Confinement : « De réels progrès », « un peu unilatéral »… Comment certains ont appris ou enseigné la musique… même à distance
FEEL GOOD La musique adoucit les mœurs, mais aussi le confinement pour certains Français, qui se sont lancés ou ont beaucoup travaillé leur instrument ou leur voix
- Passer ses soirées à improviser au piano, à chanter en visio, à jouer un morceau grâce à un tutoriel est l’une des stratégies gagnantes pour lutter contre la déprime et l’ennui du confinement.
- Pour certains, cette période a été synonyme de progrès grâce aux nombreux tutoriels, aux efforts des enseignants, à une plus grande disponibilité.
- A condition d’être un peu autonome… Car si les cours individuels semblent possibles à condition d’avoir un peu de matériel et une bonne connexion, les répétitions de chorale ou d’orchestre restent un défi à l’heure du tout distanciel.
Et si on profitait du confinement pour apprendre un instrument ou peaufiner sa maîtrise du chant ? Certains Français ont mis à profit cette période suspendue pour se lancer des défis, notamment musicaux. Mais ce n’est pas forcément évident de réinventer toute une pédagogie pour imaginer un cours de piano à distance. Et de progresser quand on n’a pas un enseignant à côté pour corriger, encourager, rejouer le morceau et jouer ensemble…
« Cela permet de combler les longues journées enfermé chez soi »
Pour certains, apprendre à faire des gammes, même devant un écran, a permis d’ajouter une pincée de plaisir et de créativité aux longues journées confinées. Romain, 35 ans, batteur dans un groupe, n’a pu retrouver en vie réelle ses comparses. Mais s’est vengé en se lançant dans des cours de guitare en ligne. « J’ai commencé il y a un mois, c’est plutôt bien fait et j’ai fait de réels progrès, confie cet internaute qui a répondu à notre appel à témoignages. Cela ne remplacera jamais un prof physique, mais ça permet de combler les longues journées enfermé chez soi. »
Pour Bruno, 59 ans, la stratégie s’est révélée concluante. « Il y a profusion de tutoriels et de méthodes pour apprendre la guitare sur le Web, difficile de trouver la bonne. » Après quelques recherches, il a trouvé la Graal. « Trois mois de cours pour le prix de trois heures en réel, je me suis dit que bloqué chez moi, ça serait au pire un faible investissement. Résultat des courses (ou des cours), la méthode est très bien construite, le professeur extrêmement pédagogue, on peut compter sur une communauté bienveillante qui donne des conseils. »
Bruno s’est même lancé dans une méthode pour le piano d’accompagnement… « Je n’avais jamais joué d’aucun instrument et maintenant je possède quatre guitares et un piano, et j’arrive à me faire plaisir en jouant de vrais morceaux avec. »
« Les visio restent un moyen d’avancer en mode dégradé »
Il n’empêche, pour d’autres, l’expérience fut moins concluante. Notamment pour une question matérielle. Les enseignants ont dû faire leurs gammes sur des logiciels jusqu’ici inconnus. « Au début, Zoom considérait le chant comme du bruit, alors il coupait automatiquement le micro !, se rappelle Saskia, professeur de chant lyrique et baroque au conservatoire de Nanterre. J’ai découvert qu’il fallait changer les paramètres. C’est comme tout, on expérimente les outils. »
« Quand le Wifi est mauvais, on raccroche, on rappelle, on répète trois fois la même chose, ça génère beaucoup de stress », avoue Franck, professeur de guitare. Mickaël, 40 ans, élève, ne tait pas les quelques galères techniques. « Après avoir passé deux cours à essayer les applications Skype, Teams, WhatsApp entre ordis et smartphones pour finalement revenir à Skype, nous avons pu continuer. Reste les décalages de sons, donc pas de jeu avec le prof, c’est chacun son tour. Pour voir les positions des mains, des doigts et être corrigé, c’est compliqué aussi. L’apprentissage de la théorie reste possible. Mais les visio restent un moyen d’avancer en mode dégradé, pas plus. »
« C’est un peu unilatéral »
Ce que confirme Franck, qui a accueilli trois nouveaux élèves de guitare pendant le confinement. « Le problème principal, c’est tout ce qui est posture, bien apprendre à arrondir les doigts, la position du poignet. Quand je suis en présentiel, je vois en 3D et je peux rectifier en touchant. A distance, j’essaie d’être très précis dans les consignes. Et de donner des astuces : tu dois pouvoir passer un stylo entre le manche de la guitare et ta main. » Pas de doute, pour certains cours, la distance pèse davantage. « C’est un peu unilatéral, je donne des instructions, je surveille les lectures de note, le rythme », regrette l’enseignant. Difficile, donc, de travailler à deux l’improvisation.
