Procès des attentats du 13-Novembre : Sentiment d’insécurité ou de « vivre à côté d’une tombe »… Ils ont préféré déménager

TRIBUNAL Certains habitants des 10e et 11e arrondissements de Paris qui vivaient à proximité du Bataclan et des lieux des attentats du 13-Novembre ont ressenti la nécessité de déménager

Caroline Politi
Après les attentats, le Bataclan est devenu un lieu de receuillement
Après les attentats, le Bataclan est devenu un lieu de receuillement — Alain ROBERT / SIPA
  • Le procès des attentats du 13 novembre s’ouvre mercredi devant la cour d’assises spécialement composée.
  • Si elles ne se considèrent pas comme des victimes des attentats, certaines personnes habitant à proximité des lieux visés racontent leur traumatisme et les raisons qui les ont poussées à partir.
  • Le phénomène reste néanmoins difficile à quantifier

C’était un vendredi comme n’importe quel autre. Ce soir-là, Camille et son mari avaient invité des membres de leur famille à venir prendre l’apéro. Leur fille cadette était couchée, l’aîné, alors âgé de 2 ans et demi, avait veillé au-delà de l’horaire traditionnel du coucher. « Tout à coup, on a entendu un gros bruit, comme des pétards », se remémore la trentenaire. Presque par réflexe, elle passe la tête par la fenêtre et aperçoit, dans le passage Amelot, en plein cœur du 11e arrondissement de Paris, deux « mecs armés jusqu’au cou » tirer à bout portant sur les passants avant de s’engouffrer dans la salle de concert située en face de leur appartement : le Bataclan. Ils sont en réalité trois terroristes, mais cela, Camille le découvrira le lendemain, le 14 novembre 2015, dans la presse.

« On imaginait ce qui était en train de se passer »

Si elle ne s’est jamais considérée comme une victime, même indirecte, des attentats dont le procès s’ouvre mercredi, la jeune femme a été profondément marquée par cette soirée. Au point de déménager, moins d’un an plus tard. « On a pris la décision en quelques semaines, se souvient-elle. Tout, chez nous, nous faisait penser à cette soirée, on n’arrivait pas à en sortir. » Pendant plusieurs heures, les rafales des Kalachnikovs ont fait vibrer le sol, les murs et les fenêtres, au point de faire rompre plusieurs canalisations. « C’était extrêmement impressionnant. Même si on ne voyait rien, on imaginait ce qui était en train de se passer, on se projetait. »

Après les attaques, la famille tente vainement de retrouver ses marques, mais les stigmates de cette nuit sont partout. A commencer par leur immeuble, où un homme est décédé, atteint par une balle perdue. Quant à leur quartier, jusque-là si animé, il est devenu un lieu de recueillement. « On avait l’impression de vivre à côté d’une tombe. Les gens déposaient des fleurs, des bougies. C’est normal, mais c’est pas simple, quand c’est en bas de chez soi. » La plupart de leurs voisins mettront également les voiles.

Cas isolé ou vague de déménagements ?

Combien sont-ils dans ce cas-là, à avoir quitté, après les attentats, les 10 et 11e arrondissements, où se trouvaient le Bataclan et les terrasses meurtries ? Impossible à dire. L’Insee, qui procède au recensement de la population, calcule le solde migratoire – c’est-à-dire, la différence entre les départs et les arrivées – sur cinq années glissantes. Impossible donc d’isoler des chiffres pour les seules années 2016 ou 2017. Selon l’organisme, cependant, si la population de cet arrondissement baisse depuis 2012, aucune accélération n’a été constatée dans les années qui ont suivi les attaques.

Le calcul est d’autant plus compliqué que tous les déménagements ne sont pas forcément liés aux attentats. Et, même lorsque c’est le cas, certaines familles ont choisi de rester dans le secteur. Camille et sa famille, par exemple, habitent toujours le 11e mais dans le quartier de Charonne… à deux pas du bar La Belle Equipe, également visé par les terroristes. « La différence, c’est qu’on ne l’a pas vécu, on n’a pas les souvenirs de cette soirée dans cet appartement. »

Pour Dorothée*, ces attentats n’ont fait qu’accélérer une idée qui a commencé à germer dès l’été 2014, après les violences devant la synagogue de la rue de la Roquette. « On n’est pas spécialement pratiquants, mais ça nous a marqués. » Quelques mois plus tard survient l’attentat contre Charlie Hebdo. Eux qui vivent boulevard Parmentier, passent devant le siège de l’hebdomadaire tous les jours pour déposer leur fille à la crèche. Puis les attaques du 13 novembre. « On adore le 11e arrondissement, pour moi, c’est l’archétype de la vie parisienne, avec toutes les communautés qui vivent ensemble. Mais on ne s’y sentait plus en sécurité, surtout avec un enfant en bas âge. » Le climat est devenu anxiogène, impossible de faire quelques mètres sans tomber sur une patrouille Sentinelle. Ces militaires, lourdement armés, sont présents devant les crèches, les écoles. « C’est compréhensible, mais ça faisait trop. A 3 ans, ma fille a commencé à nous poser des questions sur les attentats. » A la fin de l’année 2016, lorsque la jeune femme tombe enceinte de leur deuxième enfant et que l’appartement devient trop étroit, ils saisissent l’occasion et s’installent vers le nord-ouest de la capitale.

Quitter Paris

Jacques, lui, vit désormais à Nantes. Le sexagénaire le reconnaît pourtant tout de go : avant le 13 novembre, il n’avait jamais entendu parler du Bataclan ni fréquenté l’une des terrasses visées ce soir-là. « Je suis trop vieux pour ces bars-là, c’était des lieux pour les jeunes », se souvient celui qui résidait alors à 100 ou 150 mètres du Carillon et du Petit Cambodge. Lui aussi a entendu le bruit de ce qu’il pensait d’abord être des pétards. Mais ce sont des cris qui l’ont décidé à mettre sur pause le film qu’il regardait pour aller jeter un œil par la fenêtre. « Je suis descendu pour voir si je pouvais aider, mais j’ai presque aussitôt fait demi-tour. Je suis ingénieur, j’y connais rien aux premiers secours et les pompiers arrivaient. »

Une fois le choc des attentats passé, Jacques et sa femme retrouvent peu à peu leur vie, dans ce quartier où ils vivent depuis plus de vingt ans. Les mêmes commerçants, le même train-train, mais pas la même sérénité. « C’est dur à expliquer, mais quelque chose avait changé. Ou peut-être que ça venait de nous, de notre perception. » Lorsqu’ils passent devant un bar, le couple ne peut s’empêcher d’imaginer le « pire ». Pourtant, pendant deux ans, l’idée de déménager ne leur traverse pas l’esprit. Et puis, pour aller où ? Finalement, en 2017, tout s’accélère, leur fils déménage, la femme de Jacques prend sa retraite et l’idée de quitter la capitale devient une évidence. « Est-ce qu’on aurait pris la décision de partir sans les attentats ? Je n’en suis pas sûr. Pas aussi rapidement, en tout cas. »