Coronavirus : Des députés européens vont-ils être tirés au sort pour consulter les contrats négociés par l'UE sur les vaccins ?

FAKE OFF Selon Marine Le Pen, les députés européens qui pourront consulter les contrats passés entre la Commission européenne et les laboratoires pharmaceutiques vont être tirés au sort

Alexis Orsini
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Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à Bruxelles, le 10 décembre 2020. (illustration)
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à Bruxelles, le 10 décembre 2020. (illustration) — John Thys/AP/SIPA
  • Alors que des organisations gouvernementales ou des scientifiques déplorent déjà l’opacité des négociations entre l’Union européenne et les laboratoires pharmaceutiques sur les vaccins anti-Covid-19, Marine Le Pen a déploré à son tour ce manque de transparence.
  • « Personne n’a accès aux contrats […]. Ils vont tirer au sort des députés européens, qui vont avoir le droit d’aller regarder ces contrats de négociation, sans téléphone, sans possibilité de les photographier, sans stylo pour pouvoir prendre des notes », a affirmé la présidente du Rassemblement national sur France Inter ce jeudi 10 décembre.
  • Si aucun tirage au sort n’est prévu, certains députés européens ont en revanche bien le droit de consulter ces documents selon des règles assez strictes, détaillées à 20 Minutes par les institutions européennes.

Edit du 11 décembre : ajout de la réponse du directeur général de la Fédération internationale des fabricants et associations pharmaceutiques, reçue après publication.

« Nous sommes en train de constituer l’un des portefeuilles de vaccins contre le Covid-19 le plus complet au monde. » Si la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est ainsi félicitée, fin novembre, d’avoir conclu six contrats européens de pré-achat avec différents laboratoires pharmaceutiques pour des vaccins anti-Covid, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer le manque de transparence des institutions européennes sur la teneur exacte de ces accords commerciaux.

L’organisation non gouvernementale (ONG) Corporate Europe Observatory, qui observe de près l’influence des lobbys au niveau européen, cherche par exemple depuis plusieurs semaines à prendre connaissance de plusieurs informations contenue dans ces contrats d’intérêt public pour les 448 millions de citoyens de l’Union européenne.


Et ce manque de transparence des institutions européennes s’est invité dans le débat politique français, ce matin, lors d'un entretien accordé par Marine Le Pen à France Inter. En réponse à une question sur la vaccination contre le Covid-19, la président du RN s’est indignée de « l’opacité » des négociations menées par la Commission européenne : « Personne n'a accès aux contrats de négociation. Pourquoi ? Ils en sont à venir expliquer qu'ils vont tirer au sort des députés européens, qui vont avoir le droit d'aller regarder ces contrats de négociation, sans téléphone, sans possibilité de les photographier, sans stylo pour pouvoir prendre des notes. »

« Mais à quoi ça rime ? Comment voulez-vous qu'il y ait un climat de confiance dans les peuples européens à l'égard de cette vaccination si on agit avec une opacité aussi incroyable ? », a-t-elle conclu.

FAKE OFF

Contactée par 20 Minutes à ce propos, l’attachée de presse de Marine Le Pen nous indique : « Cela concerne les contrats de négociation. Ca avait déjà été fait pour le Tafta», le traité de libre-échange transatlantique négocié en 2016 entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

A l’époque, les documents au coeur de l’échange avaient bien fait l’objet d’une consultation par certains députés européens, comme nous le confirme Corporate Europe Observatory : « Les députés européens de certaines commissions s’étaient rendus dans une salle de lecture pendant les négociations sur le Tafta. »

En revanche, les élus en question ne sont nullement choisis de manière aléatoire, contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen. Joint par 20 Minutes, le Parlement européen explique : « La sélection des députés pouvant consulter les documents en cours de négociation ne fonctionne pas par tirage au sort : les députés européens des commissions parlementaires compétentes sur ce sujet auront accès à la salle de lecture. »

« La prise d'images reste interdite »

L’accès à cette dernière se fait cependant bien selon des conditions strictes, qui n’ont « rien de spécifique aux contrats sur les vaccins » mais relèvent de la « procédure structurelle » : « La prise d'images ou de notes reste interdite [dans la salle de lecture] car il s'agit de documents confidentiels », confirme la Commission européenne, en rappelant elle aussi qu’à l’époque du Tafta, les « députés européens de la commission parlementaire sur le commerce international avaient eu accès aux documents confidentiels car ils étaient habilités à juger si ces documents allaient dans le bon sens. »

En juin 2016, un reportage du site d'actualité Reporterre, intitulé « Les incroyables précautions pour cacher le traité Tafta aux élus du peuple », offrait un aperçu de ce dispositif très encadré lors du passage du député Noël Mamère dans l’une de ces fameuses salles de lecture – comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous. En plus de dévoiler à cette occasion les modalités de consultation de ces documents, Reporterre avait recueilli la réaction de Noël Mamère à sa sortie de la salle : « J’ai eu le sentiment d’entrer dans une prison. Vous vous sentez comme un intrus quand vous arrivez là bas. Vous êtes toléré, à condition d’obéir aux règles. Mais vous n’êtes pas accepté. »

