Coronavirus : Comment la Nouvelle-Calédonie a résisté à l'épidémie et pourrait en sortir plus forte

ECLAIRAGE Parce qu’elle n’a comptabilisé que 18 cas de Covid-19 depuis le début de l’épidémie, la Nouvelle-Calédonie est devenue il y a une semaine le premier territoire français à sortir du confinement. « 20 Minutes » a cherché à comprendre cette « exception calédonienne »

Julie Bossart
L'emblématique centre culturel Tjibaou, lieu consacré au patrimoine culturel kanak, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.
L'emblématique centre culturel Tjibaou, lieu consacré au patrimoine culturel kanak, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. — Marc Le Chelard
  • Le 16 avril, le chef du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Thierry Santa, a annoncé que le pays pourrait entrer en confinement adapté dès le 20 avril. Et ce, pour deux semaines, la situation devant être réévaluée le 3 mai.
  • Eloignement géographique, mesures draconiennes, civisme des habitants… La Nouvelle-Calédonie a été épargnée par le Covid-19. Seuls 18 cas ont été détectés depuis le début de l’épidémie, et encore, il s’agissait de cas importés.
  • Dans l'ensemble, les Calédoniens contactés saluent la façon dont les autorités locales ont pris en main la situation. Sans pour autant savoir quelles seront les conséquences économiques de la crise sanitaire. Et beaucoup redoutent d’être confrontés à leur première vague d’épidémie de Covid-19.

L’exception calédonienne. Depuis lundi 20 avril, la Nouvelle-Calédonie est en « confinement adapté ». Les restaurants, les coiffeurs et beaucoup d’autres commerces ont pu reprendre leurs activités, les élèves sont retournés en cours mercredi. De quoi interpeller les Français de métropole et des autres outre-mer, tous suspendus au plan de déconfinement que doit présenter ce mardi le Premier ministre, Edouard Philippe : comment cette collectivité à statut particulier a-t-elle résisté à la vague de Covid-19 ?

Seulement 18 cas, tous importés

Situé à 17.000 km de la métropole, le Caillou et ses 271.000 habitants ont été en quelque sorte épargnés par le virus. « Ici, on n’a jamais eu un seul cas autochtone, rapporte auprès de 20 Minutes Olivier Poisson, rédacteur en chef des Nouvelles-Calédoniennes, le seul quotidien d’informations générales de la collectivité. Les 18 cas de Covid-19 qui ont été détectés jusqu’à présent étaient tous des cas importés. » Ce mardi, selon le point de situation sanitaire global communiqué par le gouvernement calédonien, « 17 patients avaient quitté l’hôpital, et le dernier malade n’était pas réanimation ». Par ailleurs, « sur les 156 dépistages effectués [mardi, 4.612 réalisés depuis le 18 mars], tous s’étaient révélés négatifs ». Aucun nouveau cas n’est apparu depuis le 6 avril.


Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer que la Nouvelle-Calédonie n’ait pas eu à affronter de « première vague » : au lendemain du recensement de deux premiers cas de contamination (le 17 mars), le président (LR) du gouvernement, Thierry Santa, a annoncé que l’ensemble des vols à destination ou en provenance du Caillou seraient suspendus à compter du début de semaine suivant – la mesure prendra effet le 20 mars. Les passagers rentrés auraient aussi à suivre une quatorzaine dans des hôtels, suivie de sept jours de confinement à domicile, soit trois semaines d’isolement complet. L’amende qui serait infligée en cas de non-respect du confinement s’élèverait à 775 euros, une somme plutôt dissuasive – elle s’élève à 135 euros en métropole.

« Une peur panique de la maladie »

20 Minutes n’a pas été en mesure de savoir combien de P-V avaient été dressés sur le Caillou. Il n’empêche, « le confinement a été dans l’ensemble observé », relève Olivier Poisson, qui se permet, avec des pincettes, car le sujet est sensible, d’attribuer ce respect des obligations sanitaires à une « raison historique » : « Chez les Océaniens, il y a aussi une peur panique de la maladie. Au début du XXe siècle, les Kanaks ont perdu une grande partie de leur population avec l’arrivée des colons et de leurs microbes, contre lesquels ils n’étaient pas immunisés », avance-t-il.