En adaptant ses cours de chant, Saskia a eu quelques surprises. « J’étais assez pessimiste au départ, mais tout n’est pas négatif. La première moitié de chaque cours est généralement orientée sur la technique vocale. Malgré les aléas, les échanges restent constructifs, en particulier pour le travail corporel. Pour le travail musical, c’est plus problématique, impossible bien sûr de chanter ensemble… » Alors elle demande à ses élèves de s’enregistrer sur des accompagnements. « C’est un tempo rigide, une interprétation figée, mais ils sont ainsi obligés de réaliser un produit fini, chez eux, sans pression, puis de s’écouter, ce qui est générateur de progrès. » Au point qu’elle envisage de garder cette méthode le jour où les cours pourront reprendre au conservatoire. Sans surprise, les enseignants (de musique mais aussi de danse…) ont hâte que cette parenthèse trouve son accord final. « C’est quand même difficile d’être toute la journée devant un écran avec des aléas techniques et un son empêchant un réel travail sur le timbre », reconnaît Saskia.
« Pour les enfants, c’est compliqué »
Si apprendre ou perfectionner sa maîtrise d’un instrument n’est donc pas impossible, certains publics galèrent davantage. En effet, quand on parle de jeunes enfants qui découvrent le solfège et le violon, ils risquent de s’exciter rapidement devant un écran ou de demander un coup de main aux parents… Le fils de Sandrine, 44 ans, a pris ses cours de guitare via une application vidéo. « Il a beaucoup de mal à suivre. Son prof a vraiment mis tous les moyens pour qu’il n’y ait pas de décrochage, mais il faut avouer que pour les enfants, c’est compliqué. » Même nuance du côté de Gaëlle, 43 ans. Si elle a poursuivi ses cours de piano avec plaisir, c’était une autre paire de manches pour son fils. « J’ai beaucoup progressé pendant cette période. En revanche, mon fils de 9 ans n’a pas du tout accroché à distance. »
« L’âge de l’élève est important pour que le cours de musique en distanciel fonctionne, confirme Franck. Car cela demande beaucoup d’autonomie. Normalement, avec les enfants, je travaille sur des méthodes, j’entoure une note importante. Là, je leur demande de faire ça. Trouver la 2e croche à la 3e mesure, ça prend beaucoup de temps, c’est moins fluide… et je ne suis pas sûr du résultat. »
Rien à voir pour les instrumentistes expérimentés. Ainsi, Nicolas, 46 ans, guitariste dans un big band de jazz, a poursuivi ses cours de basse. « Mon professeur propose une plateforme très complète qui allie cours enregistrés, communauté (façon forum), séances de questions-réponses en direct pour l’ensemble des participants, séminaires, et tout un tas d’outils en ligne pour progresser en fonction de ses envies. Depuis que j’ai découvert ce cours, je m’éclate. Peut-être que si j’avais dû partir de zéro, cela aurait été plus compliqué. »
« Ce n’est plus de la chorale ! »
Il n’y a pas que l’âge et l’expérience des élèves qui joue, leur nombre également. Un cours individuel via une plateforme vidéo peut s’organiser sans trop de difficulté. En revanche, quand on parle de répétition à plus de dix instrumentistes ou chanteurs, ça se complique… Franck a annulé un stage guitare et chant qui devait réunir plusieurs personnes. Pareil pour Saskia : le projet opéra est pour le moment suspendu. « Il est inenvisageable de travailler ce type de projet sur Zoom. Or, quand on apprend une discipline, ce sont les projets qui donnent une échéance, un horizon, une motivation. »
Laure, 48 ans, fait partie d’une chorale. Les répétitions se sont poursuivies pendant le premier confinement sur Zoom. « Seulement, cela s’est transformé en cours de chant, car nous devions chanter à tour de rôle, les autres avaient le micro coupé. C’était très sympa de conserver le lien et le plaisir du chant, mais au prix payé, nous n’avons pas reconduit cette année. Ce n’est plus de la chorale ! »