Coronavirus : Pourquoi de plus en plus de femmes abandonnent le soutien-gorge
NO BRA De nombreuses femmes ont abandonné leur soutien-gorge pendant le confinement mais pas sûr que cette nouvelle habitude dure avec le retour du métro et du boulot
- 8 % des femmes ne portent plus de soutien-gorge pendant le confinement, selon une étude réalisée par l’IFOP les 3 et 4 avril 2020 auprès de 1.016 personnes.
- « Ce chiffre en dit beaucoup sur le poids des injonctions extérieures », selon la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, autrice du livre « Seins, en quête d’une libération » (Editions Anamosa).
- Jean-Denis Rouillon a réalisé une étude de près de quinze ans sur l’utilité du soutien-gorge. Selon ses mesures, au bout d’un an d’arrêt, les douleurs partiraient et les mamelons gagneraient un peu de hauteur.
Marques rouges sur la peau, irritations, impression de ne pas pouvoir pleinement respirer : toutes ces sensations, près d’une femme sur dix ne les connaît plus depuis le début du confinement. Selon une enquête de l’Ifop réalisée début avril, une femme de 18 à 24 ans sur cinq ne porte plus de soutien-gorge depuis le 17 mars. Ce chiffre « en dit beaucoup sur le poids des injonctions extérieures », estime la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, autrice du livre Seins, en quête d’une libération sorti le 5 mars dernier.
« Pendant le confinement, les femmes se retrouvent débarrassées du poids des regards extérieurs. C’est inédit. Elles ont pu en profiter pour changer certaines habitudes et, entre autres, on a vu que certaines abandonnaient leur soutien-gorge. » Parmi ces femmes, Laura, Sabrina ou Sarah-Laurence. La plupart d’entre elles voulaient laisser leurs seins libres depuis longtemps. L’obligation pour toutes et tous de rester chez soi en a été l’occasion.
Une « recorsetisation » du soutien-gorge
Si les raisons qui les ont poussées à faire ce choix sont aussi nombreuses que variées, celle qui ressort le plus souvent est la recherche de confort. Car le soutien-gorge peut faire mal. Il suffit de compter le nombre de femmes qui, une fois franchi le pas de leur porte, s’empressent d’ôter leur soutien-gorge. Mathilde, qui n’en porte plus depuis près d’un an, se rappelle : « Je me grattais constamment cette partie jusqu’au sang. Aujourd’hui, je me sens libre. » Même sentiment pour Laura, 30 ans, qui a décidé de laisser ses seins libres depuis le début du confinement. « Je me sens moins coincée et j’arrive vraiment mieux à respirer. »
Pourtant, à sa création en 1889 par Herminie Cadolle, le soutien-gorge est vu comme une révolution permettant aux femmes de se libérer des corsets très serrés. A l’époque, il est même baptisé « Bien-être ». « Pendant longtemps les soutiens-gorge ont représenté une forme de libération du corps des femmes. Mais depuis l’apparition du Wonderbra dans les années 1990, on a assisté à une forme de ‘‘recorsetisation’’ des soutiens-gorge, avec des renforcements, des mousses, des coussinets, des armatures et des élastiques de plus en plus contraignants », explique Camille Froidevaux-Metterie.
Une réadaptation du sein au bout d’un an
Si le soutien-gorge fait mal, une poitrine volumineuse non soutenue pourrait s’avérer douloureuse, qu’il s’agisse de courir après un bus ou de pratiquer un sport violent. C’est pour cette raison que Laura et Sabrina remettent une brassière quand elles font de l’exercice. Mais ces douleurs ne seraient pas irrémédiables selon Jean-Denis Rouillon, médecin du sport aujourd’hui à la retraite. Au début des années 2000, il a réalisé une étude sur 15 ans à ce sujet. Son constat : au bout d’un an, le sein se réadapte à l’absence de soutien extérieur.
Le système suspenseur existe quelle que soit la taille de la poitrine.
