Coronavirus : Course contre la montre, injonctions contradictoires… Le casse-tête du retour en classe pour les directeurs d’école et les principaux
EDUCATION Le retour programmé des élèves à partir du 12 mai dans les écoles et à partir du 18 mai dans les collèges en zone verte suscite l’inquiétude des personnels de direction
- Pour les directeurs d’école et les principaux de collège, l’organisation de la reprise relève du casse-tête et fait peser une grosse pression sur leurs épaules, tant les contraintes sanitaires à respecter sont strictes.
- Un travail titanesque et dans l’urgence qui engendre des doutes chez les personnels de direction.
Plus que quelques jours avant que les premières écoles rouvrent leurs portes après le confinement. La rentrée est prévue sur la base du volontariat à partir du 11 mai « dans la majorité des écoles », a assuré ce week-end le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, avec un maximum de 15 enfants par classe. La réouverture pour les collèges en zone verte aura lieu, elle, à partir du 18 mai. Le protocole sanitaire de l’Education nationale publié ce dimanche a précisé aux directeurs d’école et principaux de collèges les consignes à appliquer dans leurs établissements.
A eux ensuite de réaménager les espaces, penser au sens des déplacements, réorganiser les emplois du temps, décider quels élèves viendront en priorité, prévenir les parents, recenser les enseignants qui pourront travailler sur place…
« Il s’agit d’une préparation de rentrée au même titre que celle de septembre »
Un travail titanesque et dans l’urgence, comme nous le confie un directeur d’école sous le sceau de l’anonymat : « On est sur le pont pour tout organiser, faire le lien avec la mairie, les parents, les collègues enseignants, organiser l’accueil et le suivi pédagogique à distance. Les textes sont tombés le lundi 4 mai au soir, les écoles doivent rouvrir le 11, sachant que le 8 est férié… Trois jours pour être prêt, tout mettre en place, commander le matériel nécessaire, contacter toutes les familles, faire les groupes… », explique-t-il. Même son de cloche chez Kate, directrice d’école : « C’est à moi d’assurer la mise en place du protocole avec la mairie. Depuis quelques jours, plus de nuit, ma famille me reproche de ne plus assurer au quotidien ».
Et même si les collèges ne reprendront au mieux que le 18 mai, le compte à rebours est aussi difficile à gérer, comme l’atteste Manuel, principal : « En réalité, il s’agit d’une préparation de rentrée au même titre que celle de septembre. Le problème est le temps imparti à cette activité. En une dizaine de jours, nous avons à réaliser l’impossible. Tous les services sont au travail afin de coller aux attentes sanitaires sans savoir si ces actions vont suffire à protéger les adultes et les enfants. Je ressens la plus grande responsabilité de ma carrière et n’ouvrirai pas mon établissement si je n’obtiens pas les matériels sanitaires nécessaires à temps ».
« On subit des injonctions contradictoires depuis deux semaines »
Et force est de constater que beaucoup de directeurs d’école et de principaux se sentent seuls ces derniers temps. « On subit des injonctions contradictoires depuis deux semaines et on nous demande d’organiser un cadre sécurisé et sécurisant dans ces conditions », estime Sabrina. Même impression pour Sammy : « Depuis plus de deux semaines, j’ai préparé le retour à l’école des élèves d’élémentaire. Ce travail de chef d’établissement a été fait sur les vacances scolaires, sans aide aucune de ma hiérarchie de l’Education Nationale, sans consigne autre que celles entendues sur les chaînes d’informations. »
Première mission : s’assurer des forces en présence à la rentrée. Pas évident pour Anthony, directeur en école élémentaire : « Sur neuf enseignants, trois pourront être présents, trois ayant des enfants en bas âge et trois étant des personnes vulnérables ». Ce qui laisse présager de tout petits effectifs à la reprise. Même constat pour Catherine : « Nous serons prêts pour accueillir les CP, CE1 et CM2 selon le volontariat des enseignants : certains sont très impatients de retrouver leurs élèves, d’autres sont stressés et ont peur d’engager leur responsabilité pénale, ou même morale, par rapport à la pandémie », constate-t-elle.
