Trafic de drogue à Marseille : A la cité des Marronniers, les habitants « abandonnés » n'attendent plus rien de l'Etat
REPORTAGE Alors qu’Emmanuel Macron est attendu à Marseille, dans les quartiers Nord endeuillés par les récents règlements de comptes, on n’éprouve plus que tristesse, désœuvrement et habitude à la violence
- Près de 200 personnes se sont rendues ce vendredi à l’enterrement de Rayanne, 14 ans, mort à la cité des Marronniers dans la sanglante série du conflit en cours lié au marché des stups.
- Emmanuel Macron, attendu à Marseille ce mercredi, devrait faire des annonces concernant « un plan global pour la ville » mais les habitants des cités ne croient plus en l’action de l’Etat et se sentent même « abandonnés ».
- Aux Marronniers, le trafic habituel a repris tout de suite après le décès de Rayanne et les habitants, habitués à la violence, n’éprouvent plus que tristesse et désœuvrement.
« Tu paies combien ? », souffle un guetteur sous un tee-shirt de running noir noué en cagoule. Derrière deux réfrigérateurs hors d’usage couchés sur la chaussée et à l’aide d’une poubelle à roulettes, le jeune homme filtre les allées et venues dans l’une des deux seules impasses menant à la cité des Marronniers, dans le 14e arrondissement de Marseille. Cet ensemble de six immeubles est l’un des nombreux « fours » des quartiers Nord pour lesquelles différentes équipes de trafiquants de drogue se livrent actuellement un conflit sanglant.
Douze personnes sont mortes dans des réglements de comptes en série ces deux derniers mois. « Une explosion », constatait récemment Dominique Laurens, la procureure de Marseille. Parmi les victimes, Rayanne, 14 ans, tombés sous les balles le 18 août dernier peu après 22h30, ici Traverse des Marronniers. « Les balles pleuvent en ce moment. C’était un bon minot qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment », regrette, fataliste, Kelydi, 19 ans, un habitant des Marronniers. Ce vendredi midi, avec une dizaine d’autres jeunes amis du quartier, il se dirige vers la chambre mortuaire de l’hôpital de la Timone.
Près de 200 personnes sont venues rendre un dernier hommage à la plus jeune victime de cet été marseillais meurtrier. Ce sont en grande majorité des habitants du quartier qui n’éprouvent, face à cette funeste réalité qui se répète d’années en années, plus que tristesse et désœuvrement. La majorité a revêtu un qamis de circonstance pour la cérémonie, certains arborent un maillot « #justice et soutien », floqué au prénom de Rayanne avec deux petites ailes et une étoile entourant son prénom. A de rares détonantes exceptions, tous sont en blanc.
« Ce n’est plus un arbre qui brûle, c’est toute la forêt. Il n’y a plus rien à faire »
Assis la tête entre ses mains, Anthony frotte ses yeux. Rayanne était son petit-neveu par alliance. « Ce n’est plus un arbre qui brûle, c’est toute la forêt. Il n’y a plus rien à faire, souffle-t-il. Tout le nord de la ville est abandonné et ça ne date pas d’hier. Avant, le voyou il avait six balles dans son chargeur et il fermait un œil pour viser. Aujourd’hui, tu as 300 balles dans le barillet avec des armes lourdes que tu peux aller chercher dans les Balkans en bus, sans te faire contrôler aux frontières. Ce sont les armes le problème. »
Anthony a préféré quitter le quartier pour Marignane et voudrait s’éloigner encore plus de cette violence croissante et systémique. Alors qu’Emmanuel Macron est attendu mercredi à Marseille, avec « un plan global pour la ville » et le carnet de chèque ouvert, Anthony reste désemparé : « Je n’attends plus rien de l’Etat, s’il pense venir en héros il se trompe. L’argent c’est bien beau mais ça ne résout pas tout. » Un manque d'espoir qui semble être partagé par bien des personnes présentes. « Qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Je n’en sais rien, moi ; je suis jeune ! ». « On va encore se prendre un nouveau plan anti-stup, aïe aïe », bravade un jeune tandis qu'un autre enchaîne : « Macron, c’est qui ? »
