Coronavirus à Marseille : « Les derniers remparts avant que ça ne cède », un « Uber solidaire » installé dans un Mcdo des quartiers Nord
SOLIDARITE Des associations ont réquisitionnés un McDonald's des quartiers Nord de Marseille pour organiser des livraisons de colis aux plus démunis, 44.000 personnes ont déjà pu être nourries
- A Marseille, d’anciens salariés et des membres d’association ont réquisitionné le McDonald’s de Saint-Barthélémy, dans les quartiers Nord de Marseille, pour organiser la distribution de colis alimentaires.
- Près de 44.000 personnes ont pu être nourries grâce à la mobilisation de ces petites associations.
- Malgré le début du déconfinement, des personnes en grande situation de précarité continuent de solliciter l’aide des associations pour survivre.
Un havre de solidarité au milieu d’une tempête de misère. Après avoir été l’épicentre d’une lutte sociale contre le géant américain McDonald's, le fast-food de Saint-Barthélemy, dans les quartiers Nord de Marseille, est devenu le quartier général de la solidarité pour les personnes les plus démunies durant cette pandémie de Covid-19.
Il est 14 h 30 ce mercredi, Wada et Fatiha se présentent sur la voie du drive avec une camionnette prêtée par la RTM, le réseau de transports en commun marseillais. Elles ne viennent pas chercher un Big Mac, mais récupérer une centaine de colis alimentaires dans ce « Uber solidaire », qu’elles vont s’empresser de distribuer dans la cité de la Paternelle, à quelques encablures de là. « A peine on arrive, les gens se dépêchent de venir chercher leur colis sinon ils n’ont rien. On les appelle et ils descendent le chercher. A chaque distribution, des personnes s’ajoutent sur la liste », explique Wada. Rien qu’en ce mercredi matin, 100 personnes sont venues s’inscrire directement au McDo pour bénéficier de ces colis alimentaires
« On nous a prévenus que des gens mourraient de faim »
Derrière la fenêtre du drive, Salim Grasbi, du syndicat des quartiers populaires de Marseille, s’active avec d’autres bénévoles pour faire passer les colis, et surtout veiller à ce que rien ne manque. Riz, farine, conserves, lait, fromage, huile, les colis sont confectionnés pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre personnes pendant trois jours environ.
Les colis à peine confiés aux associations de quartiers, il faut déjà s’activer pour réceptionner d’autres marchandises. Des associations inscrites à la Banque alimentaire viennent déposer leur surplus, comme cette tonne et demie de pommes tout juste livrée. « Ça tombe bien, on manquait de fruit et légumes », se réjouit Salim.
Les pommes sont directement déchargées dans la chambre froide de l’ancien fast-food, un outil indispensable pour distribuer les 550 colis quotidiens. Sans compter les colis fournis pour les maraudes quotidiennes pour les SDF, notamment. « Au bout de deux, trois semaines de confinement, on a commencé à recevoir des coups de téléphone pour nous prévenir que des gens mourraient de faim. Au début je n’y croyais pas, on est allé faire un tour avec Kamel et là on s’est rendu compte de la situation de détresse dans laquelle se trouvaient beaucoup de familles », raconte Salim.
Près de 44.000 personnes nourries par les associations
Avec Kamel Guemari, l’ancien directeur adjoint du restaurant fermé en décembre dernier après une féroce bataille judiciaire entre les salariés et l’ancien franchisé, ils décident de contacter McDonald’s pour leur demander de mettre à disposition le restaurant, pensant leur faire une belle publicité. « On a fait les choses dans les règles, mais leurs avocats nous ont répondu qu’ils ne voulaient être associés, ni de près, ni de loin, à cette démarche solidaire. Comme Kamel a encore les clés, on a décidé de le réquisitionner le 6 avril. Tous leurs outils restent en place, et le restaurant sera complètement nettoyé pour qu’ils récupèrent leurs biens », prévient Salim.
