunes vivent en dessous du seuil de pauvreté, et que les aides des collectivités territoriales pour financer le permis ne sont pas très répandues », souligne le psychologue. Un frein dont témoignent nos lecteurs de moins de 30 ans comme Tiffany, jeune maman de 28 ans qui touche 1.200 euros de revenus mensuels : « A 50 euros l’heure de conduite, le permis B revient au minimum à 1.800 euros. Il m’est donc impossible de le passer sans fortement m’endetter. Sans compter qu’il faudra ensuite m’acheter une voiture et l’assurer correctement ». Marjorie, 28 ans, ne peut pas non plus accéder au statut de conductrice : « J’ai déjà du mal à finir les fins de mois, ce n’est pas pour ajouter le permis. Et une voiture, c’est un gouffre financier, donc à quoi bon ? ». De son côté, Vivien a fait ses comptes : « Coût de la voiture, éventuelles réparations, assurance, carburant… En dix ans, j’ai dû économiser pas loin de 10.000 euros rien que dans l’assurance, sans compter le prix du carburant que j’aurais dépensé. Cette somme, je préfère la mettre dans une future maison que de la laisser partir en fumée », déclare-t-il.
« Avoir une voiture serait même un handicap en ville »
Et même lorsqu’ils peuvent se payer une auto-école, certains boudent le permis car ils n’y voient pas d’intérêt. « La majorité des jeunes ruraux partent en ville à partir du lycée. En milieu urbain, la voiture est devenue une source d’ennuis, avec les problèmes de stationnement, les bouchons, les points de permis perdus. Et les politiques municipales qui tentent de chasser la voiture finissent par convaincre les jeunes qu’il ne faut pas en avoir », analyse Jean-Pascal Assailly. C’est le cas de Lola, 31 ans : « J’ai le sentiment d’avoir tout ce qu’il me faut en Île-de-France en termes de mobilité. En plus, mon employeur paye la moitié de mon pass Navigo, j’ai aussi des chèques-vacances pour régler avion et train. Et je possède une trottinette électrique ».
« Quand on habite une grande ville, la voiture est peu pratique, terriblement lente et très chère », résume Marie. Lila, 30 ans, arrive au même constat : « Je suis citadine, je vais au travail à pied, en trottinette ou en tramway. Avoir une voiture serait même un handicap en ville. Les vacances ? Je ne pars jamais seule. Les courses ? Un chariot à roulettes fait très bien l’affaire. Je me sens indépendante en tant que piéton, pas besoin de voiture pour exister ! ». Plus étonnant, certains jeunes qui habitent dans des villages ou de petites villes tiennent le même discours. Comme Alexia, maman de 30 ans : « J’habite dans un petit village, loin de toute commodité. Je continue à prendre les transports en commun. C’est juste une question d’organisation. Pour aller faire les courses, je dépends toujours de quelqu’un et je fais en fonction de la personne qui m’accompagne ».
Pour préserver (un peu) la planète
Les préoccupations écologiques étant très marquées chez les moins de 35 ans, il est logique qu’elles s’accompagnent souvent d’une mise au ban de la voiture. Charlotte, 19 ans, ne compte ainsi pas du tout passer le permis : « Etant très préoccupée par la crise écologique, j’aime penser que je participe un tout petit peu à une émancipation de la voiture individuelle en refusant de me plier à ce passage du permis, vu comme une obligation par une grande partie de la société ». A 32 ans, Amandine n’a pas non plus abandonné ses convictions : « Je me déplace à vélo pour me rendre au travail et emmène les enfants à vélo cargo. En plus, les déplacements à vélo ou à pied au quotidien m’apportent beaucoup : un sport au quotidien bon pour la santé et cela montre aux enfants qu’on peut se déplacer autrement qu’en voiture, surtout pour les trajets courts. » La conscience écologique de Pierre, 34 ans, l’empêche aussi de pousser la porte d’une auto-école : « Ce qui passait pour être le luxe absolu au sortir d’une l’adolescence durant les années 1990-2000 me semble aujourd’hui presque obscène. »
Dans des cas plus rares, c’est la peur de la route qui freine certains, comme Fanny, 25 ans : « Je suis terrifiée à l’idée de conduire, j’ai peur des autres usagers, mais aussi de mes propres capacités. La responsabilité que la conduite implique représente un immense poids sur mes épaules ». Maéva, 20 ans, préfère aussi rester piétonne pour des raisons de sécurité : « Quand je vois la mentalité au volant de la majorité des Français (avec la banalisation de l’alcool au volant, par exemple), je suis très inquiète à l’idée même d’être dans une voiture et d’être percutée par un chauffard ».
C’est aussi le manque de temps qui fait renoncer certains à obtenir le précieux papier, comme pour Céline, 31 ans : « J’aimerais le passer, mais c’est contraignant. Ce qui serait bien, c’est de créer un cours en accéléré pour les plus de 30 ans, pour faciliter les choses quand on travaille 40 heures par semaine ». Oskar renchérit : « Passer le permis est bien trop long et fastidieux. »
Un report pour beaucoup
Reste à savoir si ce « non » aux cours de conduite sera définitif. Jean-Pascal Assailly n’y croit pas : « Certains attendent le dernier moment pour aller s’inscrire au code. Dès qu’ils ont un enfant, ils estiment souvent que le permis devient nécessaire », constate-t-il. C’est ce que prévoit de faire Agnès : « Je le passerai lorsque j’aurai des enfants, pour pouvoir les emmener en vacances ! », indique-t-elle.
Julien, 36 ans, qui a déjà passé – et raté - l’examen à l’âge de 19 ans : « J’arrive à un âge où j’en ai de plus en plus besoin (ami vivant loin, trop de temps pour aller au boulot…) Du coup, je vais passer par le Compte personnel de formation (CPF) pour me le payer en 2022 ». D’ailleurs, le permis est la formation la plus financée par le CPF !
* Il est auteur d’Homo automobilis ou l’Humanité routière, éditions Imago, 20 euros.