Coronavirus en Ile-de-France : « Au moins un cas positif recensé dans 241 établissements scolaires »
INTERVIEW Augmentation lente mais continue des admissions hospitalières, file d’attente devant les laboratoires, région placée en zone « rouge »… Le directeur de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France, Aurélien Rousseau, détaille l’évolution de l’épidémie
- L’incidence de l’épidémie, c’est-à-dire le nombre de cas pour 100.000 habitants, avoisine les 100 en Ile-de-France. Bien au-dessus du seuil d’alerte fixé à 50.
- Les cas positifs dans les établissements scolaires franciliens ne concernent « pas seulement d’élèves ou de professeurs, cela concerne tous les agents, certains ne sont d’ailleurs pas en contact avec les élèves ».
- Le directeur de l’ARS Ile-de-France appelle les Franciliens à faire attention lors des rassemblements familiaux. « On a très peu de cas de clusters dans les transports en commun alors que les gens sont collés les uns aux autres, mais il y en a beaucoup dans les cellules familiales. »
Tout faire pour empêcher que la situation du printemps dernier ne se reproduise. Tel pourrait être le mot d’ordre d’Aurélien Rousseau, le directeur de l’Agence régional de santé d’Ile-de-France. Sur le papier, pourtant, les indicateurs ne sont pas à l’optimisme : hausse exponentielle des contaminations, augmentation lente mais continue des hospitalisations, file d’attente devant les laboratoires… Si la région est sans nul doute confrontée à un rebond de l’épidémie de coronavirus, la situation reste très différente. Entretien.
Depuis le mois d’août et plus encore en septembre, l’incidence de l’épidémie augmente de façon exponentielle. On compte désormais près de 100 cas pour 100.000 habitants là où le seuil d’alerte a été fixé à 50. Est-on en train de voir déferler cette fameuse « seconde vague » ?
Le terme « vague » fait avant tout référence à l’impact de l’épidémie sur les hôpitaux. Il est aujourd’hui réel même s’il est encore lent. Tous les jours, entre 10 et 20 patients sont hospitalisés en réanimation dans la région. La semaine dernière, c’était une trentaine. D’autres patients, qui auraient été pris en charge en réanimation au printemps, le sont désormais dans des services d’hospitalisation conventionnelle car notre connaissance du virus nous permet aujourd’hui de mieux anticiper les problèmes respiratoires qui nécessitent une intubation. On est sans nul doute face à un vrai rebond de l’épidémie. Le flux s’accélère – 2.000 cas sont identifiés chaque jour – même si on est loin de la situation qu’on a connu au printemps.
Pourtant lorsqu’on regarde les données sur le nombre de malades en réanimation il semble étonnamment stable. Le 11 août, 189 malades étaient en soin critique. Hier, ils étaient 204…
Les entrées s’accélèrent, que ce soit en réanimation ou en hospitalisation conventionnelle d’ailleurs. Mais chaque jour des patients sortent. La durée moyenne des séjours en réanimation est plus basse qu’en mars et avril car on connaît mieux la pathologie, on a plus de recul sur les signes cliniques qui nous permettent de mieux anticiper l’évolution de la situation. Mais contrairement au printemps dernier, certains leviers pour soulager la pression hospitalière sont désormais inaccessibles. On ne peut, par exemple, pas reporter à nouveau toutes les interventions chirurgicales.
La rentrée a-t-elle aggravé la situation sanitaire ? Combien de classes sont fermées dans la région ?
Les remontées de situations sensibles explosent depuis une semaine mais il ne s’agit pas systématiquement de cas de Covid-19. Les symptômes du coronavirus sont parfois très proches de ceux des infections bénignes de rentrée. Il y a moins d’une dizaine de clusters dans des établissements scolaires de la région mais nous avons recensé au moins un cas positif dans 241 établissements en Ile-de-France, dont 151 à Paris. Il ne s’agit pas seulement d’élèves ou de professeurs, cela concerne tous les agents, certains ne sont d’ailleurs pas en contact avec les élèves. Au total, 20 classes ont dû être fermées dans la région.
Les files d’attente devant les laboratoires s’allongent, les délais pour les résultats également. Dans certains cas, ils sont désormais de plus de 5 jours. Les laboratoires sont-ils dépassés ?
Fin juin, on faisait 45.000 tests par semaine, aujourd’hui on est à 220.000 et on compte maintenir cet effort quantitatif. Depuis le 11 mai, nous avons été en contact permanent avec les laboratoires pour identifier les facteurs de blocage : écouvillons, préleveurs… Mais on n’ignore pas que la situation est parfois très compliquée. A l’échelle régionale, le délai pour obtenir un résultat est de 36 heures, mais cela grimpe localement à 6, 7 voire 8 jours. Or, il est impossible pour des gens ayant des symptômes ou étant cas contact d’attendre plus de 24 ou 48 heures. Théoriquement, les laboratoires devraient prioriser les personnes à tester mais cela reste très difficile à mettre en place. C’est une vraie difficulté pour nous. A la fin de la semaine dernière, nous avons pris la décision d’installer une vingtaine de barnums permanents pour soulager les laboratoires tout en maintenant l’effort quantitatif. Ils testeront tous les matins jusqu’à 14 heures les personnes ayant des symptômes ou cas contact.
En début de semaine, Olivier Véran indiquait le déploiement des tests antigéniques rapides. Ils sont pour l’heure seulement utilisés au sein de l’AP-HP. Cela permettra-t-il d’améliorer la situation ?
Ils seront très utiles pour orienter le diagnostic et avoir une idée globale de la situation épidémique mais ils ne remplaceront pas les tests PCR. Les tests antigéniques – qui sont également réalisés par un prélèvement naso-pharyngés – sont relativement précis pour dire qu’une personne n’a pas le Covid. En revanche, si le résultat est positif, il est nécessaire de refaire un test PCR derrière. Mais ils peuvent être très utiles dans les aéroports par exemple. Si une personne est positive, elle s’isole jusqu’au second test.
Les aléas liés aux tests permettent-ils de casser efficacement les chaînes de transmission ? Les gens jouent-ils le jeu du tracing ?
C’est parfois très difficile de faire respecter l’isolement à un sujet contact qui n’a aucun symptôme ou même à une personne positive mais asymptomatique. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous préconisons maintenant un isolement de 7 jours, plus facile à respecter. Mais nous devons aussi faire un travail de pédagogie : soit on respecte collectivement les mesures et on parvient à limiter le rebond épidémique, soit on laisse la situation se dégrader et on risque des mesures plus aveugles. Mais je suis optimiste : à toutes les étapes, on s’est demandé si les Français allaient jouer le jeu et ils l’ont fait.
La généralisation du masque, d’abord en intérieur puis à l’extérieur, porte-t-elle ses fruits ?
Les gestes barrières – dont le port du masque fait partie – fonctionnent. Le R0 [le taux de reproduction du virus] a régressé ces derniers jours : après être monté à 1,5, il se situe désormais autour de 1,2 [une personne positive contamine en moyenne 1,2 autre]. Mais il reste encore du travail en matière de sensibilisation, sur les réunions de famille par exemple. Aujourd’hui, on a très peu de cas de clusters dans les transports en commun alors que les gens sont collés les uns aux autres, mais il y en a beaucoup dans les cellules familiales. Les gens ont encore le sentiment qu’ils ne craignent rien en famille.