Avant, le voyou il avait six balles dans son chargeur et il fermait un œil pour viser. Aujourd’hui, tu as 300 balles dans le barillet avec des armes lourdes que tu peux aller chercher dans les Balkans en bus, sans te faire contrôler aux frontières. »
Sur le mur du boulevard faisant face aux impasses montant aux Marronniers un tag à la calligraphie délicate énonce : « L’Etat nous laisse tomber ». Depuis la mort de Rayanne, les CRS se sont montrés un peu plus présents que d’ordinaire le permettent les opérations de « pilonage », nouvelle doctrine de lutte anti-stupéfiants inaugurée à la sortie de l’hiver. « Je rêve de policiers qui appellent les jeunes par leur prénom et n’arrivent pas avec des boucliers pour les plaquer contre le mur », lâche Amine Kessaci, 17 ans, dont le grand frère Brahim est mort le 29 décembre dernier.
« Ce plan, il doit être conçu par les gens d’en bas »
Le jeune homme est de Frais Vallon, un autre quartier du Nord de la ville où un homme a été abattu au début de l’été. Titulaire d’un bac pro, il s’apprête à entrer en classe préparatoire aux écoles de commerce et suit une tout autre trajectoire que son frère. Avec son association Conscience, il a appelé à la tenue d’une marche blanche, ce mardi 31 août à partir du Vieux-Port. « C’est pour les victimes de la criminalité mais surtout pour demander des logements salubres, des locaux pour les associations dans les quartiers et une police de proximité, résume le jeune homme qui s’est entretenu brièvement avec Benoît Payan, le maire de Marseille. Si Macron vient avec son plan tout fait, ça ne marchera pas. L’argent ne réglera pas tout. Ce plan, il doit être conçu par les gens d’en bas. »
Hassen Hammou, dont un ami proche est également décédé sur fond de règlement de comptes il y a quelques années de cela, mène ce combat depuis 2016 avec le collectif « Trop jeune pour mourir ». « Des marches blanches, on en a faites. Mais mettre en spectacle la misère et le deuil ne fonctionne pas », estime-t-il. Aujourd’hui, il se dit « pessimiste » quant à l’avenir des quartiers Nord de la ville : « Nos quartiers sont à l’abandon. Il n’y a plus un service public, plus de lien social, plus de commerce. » Au nom de son collectif, Hassen a adressé à Pierre-André Imbert, conseiller sur les questions sociales d'Emmanuel Macron, une demande d’entrevue avec celui-ci lors de sa venue à Marseille. Il doit déjà rencontrer le préfet dans la semaine, a-t-il assuré. « L’idée n’est pas faire une réunion publique mais d’y aller en petit comité, avec des habitants et des acteurs associatifs. Parce que s’il reste avec ses conseillers parisiens, son plan ça ne peut pas marcher. »
Sur la passerelle enjambant la voie ferrée de l’impasse des Marronniers, Sarah* pousse son chariot et descend attendre le bus pour aller au supermarché le plus proche. Le guetteur vient de la laisser passer en la saluant. « C’est sûr, ça a empiré ces derniers temps », constate cette mère de deux jeunes enfants. « Ils surveillent qui entre et sort mais sont respectueux, ils nous appellent "tata", nous aident à monter les courses quand on est chargé. Tous ces jeunes ne sont pas des voyous et des criminels. Je comprends qu’ils en aient marre de voir leurs mères partir faire des ménages et rentrer avec peu de courses dans le sac ».
A propos, « tu paies combien pour entrer ? » Le réseau de revente de drogue, lui, paie.
*Ce prénom a été modifié à la demande de la personne