« Gilets jaunes » à Paris : Le préfet Lallement visé par une plainte pour sa gestion de la manifestation de la place d’Italie

VIOLENCES POLICIERES Deux figures des « gilets jaunes » estiment que les choix en matière de maintien de l’ordre de la préfecture ont favorisé l’émergence de violence sur la place d’Italie, le 16 novembre 2019

Caroline Politi
Des "gilets jaunes" aux abords de la place d'Italie à Paris.
Des "gilets jaunes" aux abords de la place d'Italie à Paris. — Philippe LOPEZ
  • La manifestation organisée le 16 novembre sur la place d’Italie pour l’anniversaire du mouvement des « gilets jaunes » a été interdite après son commencement officiel.
  • Une plainte a été déposée jeudi contre le préfet Lallement notamment pour « mise en danger d’autrui » et « atteinte à la liberté individuelle par une personne dépositaire de l’autorité publique ».
  • Le préfet de police estime que sa stratégie a permis d’éviter la diffusion des violences, les « gilets jaunes », au contraire, affirment que ça les a attisées.

Le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a-t-il mis le feu aux poudres ? Ou plutôt engendré, par ses choix en matière de maintien de l’ordre, un climat de tension propice à l’émergence de violences lors de la manifestation organisée pour le premier anniversaire des «gilets jaunes» en novembre dernier sur la place d’Italie ? C’est en tout cas ce que soutiennent deux figures du mouvement, Priscillia Ludosky et Faouzi Lellouche, qui ont porté plainte, jeudi, contre le haut fonctionnaire notamment pour « mise en danger d’autrui » et « atteinte à la liberté individuelle par une personne dépositaire de l’autorité publique ». « On a assisté ce jour-là, à un triste condensé des méthodes de maintien de l’ordre par la préfecture de police », a déploré la jeune femme lors d’une conférence de presse organisée par l’Observatoire parisien des libertés publiques.

Samedi 16 novembre 2019, la manifestation-anniversaire, dûment déclarée, doit se dérouler en deux temps : un rassemblement à 10 heures sur la place d’Italie puis le départ du cortège, à 14 heures, en direction du 10e arrondissement. Mais dès la fin de matinée, les premières dégradations sont constatées, un incendie éclate au centre de la place, les pompiers peinent à y accéder. Selon les plaignants, ces violences auraient été favorisées par l’absence de dispositif policier adapté​. « On a rapidement fait le constat d’une stratégie de tension », appuie lors de cette même conférence de presse, Capucine Blouet, l’une des onze bénévoles de l’Observatoire parisien des libertés publiques présentes ce jour-là pour analyser le déroulé de la manifestation. Elle déplore notamment l’absence de policiers spécialisés dans le maintien de l’ordre et les « multiples provocations » de certains fonctionnaires à l’égard des manifestants. « Certains nous visaient avec leurs LBD sans tirer », rapporte-t-elle.

Une manifestation interdite après son départ

Vers 13 heures, lorsque Priscillia Ludosky tente d’accéder à la place d’Italie, tous les axes sont bloqués alors que la manifestation est censée s’élancer une heure plus tard. Faouzi Lellouche, lui, est déjà sur place mais peine à obtenir des informations. Cette figure des « gilets jaunes » explique avoir reçu un premier coup de téléphone à 13h17 lui indiquant que la « manifestation serait apparemment interdite », avant d’en avoir la confirmation à 14h27, soit une demi-heure après l’heure théorique de départ. A 15h, le préfet Lallement confirme lors d’un point presse que la manifestation est effectivement interdite en raison des « risques de violence » et « fixée » sur la place d’Italie… mais ne prend aucun arrêté en ce sens. Cette stratégie a-t-elle permis de contenir les violences comme l’affirme la préfecture ou au contraire de les attiser comme le soutiennent les « gilets jaunes » ?

Toute l’après-midi, plusieurs centaines de manifestants sont nassés sur la place alors que de violents affrontements opposent, au même endroit, des black blocs et des policiers. Si la préfecture indique que des couloirs de sortie ont été ouverts pour les manifestants, de nombreux témoignages affirment l’inverse. « La mise en place de cette nasse, totalement contraire à la liberté d’aller et venir […], favorise la montée des tensions entre les personnes rassemblées et les forces de l’ordre, en créant de la confusion au sein des manifestants et en entraînant des mouvements de foule et de panique », affirment les plaignants. Ce jour-là, Manuel, un « gilet jaune » de Valenciennes, sera éborgné par un tir de grenade lacrymogène alors qu’il discutait avec des amis en attendant de pouvoir quitter les lieux. Une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris pour « violences volontaires par une personne dépositaire de l’autorité publique suivies de mutilation ou infirmité permanente ».

La doctrine du maintien de l’ordre en question

« Il y a un débat nécessaire à avoir sur les méthodes que déploie Didier Lallement pour maintenir l’ordre, insiste Me Guillaume Martine, l’avocat des deux « gilets jaunes ». On interdit une manifestation mais aucun arrêté n’est pris pour le faire officiellement, on interdit aux manifestants de manifester mais on les empêche de partir. »

Si la plainte est centrée sur cette manifestation, le débat lui est bien plus large et porte sur la doctrine de maintien de l’ordre actuellement mise en œuvre à Paris et régulièrement critiquée. « Si l’enquête conclut que nasser des personnes sur une place pendant des heures est une infraction, il faudra bien modifier les méthodes », insiste le conseil.