Loi sur la « sécurité globale » : Pourquoi les débats sur l’encadrement des drones s’annoncent tendus à l’Assemblée

SURVEILLANCE Les députés examinent à partir de ce mardi soir la proposition de loi sur la « sécurité globale », portée par deux députés de la majorité

Hélène Sergent
Des manifestants se sont réunis à Rennes ce mardi 17 novembre pour protester contre la proposition de loi sur la sécurité globale.
Des manifestants se sont réunis à Rennes ce mardi 17 novembre pour protester contre la proposition de loi sur la sécurité globale. — Mathieu Pattier/SIPA
  • Une fronde, menée par des syndicats de journalistes et des associations de défense des libertés, s’est élevée contre l’une des mesures phares de la proposition de loi sur la « sécurité globale », qui vise à punir la diffusion de vidéos de policiers si elles portent atteinte à leur intégrité physique.
  • Mais cette mesure n’est pas la seule à susciter des craintes parmi les observateurs et des réserves chez certains élus, y compris de la majorité.
  • L’article 22, qui propose d’instaurer un cadre juridique pour développer l’utilisation des drones par la police et la gendarmerie, fait lui aussi l’objet de vives critiques.

Un goéland qui chasse un drone. Le dessin peut prêter à sourire mais il symbolise le combat de l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du Net (QDN). Au point de figurer désormais sur l’une des affiches de l’organisation. Mobilisée depuis des mois contre l’usage illégal de ces petits aéronefs par la Préfecture de police de Paris, la QDN ferraille désormais, avec d’autres organisations, contre une proposition de loi débattue à partir de ce mardi soir à l’Assemblée nationale.

Déjà vertement critiquée par des syndicats de journalistes et divers organes indépendants (en particulier la Défenseure des droits et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU) pour une mesure visant à punir la diffusion malveillante d’images de policiers sur les réseaux sociaux, le texte nourrit d’autres inquiétudes. L’article 22, qui clarifie le cadre légal d’utilisation de drones équipés de caméras par la police et la gendarmerie tout en élargissant les cas dans lesquels ils pourront être utilisés, suscite lui aussi des craintes. Pourquoi ? 20 Minutes fait le point.

Une « avancée »

Que prévoient les élus de la majorité à l’origine de cette proposition de loi sur la sécurité globale ? Alice Thourot, l’une des deux députés LREM chargée de l’élaboration du texte, explique : « La proposition de loi fixe un cadre légal et précise qui peut se servir des "caméras aéroportées" et dans quelle situation. Cette liste est restreinte et concerne par exemple la prévention des actes de terrorisme, le secours aux personnes – en particulier en mer et en montagne –, la surveillance des littoraux pour lutter contre les dégazages sauvages, ou encore la poursuite des auteurs d’infraction. »

Une « vraie avancée », estime-t-elle, qui exclut en revanche toute utilisation de « caméras aéroportées » à l’intérieur des domiciles des particuliers et prévoit la nécessité d’informer le public lorsque les forces de l’ordre – police ou gendarmerie – ont recours à ces drones. Enfin, « s’il n’y a pas d’enquête ouverte, les enregistrements sont conservés 30 jours », précise l’élue. Un amendement du gouvernement, qui sera étudié cette semaine dans l’hémicycle, propose d’étendre cette utilisation de drones aux polices municipales. Par ailleurs, cet article a été l’un des rares à être soumis pour avis au Conseil d’Etat.

Ou une atteinte aux droits ?

Débattu en commission des Lois la semaine passée avec le reste du texte, cet article 22 a suscité quelques remous. Pour la député LFI Danièle Obono, l’efficacité de « ces outils orwelliens » n’a toujours pas été prouvée et la rédaction actuelle du texte entraînerait une « surveillance de masse » et une « généralisation » des drones. Autre dérive redoutée, celle d’une entrave au droit de manifester. « L’usage des drones par la police peut avoir un effet dissuasif pour les citoyens. Se sachant filmés, certains pourraient renoncer à leur droit de manifester », alerte Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne.

Sur ce point, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a émis ses réserves rapporte le journal Le Monde : « Nous exprimons de sérieuses préoccupations selon lesquelles l’usage de drones avec caméras, en tant que méthode particulièrement intrusive, est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur des individus qui se trouvent dans l’espace public et qui souhaiteraient participer à des réunions pacifiques. »


À cela s’ajoute un risque « d’atteinte à la vie privée » estime Arthur Messaud, juriste à La Quadrature du Net. « Le recours au drone – jusqu’ici interdit – lors de manifestations s’inscrit dans une logique d’escalade de la violence dans le maintien de l’ordre en France. Le drone est particulièrement utile pour filtrer, nasser ou épuiser les manifestants. À cela s’ajoute un risque d’atteinte à la vie privée si le but est d’identifier, grâce à ces drones, les manifestants considérés comme des fauteurs de troubles », développe-t-il.

Et l’association n’est pas seule à s’inquiéter puisque la Défenseure des droits, Claire Hédon, a exprimé les mêmes craintes dans un avis rendu le 3 novembre dernier sur le texte. « L’usage de drones pourrait permettre l’identification de multiples individus et la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel. Si le texte prévoit la protection de l’intérieur du domicile, le Défenseur des droits considère qu’il ne contient en aucun cas de garanties suffisantes pour préserver la vie privée », écrit-elle.

Un risque moral

Les débats s’annoncent âpres dans l’hémicycle. Plus de 1.300 amendements ont été déposés augurant des séances particulièrement longues. D’autant qu’au sein même de la majorité, des voix se sont élevées contre cet article à la rédaction jugée trop « floue ». Si le député Modem Philippe Latombe reconnaît l’utilité des drones pour les littoraux ou lorsque des violences éclatent lors de manifestations, il plaide pour une limitation plus stricte de leur usage.

Le choix fait par les deux rapporteurs du texte et par le gouvernement de ne pas exclure le recours aux logiciels de reconnaissance faciale pour les drones l’inquiète particulièrement. « Dans le texte actuel, rien ne l’exclut. Pourtant la Cnil demande au législateur de prendre position. Et on sait qu’il y a localement une volonté politique très forte d’utiliser la reconnaissance faciale. Pourquoi l’interdiction du traitement des images de ces drones par ces logiciels n’a pas été écrite dans le texte ? », s’interroge-t-il.

Enfin, se pose la question « morale » derrière cette généralisation des drones par les forces de l’ordre. Pour le professeur de droit, Paul Cassia, le risque d’accoutumance de la société à l’égard de la surveillance par drones existe : « L’effet d’engrenage des mesures sécuritaires est vérifié. Il y a toujours un bon prétexte. Une fois qu’on utilise les drones pour les manifestations, pourquoi ne pas l’étendre à la surveillance du trafic routier ? Et pourquoi pas pour toute la voie publique ? ».

Une analyse partagée par le député Philippe Latombe qui conclut : « Est-ce qu’on veut se diriger vers une société de la surveillance comme celle que l’on peut voir dans le film Minority Report ? Ou est-ce qu’on fixe une limite avant d’y arriver ? Je sais que mes inquiétudes sont partagées par d’autres députés mais la situation actuelle, avec la menace terroriste qui plane et le sentiment d’insécurité, amène à accepter plus facilement ce type de mesure. »