VIDEO. Coronavirus : Vendeurs, coiffeur, garagiste… On a passé la journée avec les Parisiens déconfinés
RÉCIT Les commerçants et artisans parisiens ont petit à petit rouvert les portes de leurs magasins, ce lundi, après huit semaines de confinement dû au coronavirus
- Ce lundi débute la première phase de déconfinement en France après huit semaines de restrictions. C’est aussi le jour du retour de « 20 Minutes » en version papier.
- Depuis le début de l’épidémie, 26.310 personnes sont décédées du coronavirus en France, dont 70 ces dernières 24 heures, a annoncé la direction générale de la Santé dimanche soir.
- Les Français peuvent désormais reprendre le travail, se déplacer dans un rayon de 100 kilomètres autour de chez eux et prendre les transports mais avec un masque et, dans certaines circonstances, avec une attestation.
Un air de déjà-vu. Et pourtant, rien ne sera plus jamais comme avant. Après huit semaines de confinement dû au coronavirus, Paris comme le reste de la France a renoué, ce lundi, avec un peu plus de liberté. Plus besoin d’attestation pour sortir de chez soi. Plus besoin de limiter la promenade à une heure et dans un rayon d’un kilomètre. Mais impossible de prendre le métro sans un masque. Et il y a du gel hydroalcoolique à l’entrée de chaque bâtiment. 20 Minutes s’est promené toute la journée dans les rues de Paris pour découvrir à quoi ressemble cette première journée déconfinée…
8h48 – « Je croyais que le métro serait blindé… »
Sous le masque, le maquillage est soigné. Le look, apprêté. Mais avec sa grosse valise rouge sous le bras, Lison, 24 ans, a tout de même l’air d’une vacancière sur le départ. « Non, corrige-t-elle gentiment quand on l’interroge alors qu’elle emprunte le métro à la station Mairie d’Issy. Je suis avocate stagiaire. Cette valise me sert à transporter tous les dossiers que j’avais amenés chez moi et sur lesquels j’ai bossé pendant deux mois. Maintenant, il faut que je retourne au cabinet dans le 17e arrondissement de Paris. »
La rame est quasiment vide. Contrairement aux clichés de la ligne 13 ou du RER B qui ont circulé sur les réseaux sociaux, il n’y a pas grand monde sur « la 12 ». Impossible donc de manquer les autocollants fixés sur les murs des stations ou sur les sièges et qui rappellent les gestes barrières préconisés pour lutter contre le coronavirus. « Je suis très étonnée de voir aussi peu de monde, reconnaît Lison. Je croyais que le métro serait blindé… Mais je vais quand même essayer de ne pas le prendre dans les prochains jours. »
Choix cornélien… La jeune fille avoue qu’elle n’est pas totalement rassurée mais qu’elle a besoin de voir ses collègues pour avancer sur ses dossiers et bénéficier d’un peu de contact aussi. « Je vis seule. Je n’ai vu personne pendant huit semaines à part mon beau-frère qui, hier, m’a apporté des masques. Vous êtes la deuxième personne à qui je parle vraiment depuis mars… »
9 h 13 : « Je suis désolé. Je suis déjà complet »
En s’ouvrant, la porte produit un joli tintement. Pierre ne laisse même pas le temps de dire bonjour qu’il prévient : « Je suis désolé. Je suis déjà complet… Toute la semaine… Il ne me reste que quelques places samedi après-midi éventuellement… » Derrière lui, les paires de ciseaux et les peignes sont bien alignés juste à côté d’un flacon de gel hydroalcoolique.
Installé rue de l’abbé Groult (Paris, 15e), ce coiffeur de 53 ans avait anticipé le déconfinement. « Il y a une semaine, j’ai affiché mon portable sur la devanture en conseillant de m’appeler pour prendre un rendez-vous. Et puis, de mon côté, j’ai joint tous mes habitués… » Grand sourire aux lèvres, il attend désormais que le premier client se présente. « Il va y avoir de tout. Du petit garçon au vieux Monsieur ». Et aussi des gens qui auront envie de parler après huit semaines d’isolement. « Oui, c’est sûr, sourit-il. Parler, ça fait aussi partie du métier. »
10 h 20 : « J’ai deux élèves de sixième qui sont perdus »
Connue pour son enfilade de magasins, la rue de Rennes semble sortir d’hibernation. Un homme en combinaison désinfecte la boutique Orange. Plus loin, une vendeuse de chez Eram ouvre les derniers cartons. Quand à la boutique Naf-Naf, elle prévient, par la voix d’une employée, qu’elle n’ouvrira que « mardi » et qu’elle n’a « pas une minute à perdre ».
Il faut donc pousser jusqu’à Notre-Dame-des-Champs (Paris, 6e) pour trouver des gens qui ont un peu de temps. Au croisement avec le boulevard Raspail, cinq personnes réinventent le bonheur de la terrasse de café sans terrasse. Un gobelet de café à la main, clopes au bec, ils rigolent debout devant un bistrot sans vraiment se soucier de la distance physique à respecter ou des masques qu’il faut désormais porter.
