Déconfinement : Effectifs (très) réduits, programme light… Que donne la reprise de l’école après deux semaines ?
EDUCATION La composition des classes a changé, le contenu des cours aussi…
- Selon les derniers chiffres du ministère, 20 % des élèves d’école primaire et 30 % environ des collégiens ont repris la classe, rarement à temps plein.
- De nombreuses écoles seraient en capacité d’accueillir davantage d’élèves qu’actuellement.
- Mais en raison d’une situation sanitaire incertaine, les parents craignent d’y renvoyer leurs enfants.
Ils ont redécouvert les récréations, les copains de classe et les cours en présentiel. Depuis deux semaines, 20 % des élèves d’école primaire ont repris le chemin de l’école et depuis une semaine, 30 % des collégiens. Mais force est de constater que ce retour en classe est très, très progressif. Certaines écoles, à peine rouvertes, ont dû refermer leurs portes, en raison de cas avérés de Covid-19.Et dans beaucoup d’autres, le nombre d’élèves revenus est même inférieur aux capacités d’accueil, calculées en fonction des consignes sanitaires. « C’est en dessous de ce qu’on peut faire. Et ce, parce que le ministre de l’Education a décidé que la reprise de l’école se ferait sur la base du volontariat », affirme Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp.
Des petits effectifs que constatent les enseignants sur le terrain, comme Manon : « Pour le moment, j’ai 10 élèves sur 23 qui sont revenus ». Idem pour Albane : « Mes élèves de grande section sont 8 à avoir repris. Et parmi eux, quatre sont prioritaires et viennent tous les jours, car au moins un de leur parent est enseignant, soignant ou parent isolé », explique-t-elle. Certaines familles n’ont pas voulu remettre leurs enfants à l’école, car elles étaient inquiètes des risques sanitaires. « D’autres ne l’ont pas fait parce qu’elles voulaient laisser la place aux enfants prioritaires », ajoute Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa. Et contrairement à ce que souhaitait Jean-Michel Blanquer, ce ne sont pas les élèves les plus en difficultés qui sont revenus en premier : « Les disparités entre les élèves se sont développées pendant le confinement et malheureusement, les élèves fragiles sont pour la plupart restés chez eux », constate ainsi Mathieu, professeur des écoles. « Les mamans qui ne travaillent pas ont souvent préféré garder leurs enfants. Ce principe de retour sur la base du volontariat n’a pas servi la cause sociale », commente Francette Popineau. Certains enseignants, à l’instar de Xavier, parviennent quand même à en faire revenir quelques-uns : « J’ai réussi à convaincre certaines familles de laisser leur enfant revenir, notamment pour un élève en difficulté dont les parents refusaient le retour ».
Une organisation à la carte
Pour redémarrer, chaque établissement a choisi ses modalités d’accueil : « Certaines écoles n’ouvrent que le matin, d’autres toute la journée. Certaines accueillent les mêmes enfants toute la semaine, d’autres ont établi un système de rotation », note Francette Popineau. « Beaucoup d’élèves ne sont pas avec leur enseignant habituel et les classes accueillent des enfants de différents niveaux », constate aussi Stéphane Crochet. « Nous avons repris la classe en deux demi-groupes sur les lundis – mardis et jeudis – vendredis » témoigne ainsi Mathieu. « Nous avons une organisation à mi-temps : le lundi et mardi en classe avec tous les élèves présents, le jeudi est une journée consacrée aux élèves prioritaires, et le vendredi nous permet de continuer l’école à distance avec les élèves non présents », raconte de son côté Manon.
Au collège, les emplois du temps ont été encore plus complexes à planifier, comme l’atteste Sandrine : « Mon collège a privilégié une organisation sur le matin (3 heures) en décalé et 8 groupes de 6e et 5e. Tous les enfants inscrits ne sont pas venus et nos effectifs sont faibles (de 6 à 9 élèves par groupe). En grande majorité, les élèves sont dans leur groupe classe, mais un groupe est composé de 2 classes de 6e. Cela signifie que les 2/3 des enfants sont restés au domicile. Nous avons réduit l’offre éducative, mais globalement, toutes les disciplines sont assurées. En histoire-géographie, je les prends une heure par semaine, et je fais le reste à la maison en classe virtuelle ».
