Un lycéen a-t-il été blessé à la tête lors d’une intervention de la police à Compiègne ?

FAKE OFF Plusieurs photos du visage ensanglanté d’un lycéen ont circulé de manière virale sur les réseaux sociaux depuis lundi soir. 20 Minutes a contacté la victime

Tom Hollmann
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Intervention de la police lors d'affrontements à Villeneuve-La-Garenne (Hauts-de-Seine) en avril 2020.
Intervention de la police lors d'affrontements à Villeneuve-La-Garenne (Hauts-de-Seine) en avril 2020. — GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
  • Des publications massivement partagées sur les réseaux sociaux entre le 9 et le 10 novembre indiquent qu’un élève du lycée Mireille Grenet de Compiègne a été blessé à la tête par un tir de LBD.
  • Contacté par 20 Minutes, Jules, un lycéen de 15 ans et jeune sapeur-pompier volontaire, déclare avoir été blessé au visage alors qu’il se rendait en classe, en marge d’un blocage lycéen auquel il ne participait pas.
  • Une expertise réalisée par le service médico-légal de l’hôpital de Compiègne a conclu à une blessure occasionnée par un tir de lanceur de balle de défense (LBD). L’IGPN n’a pas encore ouvert d’enquête à ce stade

Edit du 10 novembre à 21 h 20 : Selon la mère de Jules, l’examen réalisé au service médico-légal de l’hôpital de Compiègne ce mardi soir a conclu à une blessure occasionnée par un tir de LBD.

Un adolescent a-t-il été blessé à la tête par un tir de LBD en marge d’un blocage lycéen qui a dégénéré lundi à Compiègne (Oise) ? C’est en tout cas ce qu’affirment de nombreux posts viraux publiés hier et ce mardi sur Facebook, Twitter et Snapchat.

« Ce front fracassé, c’est celui d’un lycéen de Compiègne, alors qu’un blocus avait lieu [lundi matin]. Sur une vidéo sortie plus tôt on voit clairement un policier tirer 4 fois à hauteur de tête avec son LBD. Si nous ne savons pas encore si cette blessure est bien celle d’un de ces 4 tirs, elle est clairement le résultat des violences de la police », clame l’auteur d’une des publications les plus partagées sur Facebook. Cette dernière a suscité l’indignation chez de nombreux internautes, qui y ont vu un nouveau cas de violences policières.

Voici l'un des posts viraux dans lequel un internaute affirme qu'un lycéen de Compiègne a été blessé par un tir de LBD le 9 octobre 2020, en marge d'un blocage lycéen.
Voici l'un des posts viraux dans lequel un internaute affirme qu'un lycéen de Compiègne a été blessé par un tir de LBD le 9 octobre 2020, en marge d'un blocage lycéen. - Facebook

20 Minutes a contacté la victime et reconstitué la chronologie de cet incident.

FAKE OFF

Il est 8h, ce lundi, quand Jules* descend du bus qui le dépose à deux pas du lycée Mireille Grenet de Compiègne. Le lycéen de 15 ans, en seconde Melec (métiers de l’électricité et de ses environnements connectés) et jeune sapeur-pompier volontaire lorsqu’il n’est pas en classe, apprend qu’un blocage a lieu devant la grille de l’établissement. Avec ses camarades, il se dépêche pour aller voir ce qui est en train de se passer.

« Des lycéens, vers 7h30, ont d’abord posé un cadenas sur la grille à l’entrée du lycée, explique le service de communication du rectorat d’Amiens à 20 Minutes. Ils ont ensuite incendié des poubelles alentour sans qu’aucune revendication n’ait été émise au préalable ». Comme l’a indiqué la procureure de Compiègne, Marie-Céline Lawrysz, à l’AFP, une première patrouille du commissariat s’est rendu sur les lieux alertés par des départs d’incendie. Les policiers essuient alors « des jets de projectiles », et « au moins cinq tirs de mortier d’artifice ». « En danger », les policiers abandonnent leur véhicule qui se retrouve « dégradé » et dans lequel du matériel va être « volé », toujours selon la procureure de Compiègne.

« Il pleuvait du gaz lacrymogène »

« On a vu la voiture de police en train de se faire saccager, des feux de poubelles et les forces de l’ordre un peu plus loin », explique Jules à 20 Minutes. Lors de son audition à la gendarmerie après les faits, il mentionne ainsi des échauffourées entre la police, ses camarades lycéens, et « une trentaine d’individus encapuchonnés », comme le rapporte le procès-verbal d’audition que 20 Minutes a pu consulter. « C’est à ce moment-là qu’il y a eu la première charge des policiers, avec plein de tirs de lacrymogène en même temps », raconte-t-il. Les élèves se dispersent. Accompagné de quelques amis, l’adolescent court s’abriter à une centaine de mètres de là, derrière un immeuble, avenue de Huy.