Dans un article publié le 9 avril (réservé aux abonnés), Le Monde rappelle que, dès la mi-mars, le Sénat coutumier lançait cette alerte contre un « péril imminent » : « La protection de la vie humaine (…) mérite les décisions les plus draconiennes, a écrit Hippolyte Sinewami Htamumu, président de cet interlocuteur kanak institutionnel unique. Notre territoire peut très vite se trouver « décimé », particulièrement ses villages ou ses petites îles peuplées de quelques centaines ou milliers d’âmes. »

Olivier Poisson complète : « Les chefs coutumiers savaient que, si un cas arrivait, il serait extrêmement compliqué de contenir le virus, du fait de la promiscuité dans la tribu, du manque de points d’eau, qui n’auraient pas permis de respecter les gestes barrières. » Des tribus ont d’ailleurs fait des barrages pour empêcher quiconque de rentrer. Et l’aéroport international de la Tontouta a été littéralement pris d’assaut par des bandes de jeunes qui ont caillassé les portes, car ils voulaient que le site ferme.

Un taux très élevé de comorbidité

A ce traumatisme s’ajoute un vrai problème de santé publique, qui accroît la crainte d’être contaminé. Sur le Caillou, obésité et diabète, qui sont des facteurs de comorbidité du Covid-19, font des ravages. Selon l'Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie (ASS-NC), plus de 20.000 personnes sont diabétiques, ce qui représente 10 % de la population adulte, contre 4 % en métropole.

Joseph Alaimo, retraité qui vit à Koné, en province Nord, évoque, lui, « le civisme des Calédoniens, qui savent pertinemment que, lorsque les autorités imposent une mesure, ce n’est pas pour rien. Lorsqu’il y a des cyclones, par exemple, les gens savent qu’il ne faut pas sortir. Dans le cas du nouveau coronavirus, ils ont vite compris qu’il ne fallait pas prendre les alertes à la légère. D’autant plus que personne ne sait s’il est porteur du virus et qu’on savait que l’on ne pouvait avoir de masque. » Notre témoin en profite pour saluer « les bonnes relations avec les gendarmes », qui, à ses yeux, « ont facilité le respect des obligations » : « Ici, les gendarmes me semblent plus au service de la population que pour les sanctionner. Moi, j’ai été contrôlé plusieurs fois et, franchement, je n’ai pas eu le sentiment d’être agressé, comme j’ai pu voir sur des vidéos qui montraient des interventions musclées des forces de l’ordre en métropole. »

Preuve d’autant plus forte et symbolique de cette bonne coopération, « on a vu des coutumiers d’Ouvéa [théâtre, en 1988, de la prise d’otages de gendarmes et point culminant des « Evénements » en Nouvelle-Calédonie] faire des rondes avec les gendarmes pour expliquer aux habitants qu’il fallait rester chez eux », relève Olivier Poisson.

Sur le plan sanitaire, la Nouvelle-Calédonie s’en est donc plutôt bien sortie. « Chaque jour qui passe nous laisse penser que le virus ne circule pas au sein de la population calédonienne », a déclaré Thierry Santa le 16 avril. Et d’annoncer, aux côtés du haut-commissaire, Laurent Prévost, le représentant de l’Etat français, un retour « à la liberté d’aller et venir » à compter du 20 avril, pour deux semaines.

La situation réévaluée le 3 mai

Au 3 mai, la situation sanitaire sera réévaluée, ont indiqué les autorités dans l’arrêté publié le 19 avril au Journal officiel de Nouvelle-Calédonie. Actuellement, l’accès par voie aérienne ou maritime à la Nouvelle-Calédonie demeure restreint à l’approvisionnement en marchandises, aux situations d’urgence et au rapatriement des quelque 2.000 résidents calédoniens bloqués à l’étranger ou en métropole. « Les autorités attendent qu’il y ait moins de 600 personnes dans les hôtels avant de réautoriser un avion à atterrir ici », avance Olivier Poisson, des Nouvelles-Calédoniennes – 542 personnes étaient encore en quatorzaine à l’hôtel mardi. Ce lundi, la compagnie Air Calédonie, plus communément appelée Aircal et qui dessert le réseau domestique du territoire, a indiqué qu’elle reprendrait ses vols le 4 mai, avec un maximum de 35 passagers par rotation, et que ses agences de vente de billets rouvriraient jeudi. Jour où Le Betico, le ferry qui dessert les îles Loyauté, reprendra lui aussi ses rotations.