« Nous continuons le programme, mais de façon très light et ralentie »
Et si avant le confinement, beaucoup d’élèves traînaient des pieds pour venir à l’école, cela n’est plus le cas, constate Sandrine : « Ils sont ravis d’être là et qu’on s’occupe d’eux, qu’on explique le travail, qu’il existe des interactions entre eux et nous. Et on a un bon retour des parents, ravis de voir leurs enfants rentrer à la maison sans devoirs à faire », indique-t-elle. « Tout le monde était très content de revenir à l’école pour voir les copains », atteste aussi Manon. Mais après deux mois de travail à distance, certains enseignants ont constaté le retard pris par certains : « Ils se sont rendu compte de la fragilité de ce qui a été fait à la maison. Car l’investissement des élèves est inférieur quand ils sont encadrés par leurs parents plutôt que par leur enseignant », affirme Stéphane Crochet. « Certains élèves ont régressé au niveau de la lecture. Pour le moment, c’est le seul point que j’ai pu relever », indique Manon.
Du coup, depuis deux semaines, les enseignants tentent de remettre leurs élèves à niveau. « Les enseignants ont plutôt tendance à entretenir les compétences qu’à avancer le programme. Et dans la majorité des cas, les lacunes des élèves se rattraperont, à condition de réorganiser les programmes l’an prochain », estime Francette Popineau. « Le fait d’être en présentiel permet une meilleure assimilation des compétences, car les élèves se mettent davantage en situation d’apprentissage et ont des interactions immédiates », souligne Stéphane Crochet. « Nous continuons le programme, mais de façon très light et ralentie. Nous avons décidé de cibler les compétences (analyser un document, rédiger un texte construit, se repérer…). Idem dans les autres disciplines, avec remise à niveau en maths pour les points non compris », explique Sandrine, enseignante d’histoire-géographie au collège. Et certains enseignants, comme Xavier, tentent de recréer un esprit de classe malgré les absents : « Je me sers de ce que je propose en distanciel et je le fais en classe avec les présents. Je rajoute pour les présents des activités pour faire du lien avec ceux restés à la maison : vidéos de "questions aux absents", vidéos de présentation de la classe version gestes protecteurs, danse Madisson, activités d’arts plastiques… ».
« La dynamique de classe est assez faible »
Mais le respect du protocole sanitaire entraîne son lot de complications : « Avec le port du masque, il est difficile de bien se faire comprendre. Nous devons également faire toutes les photocopies à l’avance, ce qui n’aide pas, car parfois on pense à un exercice qu’on n’a pas photocopié. Les premières récréations ont aussi été compliquées au niveau des gestes barrières : ils ne respectaient pas les distances et avaient tendance à tout toucher », témoigne Manon. « La dynamique de classe est assez faible, car un groupe de 8 ou 9 élèves à peu d’interactions et les règles de sécurité que nous sommes obligés de respecter (pas de déplacement, pas de matériel collectif…) ne facilitent pas la vie de classe », renchérit Mathieu. « On ne fait que de l’aide à distance, pas de correction individuelle sur les cahiers, pas d’activités sportives collectives et un minimum de déplacement dans la classe, et donc des passages au tableau très occasionnels », abonde Xavier.
Et dans les petites classes, les contraintes semblent encore plus fortes : « Tous les lundis, il faut expliquer les gestes barrières car les élèves ont relâché leur vigilance pendant le week-end », indique Francette Popineau « En maternelle, les enseignants ont dû réadapter tous leurs contenus pédagogiques. Et le respect des gestes barrières ralentit forcément le rythme de la classe », abonde Stéphane Crochet. Les enseignants attendent avec impatience les nouvelles annonces du gouvernement cette semaine : « Le ministre voudrait que nous accueillions davantage d’enfants. Mais cela ne pourra se faire que si le protocole sanitaire est assoupli et que si nous avons l’assurance médicale que cela ne créera pas une deuxième vague de contaminations », insiste Francette Popineau.