« Il est très difficile pour le députés de rapporter ce qu'ils ont vu »

L’ONG Corporate Europe Observatory est aujourd’hui la première à déplorer les « failles » de cette salle de lecture : « La Commission avait permis à des députés d’y accéder il y a quelques années à propos du glyphosate. Mais comme ils n’ont pas le droit de prendre de notes ou de photos, face à des documents aussi volumineux et techniques, il leur est très difficile de rapporter ce qu’ils ont vu aux personnes qui pourraient juger de la pertinence de ces contrats. Ce système ne permet pas aux députés européens et encore au moins au public de s’assurer que la Commission leur rende des comptes, alors que c’est leur rôle... »

Face aux multiples demandes de consultation de ces documents formulées par l’ONG, la Commission européenne envisage-t-elle de dévoiler le contenu ces contrats avec les laboratoires pharmaceutiques ? Contactée par 20 Minutes, l'institution nous indique « entendre et comprendre la demande de transparence des parlementaires et du public sur ces contrats » mais ne pas pouvoir « rendre ces contrats publics unilatéralement car ils ont des clauses de confidentialité. »

« Nous sommes encore en négociation avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques pour des contrats de pré-achats de vaccins anti-Covid 19 : nous ne pouvons pas poursuivre de telles négociations en dévoilant publiquement des contrats similaires déjà signés. Cela reviendrait à se mettre dans une position de négociation extrêmement difficile puisque nous montrerions aux interlocuteurs avec lesquels nous négocions combien nous avons payé tel autre vaccin, quelles conditions de livraison nous avons conclues avec tel autre, etc. », explique-t-elle, en soulignant que « le secret sur ces négociations » est nécessaire « afin négocier les meilleurs termes pour les citoyens européens ».

« De plus, les entreprises avec lesquelles nous négocions souhaitent que les négociations et les contrats restent secrets car pour elles, dans ces contrats, il y a énormément d’éléments commerciaux critiques vis-à-vis de de leur stratégie de prix, de développement et de production des vaccins », ajoute la Commission, tout en reconnaissant envisager « plutôt, pour l’instant, de donner accès aux contrats à des parlementaires européens dans le cadre d'arrangements spécifiques », telle que la salle de lecture mise en place sur d'autres sujets par le passé.

Thomas Cueni, directeur général de la Fédération internationale des fabricants et associations pharmaceutiques (IFPMA), précise pour sa part auprès de 20 Minutes l'importance de la confidentialité dans ce type de contrat : « Une fois que les négociations seront terminées, la Commission européenne et les laboratoires qui le souhaitent pourront décider s'ils rendent les contrats publics. [...] Mais cette confidentialité est généralement requise des deux côtés car ces accords peuvent contenir des informations sensibles. Il n'est par exemple pas souhaite de dévoiler les dates de livraison potentielles, sujettes à de nombreuses variables [...] ou les capacités de production, qui sont compliquées à anticiper. »

« La Commission devra rendre compte de la bonne utilisation de ce budget »

Le Parlement européen nous confirme en outre que « les députés européens appartenant à la commission parlementaire ENVI – chargée des questions liées à l'environnement, la santé publique et la protection des consommateurs – et les élus de commission BUDg – sur les questions budgétaires – ont demandé à la Commission d’avoir accès à ces documents ».

De son côté, Corporate Europe Observatory espère obtenir une réponse favorable de la Commission à ses deux demandes d’informations en cours sur ces contrats. L’ONG demande notamment, à défaut de publier l’intégralité de ces documents, d’en dévoiler les parties ne relevant pas « des véritables secrets commerciaux » – une pratique courante en réponse à ce type de requête, selon Corporate Europe Observatory.

« Nous demandons notamment que cinq infos essentielles soient rendues publiques : la structure du coût et le prix de chaque vaccin, la localisation de leurs centres de production, les accords de propriété intellectuelle, les accords de responsabilité et d’indemnisation et les accords relatifs à l’accès aux vaccins », détaille l’ONG.

La Commission européenne, pour sa part, souligne enfin à 20 Minutes que « la transparence sur les données et informations scientifiques sur les vaccins sera elle complète et assurée par l’Agence européenne des médicaments. » Et de conclure sur un rappel : « Ces pré-achats de vaccins sont réalisés avec le budget européen. La Commission devra donc rendre compte, une fois que la signature aura été finalisée, de la bonne utilisation de ce budget devant les citoyens et les institutions européennes, comme le Parlement européen ou la Cour des comptes européenne qui pourra auditer l’action de la Commission. »