Paris : « Castaner n’aime pas la police… » Des centaines de policiers manifestent leur désamour au ministre de l’Intérieur
REPORTAGE Des agents ont manifesté, ce mercredi à Paris, près de dix jours après des annonces du ministre de l'Intérieur concernant l'abandon d'une technique d'interpellation et la lutte contre le racisme chez les forces de l'ordre
- Plusieurs centaines de policiers ont manifesté ce mercredi place Louis-Lépine, devant la préfecture de police de Paris.
- Ils dénoncent les annonces faites par le ministre de l’Intérieur concernant l’abandon prochain d’une technique d’interpellation controversée et la lutte contre le racisme chez les forces de l’ordre.
- Estimant que le lien avec Christophe Castaner est brisé, les organisations syndicales demandent un entretien au chef de l’Etat.
Tenant dans sa main gauche un drapeau à l’effigie d’une organisation syndicale, Matthieu* se sert de l’autre pour replacer son masque chirurgical sur son nez. Comme plusieurs centaines d’autres policiers, il est venu manifester ce mercredi devant la préfecture de police (4e) pour dénoncer les « décisions idiotes » du ministre de l’Intérieur, « qui entravent le travail des agents ». Ce fonctionnaire parisien, qui a vingt ans de service derrière lui, n’accorde plus sa « confiance » à Christophe Castaner. « Lui et Laurent Nunez, le secrétaire d’Etat, n’aiment pas la police, assure-t-il. La preuve, ils nous empêchent de travailler. »
Le divorce semble bel et bien prononcé entre le premier flic de France et ses troupes. Plusieurs syndicalistes présents au rassemblement soufflent – voire espèrent – qu’il pourrait être remplacé Place Beauvau à la faveur d’un prochain remaniement. Les noms d’éventuels successeurs circulent même déjà. Jean Castex, le « Monsieur déconfinement », Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, Frédéric Péchenard, ancien directeur de la police nationale et vice-président LR de la région Ile-de-France…
« Castaner a dit à l’Assemblée mardi qu’il était le "premier défenseur" des forces de l’ordre. Mais les policiers ne peuvent plus entendre ça de sa part aujourd’hui », reprend Mathieu qui a toujours en travers de la gorge les deux principales mesures annoncées par le ministre de l’Intérieur lors d'une conférence de presse le 8 juin dernier : abandon de la clé d'« étranglement », suspension de policiers en cas de « soupçon avéré » de racisme. Une formule maladroite que beaucoup d’agents ont aussi du mal à lui pardonner, bien que Christophe Castaner ait ensuite précisé ses propos.
« Les policiers ont été profondément blessés »
Depuis, des policiers organisent presque chaque jour des rassemblements partout en France pour protester. « Ça a été un déclencheur », explique Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat Synergie officiers. « Ces annonces ont été faites en pleine séquence de "police-bashing", et les policiers ont été profondément blessés. Sa déclaration a été vécue comme un désaveu pour les collègues par le plus haut sommet de l’Etat », ajoute-t-il. Avant de résumer la situation : « Non seulement on ne reconnaît pas nos souffrances et nos difficultés, mais en plus on nous accable. »
« Les policiers ont le sentiment d’être tous punis pour des conneries qu’ils n’avaient pas faites. Alors qu’ils sont en majeure partie irréprochables », martèle Ivan Assioma, secrétaire national Ile-de-France du syndicat Alliance, dénonçant une « punition collective ». Dans les rangs, les accusations de racisme systémique dénoncées lors de récentes manifestations contre les violences policières passent mal. Et nombreux sont ceux qui ne comprennent pas que le ministre se soit exprimé sur le sujet.
« Des racistes, il y en a dans la police comme partout. Mais nous réfutons les termes de "racisme d’Etat" », insiste pour sa part Rocco Contento, responsable parisien du syndicat Unité SGP Police-FO. Mathieu, l’officier parisien, souligne que « la police est à l’image de la société », avec des fonctionnaires de toutes les origines, et « des gens qui disent des conneries, comme dans toutes les professions. Mais la police n’est pas une institution raciste ».
« Rupture de confiance »
Le ministre a bien tenté, mardi, de répondre à ceux qui l’accusent d’avoir « lâché » les forces de l’ordre. Mais le mal est fait. Aujourd’hui, « il y a une rupture de confiance qui dépasse le ministre », estime Ivan Assioma. Les policiers, dit-il, se sentent « abandonnés par le gouvernement » alors que, depuis les attentats, « la police a toujours répondu présent ». Lui s’attendait « à tout sauf à une remise en cause ».
Rocco Contento souhaite surtout « de la reconnaissance et du soutien du ministre, qui doit déposer plainte dès qu’un policier est attaqué ou diffamé ». Le syndicaliste regrette que Christophe Castaner n'ait pas réagi davantage lorsque la chanteuse Camélia Jordana a accusé les policiers de « massacrer » des gens « pour nulle autre raison que leur couleur de peau ».
« On peut demander aux policiers d’être irréprochables. Mais le gouvernement doit régler les problèmes de la délinquance et se montrer plus ferme vis-à-vis des agresseurs de policiers. Cela passe par une réponse pénale plus forte, mais aussi par un plan de modernisation de la police », complète le représentant parisien d’Alliance. Patrice Ribeiro, de Synergie, plaide de son côté pour la création de peines planchers pour ceux qui s’en prennent aux policiers.
Signe que la rupture est consommée, les organisations syndicales ne veulent plus s’adresser en priorité au ministre de l’Intérieur et demandent à rencontrer directement Emmanuel Macron. « Tant qu’on ne l’aura pas vu, on ne pourra pas empêcher les policiers d’exprimer leur mécontentement », fait savoir Ivan Assioma. Rocco Contento attend du chef de l’Etat « des actes forts ». Comme le remplacement du ministre de l’Intérieur ?
*Le prénom a été changé.