Depuis, le restaurant a pris les allures d’un centre de gestion de crise. Pour rentrer, il faut d’abord se désinfecter les chaussures, puis les mains. Directement à l’entrée, un panneau indique les personnes prévues pour les différents roulements de quatre heures, « la durée de vie du masque ». Dans une petite pièce à droite, d’autres tableaux sont affichés au mur. « Celui-ci, ce sont les 45 quartiers de Marseille. Pour chaque quartier, il y a le nombre de colis à préparer, et le référent de l’association locale chargée de la distribution. Et sur celui-là, on a les livraisons prévues chaque jour. Par exemple [ce mercredi], nous livrons huit quartiers. Au début, il nous fallait 10 jours pour livrer les 45 quartiers, mais maintenant on a gagné en efficacité on y parvient en huit jours », détaille Salim. Depuis le 6 avril, les bénévoles du McDonald’s de Saint-Barthélemy ont nourri 44.000 personnes.
D’autres pièces servent à conserver les produits secs, à reconditionner les sacs de 5 kilos de farine en portion d’1 kilo. Et les fruits abîmés sont même transformés en smoothies pour être distribués lors des maraudes. Les associations s’approvisionnent grâce aux dons de particuliers ou d’autres associations, « notamment Emmaüs de la Pointe Rouge avec Fati Bouaoura qui se démène depuis le début », ou alors en achetant de la nourriture grâce à la cagnotte en ligne.
Les petites associations au front
La fin du confinement, et le début du déconfinement, n’a pas freiné la misère dans laquelle vivent certaines familles, bien au contraire. Depuis le 11 mai, une centaine de nouvelles familles viennent s’inscrire quotidiennement. « Les gens sont en colère et ont peur, ils ont peur d’être abandonnés et de se retrouver sans rien. Le peu d’argent qu’ils récupèrent sert à payer les crédits qu’ils ont dû contracter pour ne pas mourir de faim pendant le confinement. C’est de pire en pire », constate Karima de l’association Rebondir 13, sur le pont avec de nombreuses autres petites associations depuis la mi-mars.
Ici, tous partagent le même constat. « Beaucoup de petites associations ont arrêté depuis le début du déconfinement en signe de ras-le-bol face à l’absence des pouvoirs publics. Comme Massilia Couches System, qui fournissait des produits pour bébés. Il demande que le département remplisse enfin son devoir avec le déconfinement », avance Salim.
« Ce qui nous frappe c’est la désertion des grandes structures subventionnées qui avaient complètement fermé. On les voit revenir. Au début, la métropole s’est rapprochée de nous pour organiser la distribution et pour éviter les doublons. Au final ils ont récupéré nos fichiers, mais ils font appel aux centres sociaux sous prétexte qu'ils n'ont pas confiance en nous. A la fin ce sont eux qui déposeront les dossiers de subventions et nous on galère pour avoir rien qu’un local », expliquent Sarah, de l'association Dihya et Nabila, de l’association de la cité SNCF.
« Un dernier rempart »
Tous regrettent un cruel manque de reconnaissance après tout le travail accompli. Ils vont lancer « l’appel des oubliés », pour justement se faire entendre face au retour de ces grosses structures alors qu’ils étaient seuls au front bénévolement pendant toute la crise. « On a fait ce qu’on a pu et on continue. On n’a pas le choix, on est les derniers remparts avant que ça ne cède », estime Salim.
Seuls depuis le début de cette crise sanitaire face à la misère rampante et à l’absence des pouvoirs publics, les bénévoles préfèrent garder le sourire et voir le positif. « Une équipe formidable, une belle dynamique, une équipe magnifique », résonne un peu partout dans le fast-food en guise d’encouragements mutuels. Mais Salim n’oublie pas : « Les anciens de la marche des fiertés me disent "nous à l’époque on se battait pour avoir plus, vous vous battez pour éviter d’avoir moins". »