Assassinat de Samuel Paty : Pourquoi Didier Lemaire, professeur de Trappes, est-il sous protection rapprochée ?
MENACES•Quatre mois après l’assassinat de Samuel Paty, Didier Lemaire, qui enseigne la philosophie à Trappes, a été placé sous protection rapprochée, a indiqué le ministre de l’IntérieurCaroline Politi
L'essentiel
- Le professeur de philosophie a pris position dans les médias contre la montée de l’islamisme au sein des établissements scolaires.
- Didier Lemaire affirme depuis être la cible de propos « haineux ». Il a indiqué qu’il comptait arrêter d’enseigner.
- Aucune menace sérieuse n’a pour l’instant été décelée par la police, tant sur les réseaux sociaux que physiquement.
Près de quatre mois après l’assassinat de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie tué après avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet tirées de Charlie Hebdo, Gérald Darmanin a proposé jeudi à un autre enseignant, Didier Lemaire, une protection rapprochée. Ce professeur de philosophie de Trappes, dans les Yvelines, affirme être la cible de propos « haineux » depuis ses prises de position médiatiques sur l’islamisme dans les établissements scolaires. 20 Minutes revient sur la genèse de cette affaire.
A l’origine : Une tribune dans « L’Obs » le 1er novembre
Tout débute au lendemain de la rentrée des vacances de la Toussaint : moins de 15 jours après la mort de Samuel Paty, Didier Lemaire, qui enseigne depuis une vingtaine d’années à Trappes, dans les Yvelines, publie dans L’Obs une tribune dans laquelle il confie avoir été « témoin de la progression d’une emprise communautaire toujours plus forte ». « Comment enseigner les langues, les arts, les sciences et la culture générale à des enfants qui sont soumis, dès leur plus jeune âge, à la pression sociale phénoménale de ces idéologues ? Devons-nous continuer de faire comme si nos élèves n’étaient pas eux-mêmes soumis à cette pression ? », s’interroge-t-il.
Son positionnement n’est pas nouveau : dans une lettre adressée à Emmanuel Macron en 2018, il se désolait déjà du manque de stratégie claire pour lutter contre l’islamisme politique. Après la mort de Samuel Paty, ce fervent défenseur de la laïcité est régulièrement invité sur les plateaux de télévision, prend des positions tranchées. Positions, assure-t-il, qui lui valent des menaces. Au micro de Sud Radio, il évoque des propos « calomnieux » et des « menaces » qui circulent tant à Trappes que sur les réseaux sociaux.
Du dispositif préventif à la protection rapprochée
Didier Lemaire est alors reçu – à sa demande – par les services en charge de la sécurité au sein de l’académie de Versailles. Dans un communiqué publié la semaine dernière, celle-ci précise que la situation de l’enseignant a été « prise très au sérieux » et qu’un signalement a été fait auprès du commissariat de Trappes et de la préfecture des Yvelines. Dès novembre 2020, ordre est alors donné d’augmenter les patrouilles aux abords de l’établissement où il enseigne mais également devant son domicile. Selon nos informations, il s’agissait avant tout d’un dispositif « préventif », eu égard au contexte lié à l’assassinat de Samuel Paty. Aucune menace sérieuse n’a en effet été décelée, tant sur les réseaux sociaux que physiquement.
L’affaire prend un nouveau tournant après une interview donnée le 22 janvier à la télévision néerlandaise dans laquelle il affirme que « le salafisme à Trappes gagne vraiment du terrain ». Par la suite, Didier Lemaire affirme dans plusieurs médias que la journaliste a recueilli plusieurs témoignages le visant explicitement. « Une ancienne parente d’élève a dit à une journaliste hollandaise que si je continuais de parler de l’islam et de Trappes, je serai le prochain Samuel Paty », assure-t-il ainsi sur Cnews. Contactée par France Info, cette dernière a réfuté l’existence de ces menaces. Celles-ci ne figurent en tout cas pas dans son reportage.
Le 26 janvier, une enquête est néanmoins ouverte par le parquet de Versailles pour « menaces sur personne chargée de mission de service public » et les investigations confiées à la PJ. C’est dans ce cadre que le ministre de l’Intérieur a indiqué, jeudi, avoir proposé à Didier Lemaire de le faire bénéficier d’une protection rapprochée assurée par le service de la protection (SDLP), chargée d’assurer la sécurisation des personnalités menacées. Offre acceptée par le professeur.
Un tournant politique
Au-delà même de l’aspect sécuritaire, l’affaire Didier Lemaire a progressivement pris un tournant politique. Jeudi, une opération de tractage a été menée par le maire de Trappes, Ali Rabeh (Génération. s) au sein même de l’établissement scolaire dans lequel exerce le professeur de philosophie. « Je n’accepte pas les propos violents tenus contre vous et les Trappistes, écrit l’élu dans un "Message aux élèves". C’est insupportable car c’est injuste et cela ne correspond pas à la réalité. » Une intrusion vivement condamnée par le ministre de l’Education nationale mais également par les collègues de Didier Lemaire.
« Didier Lemaire s’est exposé à titre personnel pour défendre l’emprise du radicalisme, emprise dont nous percevons régulièrement les échos. La sincérité de son engagement ne fait aucun doute pour nous qui avons travaillé avec lui au quotidien », écrivent dans une lettre ouverte les professeurs de l’établissement. Et de préciser : « Les interventions politiques ne font qu’exacerber les tensions : ceux de nos élèves qui ont une vision apaisée d’un islam républicain se trouvent mis sous pression. » L’enseignant a néanmoins annoncé jeudi qu’il allait arrêter l’enseignement, sans forcément quitter l’Education nationale.