Jean-Denis Rouillon a commencé par une première thèse réalisée sur 33 jeunes femmes sportives puis une deuxième sur un échantillon plus diversifié de 50 femmes. En tout, il a ausculté plus de 300 paires de seins et mesuré leur évolution. Pour chacun des deux groupes, il en a tiré les mêmes conclusions. « Notre hypothèse principale, c’est qu’au départ le sein est capable de s’assumer tout seul grâce aux ligaments de Cooper. » Ce système suspenseur existe, quelle que soit la taille de la poitrine. « Mais au bout de quelques années de soutien-gorge, surtout s’il est mis pendant la période de croissance des seins, le système dégénère et ensuite la femme est captive. Si elle veut arrêter de porter des soutiens-gorge, elle aura les seins lourds et douloureux. » Selon lui, après l’arrêt du port de tout type de brassière, il faut un an pour que le sein se réadapte aux nouvelles conditions, à la pesanteur et aux pratiques sportives.
On fabrique un faux besoin et ensuite la femme est captive du faux besoin qu’on a fabriqué.
Si le Docteur Rouillon s’est penché sur cette question, c’est parce qu’aucune étude sur le sujet n’avait été réalisée dans le monde. Alors qu’il exerçait en tant que médecin du sport à Besançon, il avait pu s’apercevoir que de nombreuses sportives ne portaient pas de soutien-gorge. Surpris par ce constat qui venait contredire ce qu’on lui avait appris en étude de médecine sur la fragilité du sein, il décide de partir à la recherche d’une bibliographie. A sa grande surprise, il ne trouve rien. « Je trouvais ça fou. Je me disais "depuis plus de cent ans, les femmes de la planète, surtout les Européennes, mettent consciencieusement un soutien-gorge tous les matins sans que son utilité n’ait jamais été prouvée". »
Aucune étude prouve l’utilité du soutien-gorge
En écrivant son livre, Camille Froidevaux-Metterie a fait le même constat. Aucune étude scientifique, hormis celle du Dr Rouillon n’existe sur ce sujet. « Il y a des gens qui ont beaucoup à perdre à la démonstration de l’inutilité des soutiens-gorge, pour celles qui peuvent s’en passer. Il y a toute une industrie des sous-vêtements qui a intérêt à ce que les femmes portent des soutiens-gorge et en changent souvent. » Mais pourquoi alors porter un soutien-gorge ? Pour Jean-Denis Rouillon, c’est inévitable. « La mécanique est perverse. On fabrique un faux besoin et ensuite la femme est captive du faux besoin qu’on a fabriqué. Le comble, c’est que la solution pour que la femme soit confortable c’est d’entretenir cet artifice de soutien des seins. »
Les seins ne seraient donc pas plus douloureux après une année passée sans soutien-gorge et ils pourraient même se rehausser. L’ancien médecin a constaté que le mamelon des seins des femmes qui avaient participé à son étude était remonté de sept millimètres en un an.
Faire travailler ses muscles suspenseurs
Un constat qu’a pu faire Mathilde, 22 ans, en abandonnant son soutien-gorge l’été dernier. Sa forte poitrine se serait « raffermie, tonifiée et [aurait] remonté. » Et c’est justement après avoir lu cette étude, que Sabrina, 28 ans, a elle aussi décidé d’arrêter d’en porter. « Faisant du 95F, je n’ai toujours eu qu’une peur, c’est que mes seins tombent. » Alors elle a profité du confinement pour tenter de se séparer de son soutien-gorge, espérant faire retravailler ses muscles suspenseurs. Et elle constate déjà le résultat sur sa poitrine.
