Coronavirus : Le plan de Castex pour l’hôpital est-il plus généreux que ceux de 2007 et 2012 ?
FAKE OFF A l'Assemblée nationale, Jean Castex a vanté les mérites de son plan d'investissement pour l'hôpital public, qui serait bien supérieur à ceux de 2007 et 2012
- Si le personnel soignant réclame depuis des années des moyens supplémentaires, la crise du Covid-19 a révélé l'urgence de la situation.
- Le gouvernement affirme répondre à ces besoins grâce à un plan d'investissement de 19 milliards d'euros sur 10 ans, dévoilé cette semaine par Jean Castex.
- Selon le Premier ministre, cette somme représente le double de celle investie par les précédents plans en faveur de l'hôpital.
« Nous avons déjà tiré des enseignements structurels » de la crise du coronavirus. Lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mardi 9 mars, Jean Castex a vanté les mérites d'un plan d’investissement de 19 milliards sur 10 ans pour les hôpitaux publics qu’il avait annoncé un peu plus tôt, lors d’un déplacement dans la Nièvre.
L'occasion pour le Premier ministre de s’exclamer : « Des moyens inédits ont été dégagés pour revaloriser les métiers de l’hôpital avec le Ségur de la santé. […] 19 milliards ! […] Pour ceux qui ont vécu les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, qui étaient de bons plans, c’est 50% de plus que ces deux plans cumulés ! »
Et Jean Castex de détailler, au fil de son discours, la répartition des différentes enveloppes du plan :
« 9 milliards pour l’offre de soin pour améliorer les équipes », « un milliard et demi pour les Ehpad qui en ont tant besoin, 2 milliards pour le numérique », ou encore la reprise par le gouvernement de « 6,5 milliards de dette des établissements de santé. » Précisant au passage que « l’Europe contribuera à 6 milliards d’euros pour le financement du plan ».
A première vue, ces 19 milliards d’euros prévus sur les prochaines années dépassent de loin les investissements des gouvernements précédents cités par Jean Castex, que le gouvernement chiffre, sur son site, à 6 milliards d’euros pour le plan Hôpital 2007 et à 2,5 milliards d’euros pour celui de 2012.
FAKE OFF
Pourtant, ces deux plans, lancés respectivement en 2003 et 2007 par les ministres de la Santé de l’époque, Jean-François Mattei puis Xavier Bertrand, prévoyaient chacun des investissements bien plus conséquents pour la santé, comme le montrent plusieurs archives. Contacté par 20 Minutes, le ministère de la Santé n'avait pas donné suite à nos sollicitations au moment de la parution de cet article.
Commençons par examiner le plan Hôpital 2007. « Une somme de 6 milliards d’euros sur cinq ans a été dégagée au plan national pour mener [le plan] à bien, à laquelle s’ajoutent 4,2 milliards d’euros d’investissements propres des ARH [agences régionales de l’hospitalisation, ancêtres des agences régionales de santé] et des établissements. Au total, 10,2 milliards d’euros seront consacrés à la réussite du plan de rénovation en cinq ans de notre parc hospitalier », détaillait ainsi un document du ministère de la Santé en date de janvier 2004.
Le plan suivant visait quant à lui un « effort d’investissement » de « 10 milliards d’euros sur cinq ans », comme le notait le ministère en février 2010, tout en précisant la répartition de cette somme : « Le plan mobilisera, sur la période 2007–2012, 10 milliards d’euros d’investissements dont 5 milliards seront aidés par l’Etat en aides directes de l’assurance maladie. »
Deux plans d'une valeur proche de 20 milliards d'euros en cumulé
Des montants concordants avec ceux évoqués dans une circulaire de juin 2007 invitant les préfets et directeurs d’établissements de santé à « préparer une première tranche de projets correspondant à la moitié de l’enveloppe du plan Hôpital 2012 (cinq milliards d’euros d’opérations, financés à 50 % sur aides directes de l’assurance-maladie [...]) ».
En tenant compte de l’ensemble des investissements prévus par les plans Hôpital de 2007 et 2012, on arrive donc à un total d’environ 20 milliards d’euros… soit plus que les 19 milliards vantés par Jean Castex. Cette enveloppe évoquée par le Premier ministre est en outre l’addition des 6 milliards d’investissement qu'il avait annoncés dès juillet 2020 et les 13 milliards déjà promis en 2019 par le plan « Investir dans l’hôpital » de son prédécesseur Edouard Philippe.
Opter pour la méthode de calcul du gouvernement, consistant à ne retenir de ces plans que les sommes investies directement par l’État – en excluant donc les 4,2 milliards d’euros des ARH dans le plan de 2007 et 2,5 milliards d’euros d’aides directes de l’Assurance maladie pour celui de 2012 –, impliquerait pour sa part de revoir le budget de 19 milliards à la baisse. En ôtant l’aide de 6 milliards d’euros fournie par l’Europe, l’investissement du gouvernement de Jean Castex atteint ainsi « seulement » 13 milliards d’euros, soit moins de 50 % de plus que les plans 2007 et 2012 en cumulé (8,5 milliards d’euros).
« Un décalage énorme » par rapport à la réalité des soignants
Au-delà des chiffres, ce plan, comme les précédents, ne répond pas aux besoins des personnels de santé, selon Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), interrogé par 20 Minutes : « Il s’agit d’un budget d'investissement, qui prévoit des améliorations matérielles et la construction de nouveaux hôpitaux, alors que nous attendons une amélioration du budget de fonctionnement. Ca fait un an qu'on survit avec l'épidémie de Covid-19 donc la rénovation des murs n’est pas du tout notre priorité, alors qu'on galère encore aujourd'hui pour avoir des gants, c'est un décalage énorme par rapport à notre réalité, toujours faite de suppression de lits et de postes. »
« Quand on nous parle "investissement", "restructuration", "modernisation", ce qu’on constate systématiquement, à travers ces regroupements d'hôpitaux devenus trop vieux pour construire un hôpital flambant neuf, c’est une suppression des lits. La restructuration dans l'Essonne, avec la fermeture de 3 hôpitaux et l’ouverture d’un nouveau entraîne une suppression de 400 lits. Et c’est la même chose à l’AP-HP avec la fermeture de Bichat et Beaujon pour l’ouverture d’un nouvel hôpital en Seine-Saint-Denis, qui s’accompagne d’une suppression de 300 lits », poursuit Thierry Amouroux, alors que le collectif Inter-hôpitaux dénonçait, dans une tribune publiée dans Le Monde à l’automne, les « nouvelles économies imposées à l’hôpital public ».