« Il y a énormément de questions en suspens »
Lavage de mains à répétition, port du masque obligatoire ou recommandé, récréations échelonnées : les règles d’hygiène qui régissent le protocole sanitaire semblent particulièrement compliquées à mettre en place et à respecter pour certains directeurs, comme Frédéric : « Les gestes barrière seront complexes à faire respecter notamment aux plus petits. Pas forcément en classe, où ils auront une place éloignée des autres, mais plutôt lors des déplacements, des passages aux toilettes, des récréations et des arrivées et départs de l’école. Nous allons donc faire venir les familles à des heures différentes pour éviter les concentrations à 8h30 et 16h30 », prévoit-il.
Catherine, directrice d’une école primaire à Marseille, exprime aussi ses doutes : « Il y a énormément de questions en suspens et j’attends des informations de la mairie sur le "protocole de nettoyage et de désinfection " : je n’ai reçu aucune information à ce jour et les agents municipaux non plus, alors que c’est crucial », témoigne-t-elle. Et anticiper les difficultés pratiques auxquelles seront confrontées les équipes pédagogiques semble impossible, selon Frédéric : « Nous naviguons à vue et il est difficile de prévoir lorsque tous les éléments ne sont pas en notre possession : notes ministérielles, déclinaisons académiques, décisions et moyens municipaux et spécificités propres à l’école… Les consignes évoquent 15 enfants maximum par groupe, mais aura-t-on plus, moins qui voudront être là ? Les enfants dont on a perdu le contact vont-ils revenir ? Les collègues accepteront-ils d’exercer si le matériel de protection n’est pas arrivé ? », s’interroge-t-il.
« L’école n’est pas la "garderie Nationale" ! »
Outre les questions liées à la faisabilité de cette réouverture progressive des écoles, certains s’interrogent sur son intérêt pour les enfants. A l’instar de Sébastien, directeur d’une école en Seine-et-Marne : « La classe aura lieu un jour sur deux, puis peut-être un jour sur trois, en fonction des effectifs. Quel intérêt pour les parents de reprendre le travail dans ces conditions ? Et quel intérêt pour les enfants de revenir sans pouvoir jouer, ni approcher leurs camarades ? », s’interroge-t-il. Mariem abonde : « Pas un adulte ne supporterait de rester assis dans 4m2 sans contact possible avec les personnes qui l’entoure, en se déplaçant en file indienne à 1 mètre minimum de ses amis. Ou de manger à un mètre des copains, mais sans parler fort car on ne doit pas postillonner. Comment allons nous faire pour les occuper alors que tout travail de groupe, déplacement, sont impossibles ? », questionne-t-elle.
« Nous n’attendons avec impatience de revoir nos élèves. Ils nous manquent ! Mais pas dans ces conditions, qui risquent d’être plus néfastes psychologiquement pour ceux qui viendront… L’école n’est pas la "garderie Nationale" ! », estime même Anthony. Mais pour François, principal d’un collège de 600 élèves, cette reprise, même imparfaite, servira de répétition générale avant la rentrée : « Notre objectif est de retrouver le plus d’élèves possible, afin de retrouver une vie sociale et de préparer au mieux la rentrée de septembre. Par demi-classe et demi-journée. Nous sommes très optimistes et attendons la couleur verte », déclare-t-il.
Beaucoup de directeurs, qui avaient déjà l’impression d’être sous l’eau avant le confinement, confient être au bord du craquage, à l’instar de Kate : « Je pense que l’épuisement émotionnel me guette avant tout. Nous ne sommes pas des machines ! ». Et Mariem compte même jeter l’éponge après cette période : « Comme de nombreux directeurs, je me posais la question de savoir si j’allais continuer la direction. Cette crise aura permis de me décider : l’année prochaine, j’arrête », déclare-t-elle. Une fin de non-retour pour elle.