Jules est à quelques pas du bâtiment quand il se retourne pour attendre un de ses amis, qui prend un ultime cliché de la voiture de police. Un bruit sourd retentit. Le lycéen reçoit au front ce qu’il prend pour un palet de grenade lacrymogène, « car [les policiers] ne tiraient que ça », explique-t-il. « J’ai perdu connaissance pendant une seconde ou deux et je me suis écroulé au sol, décrit le lycéen. J’ai essayé de me relever, mais je n’y arrivais pas ». Du sang coule sur son visage.

Une amie du jeune homme contacte alors les sapeurs-pompiers, mais ces derniers, également pris à parties dans les violences devant le lycée, lui expliquent qu’ils ne pourront pas intervenir pour secourir Jules. Un pompier a d’ailleurs été légèrement blessé à l’avant-bras par un tir de mortier, alors qu’il tentait d’éteindre une poubelle en feu, comme l’a fait savoir la préfecture à l’AFP.

C’est une autre jeune femme comme l’a expliqué Jules à la gendarmerie d’Estrées-Saint-Denis, qui prend l’initiative d’appeler un de ses amis pour venir le chercher, et l’emmener aux urgences.

12 points de suture et un visage tuméfié

Dans la voiture, Jules prévient sa mère autour de 8h20, et lui envoie une photo de son visage ensanglanté et tuméfié. C’est cette photo qui s’est répandue sur les réseaux sociaux. « J’ai été touché au visage », lui fait-il savoir. En recevant le cliché, la maman lâche un cri d’effroi et se rend en urgence au centre hospitalier intercommunal de Compiègne-Noyon, où elle arrive vers 9h.

Le compte rendu de la consultation, dont 20 Minutes a pu prendre connaissance, fait état d’un « tir de Flash-Ball » reçu « au niveau de la tête », même si Jules ne peut pas affirmer avec certitude s’il a été blessé par un tir de lanceur de balle de défense (LBD), ou par un galet de grenade lacrymogène.

La blessure, toujours selon le compte rendu hospitalier, a entraîné un « traumatisme crânien sans perte de connaissance initiale », et une plaie au front nécessitant la pose de « 12 points [de suture] au fil résorbable 4.0. ». Autour de 9h30, la mère et son fils quittent l’hôpital, direction Estrées-Saint-Denis et la gendarmerie nationale, afin de porter plainte.

Grenade lacrymogène ou tir de LBD ?

Face à l’officier de police judiciaire, Jules narre sa version des faits, et explique qu’il n’a aucunement participé aux dégradations. Selon le procès-verbal, le jeune homme indique que le tireur « se trouvait à 200 ou 300 mètres » de lui lorsqu’il a reçu un projectile en pleine tête. Il ne pouvait donc pas l’identifier, ni le « décrire », comme lui a demandé l’officier de police judiciaire.

En revanche, le jeune homme affirme que c’est bien « un policier » qui lui a tiré dessus, et non un « gendarme ou un CRS », comme lui suggère l’officier de police judiciaire. Jules accepte de se rendre dans une unité médico-judiciaire pour être examiné et dépose plainte pour « violence aggravée par trois circonstances suivie d’incapacité [totale de travail] n’excédant pas huit jours ».

Encore très choqués, Jules et sa mère ce sont rendus ce mardi soir au service médico-légal de l’hôpital de Compiègne. Selon la mère de Jules, l’examen a conclu à une blessure occasionnée par un tir de LBD, et non à une grenade lacrymogène. Ces dernières, comme l’ont expliqué les policiers à la mère du lycéen, « sont lancées en cloche avant de se séparer en huit galets fumants distincts ».

Sollicitée par 20 Minutes, la police nationale indique qu’à ce stade, l’IGPN n’a pas ouvert d’enquête ni été saisie pour les faits rapportés par Jules.

A Compiègne, à l’issue de ces heurts, cinq mineurs de 15 à 16 ans ont d’abord été interpellés, trois en possession d’objets manifestement dérobés dans le véhicule de police, et deux pour des jets de projectiles contre les forces de l’ordre. Trois autres ont ensuite été appréhendés par les forces de l’ordre. Les huit jeunes étaient en garde à vue lundi soir, notamment pour violences aggravées, dégradations par moyens dangereux, participation avec armes à un attroupement et vol aggravé, comme l’a indiqué la procureure de Compiègne à l’AFP, qui constate un mode opératoire similaire « avec des violences urbaines qui touchent depuis début septembre le quartier proche du Clos-des-Roses, « avec la même haine des forces de l’ordre ».

* Le prénom a été modifié