VIDEO. Violences policières, racisme, sexisme… « Notre génération ne veut plus subir, c’est à nous de changer les choses ! »

MANIFESTATION Une nouvelle manifestation contre le racisme et les violences policières s’est déroulée ce samedi à Paris, mobilisant à nouveau de très nombreux jeunes

Hakima Bounemoura
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Des milliers de manifestants étaient présents ce samedi place de la République pour dénoncer le racisme et les violences policières.
Des milliers de manifestants étaient présents ce samedi place de la République pour dénoncer le racisme et les violences policières. — Thibault Camus
  • Plus de 15.000 personnes se sont rassemblées ce samedi sur la place de la République à l’appel du comité Adama Traoré pour dénoncer le racisme et les violences policières en France.
  • Beaucoup de jeunes manifestants, ados et étudiants, étaient présents, davantage que lors des précédentes manifestations.
  • « On assiste aujourd’hui à l’éclosion d’une nouvelle génération critique. Les jeunes sont davantage sensibles que leurs aînés à une logique de transformation sociale et politique », explique à 20 Minutes Laurent Lardeux, sociologue spécialiste du militantisme chez les jeunes.

« On marche le poing levé pour montrer qu’on existe »… Plus de 15.000 personnes se sont rassemblées ce samedi sur la place de la République à l’appel du comité Adama Traoré, pour dénoncer le racisme et les violences policières en France. Beaucoup de jeunes manifestants, ados et étudiants, étaient présents, davantage que lors des précédents rassemblements. La plupart ont répondu à l’appel à la mobilisation via les réseaux sociaux, où les hashtags  #JusticePourAdama ou #GenerationAdama sont devenus viraux depuis quelques jours. « Beaucoup de vidéos, de témoignages et d’appels à manifester ont circulé sur Twitter, Facebook ou  Tik Tok sous la bannière Black lives matter [« La vie des noirs compte »]. C’est notre cri de ralliement, à nous les jeunes, c’est notre #MeToo », explique Alexandre, étudiant de 21 ans originaire de Seine-Saint-Denis.

Adama Traoré, décédé lors de son interpellation par des gendarmes en 2016, et plus récemment George Floyd, mort asphyxié lors de son interpellation par la police aux Etats-Unis, sont aujourd’hui érigés en symbole par toute une partie de la jeunesse. « Les différentes mobilisations que l’on a pu observer ces dernières années ont en commun d’avoir un point de départ similaire : un évènement d’actualité qui suscite l’indignation, une colère profonde longtemps restée enfouie ou silencieuse par les générations précédentes, et qui trouve avec la force des réseaux sociaux un nouvel écho chez les nouvelles générations. Il y a là une véritable « viralité » des mouvements contemporains que l’on a pu également observer récemment avec le mouvement #MeToo ou les marches pour le climat, et qui permet de démultiplier les forces en présence », décrypte Laurent Lardeux, sociologue spécialiste du militantisme chez les jeunes, chargé d’études et de recherche à l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire).

« On observe l’éclosion d’une nouvelle génération critique »

Vêtues d’un tee-shirt « Justice pour Adama », Hawa, Salamata, Cindy, Hanaine et leurs camarades sont venues dénoncer « le racisme ambiant » dans la société, et faire entendre leur voix, trop souvent « déconsidérées ». Mobilisées depuis quatre ans pour faire « éclater la vérité » dans l’affaire Adama Traoré, elles sont aujourd’hui de toutes les luttes « qui les touchent ». « Nous sommes une génération engagée, contre les violences policières, le racisme, mais aussi contre les violences faites aux femmes, le sexisme… On ne veut plus subir, mais construire notre avenir », explique Hawa, tout juste 20 ans. « C’est à nous de changer les choses, de choisir la société dans laquelle nous voulons vivre. L’avenir, c’est nous ! », ajoute Hanaine, qui milite également pour la défense de l’environnement, à travers les marches pour le climat.