« Nous sommes enseignants dans un groupe scolaire du 16e arrondissement de Paris. On est venu ici pour une réunion de préparation à la reprise, justifie l’une d’entre eux. Cela fait huit semaines qu’on ne s’est pas vu. » Pour l’occasion, ça badine un peu. On parle de l’épaisseur des cernes. Et du « bronzage – balcon » qu’une institutrice arbore fièrement. Mais le sujet est grave. « J’ai deux élèves de sixième qui sont perdus », assure la professeur d’anglais. « Moi, j’ai une petite en dépression », complète l’institutrice. D’où l’unanimité à la question essentielle : « Oui, il faut reprendre. Même pour quelques jours. On va pouvoir récupérer quelques élèves… »
10h40 : « Au secours ! Je ne sais plus où est la tête. Où sont les fesses ? »
Les humains ne sont pas les seuls à souffrir d’une pilosité débordante après deux mois sans coiffeur. Rue Vavin, l’enseigne Ho Dog Chic est déjà à l’ouvrage. Un gentil toutou se fait sécher le poil dans l’arrière-boutique pendant qu’Emmanuelle, la gérante, liste toutes les mesures mises en œuvre pour poursuivre son activité. « Il y a du gel à l’entrée, un plexiglas pour l’hôtesse d’accueil et on a investi dans des essuies en papier et non plus en éponge… »
Car le travail ne va pas manquer. « Grâce à notre plateforme de rendez-vous, notre carnet est déjà bien rempli. Si vous saviez le nombre de personnes qui nous ont appelés. La plus drôle ? La propriétaire d’un Spitz qui m’a dit : ‘’Au secours ! Je ne sais plus où est la tête. Où sont les fesses ?’’ » Attention chéri, ça va bientôt couper…
13 h 37 : « La préoccupation d’une ado, c’est Zara… »
Avec son tube de gel à la main et son masque, le vigile n’a pas l’air très accueillant. Mais de nombreuses femmes se lancent quand même à l’assaut de Zara alors que le soleil pointe le bout de son nez. Parmi elles, Laurence ne fait pas la fière. « Non, ce n’est pas pour moi, se défend-elle. En réalité, je travaille dans une agence immobilière à côté. Et je suis venue pour faire plaisir à ma fille. »
Et la maman de sortir son téléphone sur lequel elle a filmé la nouvelle collection qu’elle envoie à Mickaëla son adolescente de 17 ans. A peine le temps de discourir sur le fait que « la préoccupation d’une ado, c’est Zara… » que le portable bipe. Et la réponse fuse : « Mais non ma chérie, c’est trop moche ! Je ne donnerai même pas un euro pour ça… » Fin de la séance shopping par procuration.
Dans le prolongement, certains sont beaucoup plus décidés. La file d’attente pour entrer à la FNAC s’étend sur 150 mètres environ, chaque client à bonne distance des autres. Dont Céline, 47 ans. « Je suis venue acheter du matériel pour permettre à ma fille de boucler son projet en arts plastiques. Comme son collège ne va pas rouvrir tout de suite… Les livraisons, ce n’est pas trop mon truc… »
14 h 20 : « Les activités sportives et de détente interdites au cimetière »
De l’autre côté du boulevard du Montparnasse, une longue barrière se dresse à l’entrée du cimetière. Un corbillard manœuvre à l’intérieur et un petit groupe de gens masques et vêtus de noir patiente le long des pelouses. Plusieurs personnes tentent de rentrer. Un agent de la mairie fait le tri. « En dehors des cérémonies, on ne fait rentrer que ceux qui veulent entretenir ou se recueillir sur une tombe, justifie-t-il. Les autres entrées étant fermées, on ne peut donc pas traverser le cimetière. Il faut faire le tour… »
Et pour ceux qui en douteraient, une affichette officielle a été posée sur la lourde porte d’entrée. « Les activités sportives ou de détente sont interdites… »
15 h 17 : « On a fait une douzaine d’interventions sur des batteries en rade »
A l’entrée de son garage, Patrice, 71 ans, regarde la vie tant qu’il y en a. Surtout le temps qu’un employé passe la serpillière dans le bureau. « On a rouvert ce matin, confirme le garagiste installé rue Mouton-Duvernet (Paris, 14e). On est un petit garage. Mais on a tout de même eu une douzaine d’interventions pour des batteries à plat depuis ce matin. Les gens n’ont pas fait tourner leurs moteurs pendant deux mois. Alors ça coince… »
Pour les autres, Patrice sort son agenda de rendez-vous. « En une matinée, j’ai calé dix jours de rendez-vous. Remarquez, c’est toujours moins que ma femme qui tient un salon de coiffure. Depuis qu’elle a rallumé son téléphone, elle a pris 230 rendez-vous. »
16 h : « On honore des commandes passées avant le confinement »
« Touchez avec les yeux », indique malicieusement une pancarte. Comme beaucoup, les opticiens ont rouvert leurs portes ce lundi matin. Avenue du général Leclerc, tout est immaculé. Mais la faible affluence est trompeuse. « Nous avons fixé des rendez-vous. Un client à chaque heure, informe le directeur. Afin d’éviter les problèmes… »
Après deux mois, il est temps d’y voir clair. « La moitié des gens ont cassé leurs lunettes. Par exemple, on a refait une paire pour Stéphane Plaza ce matin. L’autre moitié, ce sont des commandes qui datent d’avant le 16 mars. Oui, on honore des commandes passées avant le confinement et qui sont restées en suspens depuis… »