Mais pour la sociologue, cet aspect ne devrait pas être essentiel. « La question de savoir si les soutiens-gorge rendraient les seins plus beaux ou éviteraient leur affaissement est selon moi presque à bannir. Il y a une chose qui est évidente, c’est qu’avec le vieillissement, la peau change de nature. Donc cette obsession de la recherche d’une forme de jeunesse perpétuelle est complètement vaine. Elle contribue à produire des effets très dommageables pour les femmes, notamment celles qui passent le cap de la cinquantaine. »
Accepter son corps au naturel
Car arrêter de porter des soutiens-gorge, c’est aussi accepter son corps au naturel. « En l’abandonnant, j’ai un artifice en moins. Je me sens mieux, plus moi et je me sens plus en accord avec moi-même », admet Laura. « Maintenant, j’accepte mieux ma poitrine au naturel. » Ce travail d’acceptation de son corps, Mathilde aussi l’a expérimenté. La jeune femme était extrêmement complexée par sa forte poitrine qui « tombait beaucoup » selon elle. Depuis qu’elle la laisse libre, elle l’assume plus facilement. « Je trouve ma poitrine dix fois plus jolie maintenant. J’apprends de jour en jour à l’aimer davantage. Je dirais même qu’elle fait partie du top 3 des parties de mon corps préférées. »
Si des seins volumineux peuvent être difficiles à assumer, une petite poitrine l’est tout autant selon Edwige, 41 ans. « Avant je mettais des soutiens-gorge pour prendre, au moins visuellement, une taille de bonnet supplémentaire. Ma poitrine n’est pas vraiment raccord avec mes formes pulpeuses et j’ai longtemps eu du mal à l’assumer. » Pour Sabrina aussi, arrêt du port du soutien-gorge et acceptation de sa poitrine au naturel vont de pair. « Il y a ce diktat qui dit que la poitrine doit être ronde et haute. Je voulais m’habituer à ne pas avoir cette poitrine qu’on a grâce au soutien-gorge. Depuis toujours, j’ai une implantation basse des seins que j’avais beaucoup de mal à accepter. Mais au fur et à mesure, ça ne me dérange plus. »
Un outil de formatage des seins
Un diktat que la philosophe analyse ainsi. « Le soutien-gorge n’est pas seulement quelque chose qui enserre les femmes ou qui peut les gêner, même s’il est évidemment utile à celles qui ont de gros seins. C’est aussi un outil de formatage des seins destiné à les faire correspondre à un certain idéal imposé à toutes : la demi-pomme, un sein rond, suffisamment gros, ferme et haut. Donc ne plus porter de soutien-gorge, c’est aussi rendre visibles des formes et des tailles de seins différentes. »
Mais pas sûr que cette nouvelle habitude survivra au confinement. Car entre les transports en commun et les collègues de travail, il n’est pas toujours facile d’assumer les regards face à ses tétons qui pointent ou sa poitrine qui tombe. Raphaëlle, qui ne porte pourtant plus de soutien-gorge depuis longtemps, en ressort un de sa penderie lorsqu’elle porte des hauts moulants. « Au travail, je me dois d’être un minimum sobre, non seulement devant les enfants, car en tant qu’adultes nous sommes des exemples pour eux, mais également devant leurs parents. »
Le tabou du téton
Laurence-Sarah, 49 ans, a opté pour le « no bra » depuis le début du confinement, mais elle s’oblige à remettre un soutien-gorge lorsqu’elle sort de chez elle. « Dans la rue, je ne suis pas du tout sereine face au regard libidineux de certains hommes. Et ça m’ennuie parce que j’aimerais vraiment ne plus avoir à en porter. » Car les regards et remarques ne sont jamais bien loin, même en restant chez soi. « On était à la maison et ma coloc m’a dit de remettre un soutien-gorge parce que j’avais les seins qui pointaient et que c’était chaud », raconte Laura, confinée avec des amis. « Du coup, j’ai été en remettre un. Je ne voulais pas mettre les gens mal à l’aise ou que ce soit un sujet de conversation. »
C’est là tout le paradoxe du soutien-gorge, comme l’explique Camille Froidevaux-Metterie. « Par certains côtés, il est là précisément pour signifier le corps sexuel en créant un décolleté pigeonnant ou en rendant les seins plus gros quand il est rembourré. Mais il est aussi là pour les cacher notamment en effaçant complètement les tétons. »
Mais parmi celles qui ont rangé leur soutien-gorge tout au fond de leur dressing, quelques-unes peuvent avoir envie d’en remettre un de temps en temps. « Certaines femmes peuvent trouver du plaisir à en choisir de jolis, en dentelle par exemple, parce que cela joue un rôle dans leur vie amoureuse et sexuelle. » Pour toutes ces raisons, voulues ou subies, conscientes et moins conscientes, certaines femmes rouvriront leur placard à la recherche d’un soutien-gorge une fois le confinement derrière elles. Selon Camille Froidevaux-Metterie, « finalement, ce qui compte, c’est de pouvoir chacune faire avec nos seins ce que nous voulons. »