Bordeaux : L'association Mémoires et Partages revisite le passé industriel et colonial du quartier Bacalan

HISTOIRE L’association Mémoires et Partages, qui effectue un travail autour du passé colonial et esclavagiste de Bordeaux, propose une nouvelle visite guidée au sein du quartier Bacalan

Mickaël Bosredon
Le quartier Bacalan à Bordeaux garde les traces de son passé industriel du 19è.
Le quartier Bacalan à Bordeaux garde les traces de son passé industriel du 19è. — Mickaël Bosredon/20Minutes
  • L’association rappelle comment l’industrie du sucre et de l’arachide, notamment en provenance du Sénégal, a permis à ce quartier de s’industrialiser.
  • Une des grandes familles bordelaises, Maurel, a notamment fait prospérer son entreprise, Maurel et Prom, grâce à ce commerce.
  • Le quai du Sénégal à Bacalan est aussi une trace de ce passé colonial, et rappelle le rôle qu’ont joué certaines familles bordelaises dans ce pays.

C’est le sixième parcours pédagogique de Mémoires et Partages. L’association fondée par Karfa Diallo, qui vise à réveiller l'histoire coloniale et esclavagiste de Bordeaux, propose depuis cette rentrée une visite guidée au sein du quartier Bacalan.

Celle-ci part précisément du quartier Brazza sur la rive droite, et emmène le visiteur jusque sur la rive gauche, autour des Bassins à Flot. En six étapes, l’association rappelle comment l’industrie du sucre et de l’arachide, notamment en provenance du Sénégal, a permis à ce quartier de s’industrialiser, et à Bordeaux de s’enrichir.

« De grandes entreprises se sont enrichies grâce au commerce de l’arachide »

« Nous relions deux quartiers actuellement en pleine mutation, détaille Karfa Diallo. Nous commençons par le quartier Brazza, qui porte le nom de Pierre Savorgnan de Brazza, père du Congo-Brazzaville, commissaire-général du gouvernement français et explorateur de l’Afrique centrale. Brazza, c’est le colonisateur de l’Afrique centrale, mais il a aussi produit un rapport sur les méthodes de colonisation extrêmement dures que le gouvernement français voulait appliquer. Aujourd’hui, les Congolais de Brazzaville restent très attachés à son œuvre. »

Après avoir traversé la Garonne, le parcours se poursuit au sein des Bassins à Flot, qui garde les traces des premières grandes industries d’exploitation de l’arachide. « L’arachide, importée en Afrique de l’Ouest par les Européens, et dont le Sénégal était la tête de pont, a permis le développement de grandes entreprises comme Lesieur, dont les silos de l’ancienne usine bordelaise sont encore visibles. L’entreprise bordelaise Maurel et Prom, qui est née à Gorée au Sénégal, s’est aussi enrichie grâce au commerce de l’arachide », indique Karfa Diallo.

« Les travailleurs n’étaient plus esclaves mais restaient exploités »

L’historien bordelais Hubert Bonin rappelle que ce sont « les Marseillais puis les Bordelais qui importent l’arachide en Afrique dans les années 1830, pour fabriquer l’huile d’arachide, avec notamment la société Maurel et Prom, de la famille Maurel, qui appartenait à la grande bourgeoisie protestante bordelaise. »

Cette période marque la fin de l’esclavage, aboli définitivement en France en 1848. « Les travailleurs qui produisaient de l’arachide à l’intérieur du Sénégal à cette époque n’étaient plus esclaves, mais ils restaient exploités, souligne Hubert Bonin. Nous sommes alors en plein dans le système colonial impérialiste. »

C’est à partir de là que Bacalan va commencer à se développer. « Cela démarre vers 1850, et cela va exploser à partir de 1880, une fois que l’on installe le nouveau port pour accueillir les bateaux transatlantiques », poursuit Hubert Bonin. « Jusqu’alors, les activités du sucre et les petites huileries étaient installées dans des PME autour de Sainte-Croix et du quai de Paludate. Au tournant du 19e siècle, ces activités passent aux mains de la grande industrie, et trois grandes huileries s’édifient : la grande huilerie bordelaise sur la rive droite et deux autres, Maurel et Prom et la nouvelle huilerie, à Bacalan. »

Quand « Bordeaux sucrait l’Europe »

Dans la continuité, le quartier voit naître autour des deux bassins à flot « de grands entrepôts ultramodernes, servant à entasser les produits à exporter, ou les produits tropicaux comme les bananes, car le commerce des Antilles et de l’Afrique s’entrecroisait à Bacalan à la fin 19e et au début du 20e. »

A côté de l’ex-usine Lesieur, se situe toujours le quai du Sénégal, « qui est une sorte de reconnaissance que Bordeaux a attribuée à ce pays, puisque les Bordelais y ont eu une action colonisatrice très importante », continue Karfa Diallo. « Les quatre premières villes "modernes" du Sénégal ont été fondées par le clan des Bordelais : Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Gorée. Gorée, c’était l’esclavage, la traite, et il reste dans cette île des familles issues de cette rencontre entre les Bordelais et des Sénégalais, puisque les colons qui partaient en Afrique pouvaient avoir une maîtresse sur place, et souvent des enfants sont nés de ces rencontres. »

La visite nous emmène enfin vers l’ancienne raffinerie de sucre, située rue Achard, fermée en 1984. « Elle marque l’importance de Bordeaux dans ce commerce, insiste Karfa Diallo. Dès le 18e siècle, alors que l’activité sucrière se situe encore à Sainte-Croix, on disait que Bordeaux sucrait l’Europe. Beaucoup de grandes familles bordelaises se sont enrichies ou vivaient du sucre, qui est issu de la traite négrière. »

« Raconter dans quelles conditions ces produits étaient récoltés »

Karfa Diallo insiste sur le sens qu’il veut donner à ces visites guidées. « Ce qui est important, c’est de raconter d’où venaient les produits, dans quelles conditions ils ont été récoltés, au nom de quelle souffrance. Il faut le dire, pour que les citoyens soient plus vigilants, éveillés, et qu’ils regardent leur ville autrement. »

Avec le mouvement Black Lives Matter qui a replacé ces questions sur le devant de l’actualité, il interroge : « Que faisons-nous de cette histoire du racisme qui est inscrite sur les murs de nos villes ? » « Nous ne sommes pas des activistes, et nous ne sommes pas en faveur du déboulonnage de statues, insiste-t-il, mais il faut contextualiser ces symboles. » L’historien Hubert Bonin salue de son côté le travail réalisé par Mémoire et Partages, qui vient « combler un manque concernant la grande histoire maritime à Bordeaux. »

Les prochaines visites auront lieu vendredi 25 septembre à 18h, mercredi 30 septembre à 18h, samedi 17 octobre à 15h, vendredi 30 octobre à 17h, samedi 21 novembre à 15h. Elles seront limitées à dix personnes en raison des contraintes sanitaires.