« Les mobilisations actuelles que l’on observe sur la question des discriminations et des violences policières peuvent donner des moyens d’expression au sentiment de frustration que peuvent avoir certains jeunes citoyens, diplômés comme non-diplômés, de centre-ville comme de banlieue, en élargissant les causes à défendre », explique Laurent Lardeux. « De fait, on assiste aujourd’hui à l’éclosion d’une nouvelle génération critique. Les jeunes sont davantage sensibles que leurs aînés à une logique de transformation sociale et politique. Cette tendance s’observe très nettement par une participation très soutenue à différents mouvements de protestation comme ceux que l’on a vu apparaître ces derniers jours contre les violences policières, ou d’autres récents comme les Marches pour le climat », ajoute le sociologue.


Les membres du comité Adama Traoré, emmené par la charismatique Assa Traoré, ont eux aussi investi d’autres luttes sociales et sociétales pour se faire entendre. Ils ont défilé aux côtés des « gilets jaunes », pris la tête d’une manifestation d’organisations contre la politique d’Emmanuel Macron en mai 2018, et même participé à l’occupation d’un centre commercial avec les militants écologistes radicaux d’Extinction rebellion. « Les nouvelles générations déclarent un plus fort attachement aux valeurs que l’on appelle « post-matérialistes » liées à la lutte contre les discriminations, l’environnement, la justice sociale, la défense de la liberté d’expression, à la participation démocratique, et tendent à remplacer les anciennes générations « matérialistes » plus favorables aux questions liées à l’emploi ou au pouvoir d’achat », décrypte Laurent Lardeux.

« Avec la période de confinement qu’on vient de vivre, il y a un trop-plein »

Mathilde, elle aussi, se dit très engagée, et beaucoup plus encore ces derniers temps. « On ne devrait pas être là aujourd’hui à manifester contre le racisme. C’est d’un autre temps, d’une autre époque qui n’est pas la nôtre, ça ne devrait plus exister ! », explique l’étudiante, âgée de 23 ans, également militante pour la cause féministe. « La parole se libère un peu partout, les jeunes en ont ras le bol de tout ce qui se passe. Et avec la période de #confinement qu’on vient de vivre, il y a un trop-plein », ajoute la jeune femme. « Beaucoup sont là aujourd’hui pour se défouler après la période difficile que le pays a vécu, et sa gestion catastrophique par le gouvernement », confirme son amie Yoana.


Une thèse également avancée par Emmanuel Macron lui-même, qui en privé, aurait tissé « un lien entre le succès des manifestations spontanées contre le racisme et la période du confinement », constatant ainsi « qu’on avait fait vivre quelque chose de terrible aux jeunes » entre le 17 mars et le 11 mai. « Pour des ados, rester dedans c’est contre nature, presque aphysiologique. Cette jeunesse a besoin de causes pour s’exprimer, comme on l’a vu avec l’environnement », aurait confié le chef de l’Etat, selon des informations du Parisien.

Une convergence des luttes ?

« Après une période de confinement qui pourrait accentuer les inégalités entre jeunes, dans un contexte économique et social devenu très fragile, il n’est pas impossible que plusieurs catégories de jeunes investissent collectivement l’espace public pour construire une convergence des luttes et tenter d’élargir l’objet initial de la mobilisation », reconnaît également Laurent Lardeux, sociologue spécialiste de l’engagement des jeunes. Une convergence des luttes qui ne déplairait pas à Samir, engagé dans une association de lutte contre les discriminations en Seine-Saint-Denis. « A un moment ou à un autre, la jeunesse de ce pays va se réveiller, dire « stop » aux injustices, réclamer plus d’égalité et un avenir meilleur », explique le jeune homme.

L’accroissement des inégalités, « à la fois au niveau intra-générationnel (au sein d’une même génération de jeunes où les clivages n’ont jamais été aussi forts) et au niveau inter-générationnel (où les jeunes pourtant nettement plus diplômés que leurs parents s’estiment en situation de déclassement) pourrait constituer un motif supplémentaire à la mobilisation », prévient aujourd’hui Laurent Lardeux. Le président de la République semble avoir pris la mesure du phénomène, et devrait tenter de rassurer «la jeunesse» lors de son allocution dimanche soir.