Si cette première semaine de confinement adapté s’est bien déroulée, des inquiétudes persistent. Dimanche, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées au village de Tontouta à l’appel des coutumiers de Païta, en périphérie de Nouméa. Ils comptaient faire entendre leurs inquiétudes quant à l’arrivée éventuelle des relèves militaires et/ou administratives en Nouvelle-Calédonie. Il y a quelques jours, Daniel Goa, président du parti indépendantiste Union Calédonienne, a réclamé « encore quatorze jours [de confinement] pour vérifier l’absence du virus dans la population ».

Les Calédoniens, kanaks ou non, ont en effet très peur que l’épidémie (re) prenne. « Il n’y a jamais eu de première vague, ni de cas autochtone, insiste Olivier Poisson. D’un autre côté, il n’y a aucune immunité collective ici. Et on n’a que 20 places en réanimation, donc, s’il y a effectivement une vraie vague, elle fera un carton. » Christophe O’Connor, professeur de lettres modernes dans un lycée de Nouméa, abonde : « L’éloignement est notre meilleur atout, comme c’est aussi notre handicap majeur. Il suffit d’une personne mal contrôlée, un faux négatif, par exemple, et on dérouillera, comme le reste du monde. »


Inquiétudes d’ordre économique

Jusqu’à présent, et contrairement à ce qui peut se passer en métropole, la population estime que la situation a été bien gérée : « Nos autorités ont réagi à temps », affirment Christophe O’Connor comme Olivier Poisson. Reste une inconnue, la santé économique du territoire.

Selon un rapport du Cerom (Comptes économiques rapides pour l'outre-mer), en date du 22 avril et intitulé les impacts économiques du Covid-19 en Nouvelle-Calédonie, « le taux d’activité moyen serait de 56 % et la croissance annuelle du PIB 2020 serait alors inférieure de 3,6 points à ce qu’elle aurait été si cette crise sanitaire n’avait pas existé. L’essentiel de ces pertes [évaluées, dans la fourchette haute, à 41,9 milliards de francs pacifiques, soit 351 millions d’euros], mais pas la totalité, ne pourront certainement pas être rattrapées. »

Alignement du chômage partiel sur celui de la métropole

Des mesures de soutien ont, bien sûr, été mises en place, comme le souligne auprès de 20 Minutes Christopher Gygès, chargé de l’économie au sein du gouvernement de Nouvelle-Calédonie : « On a élaboré un plan de sauvegarde de l'économie à trois collectivités. Il y a le fonds de solidarité de l’Etat [dans la province Sud, 4.300 demandes ont été déposées, a indiqué la semaine passée la CCI] et le prêt trésorerie accordé par les banques aux entreprises. Il y a aussi les aides économiques directes pour la trésorerie et le maintien de l’emploi attribuées par les provinces. Côté gouvernement, on a mis en place le dispositif de chômage partiel, qui est le même que celui de la métropole [84 % du salaire net, 70 % du brut]. » 

Une précision de taille, car, en Nouvelle-Calédonie, le chômage partiel est moins avantageux, s’élevant, en temps ordinaire, à 66 % du SMG. Ce réajustement est permis grâce à l’Etat, qui va apporter sa garantie au gouvernement calédonien pour un emprunt de 240 millions d’euros. Aujourd’hui, 15.200 personnes sur 66.000 actifs sont en chômage partiel sur le Caillou.

Si la Nouvelle-Calédonie présente de « nombreux points de résilience », souligne l’étude du Cerom, un secteur pourrait toutefois être affecté plus durement, celui du tourisme, relativement modeste (il a atteint un pic de 120.000 touristes en 2018), à l’arrêt total depuis le début de la crise. Mais aussi l’activité commerce (bars, restaurants…) et les services à la personne (coiffeurs, ostéopathes…), ajoute Christopher Gygès. Ce dernier est néanmoins optimiste : « Le confinement a duré moins longtemps qu’en métropole et on a pris des mesures très rapidement, notre activité économique est dégradée, mais pas autant que certains autres pays. » Pour ce qui est du nombre de chômeurs, qui a bondi de 7,1% en mars dans l'Hexagone, les chiffres ne sont pas encore disponibles, reconnaît Christopher Gygès, mais, « d’après les premières tendances, ils ne seraient pas exponentiels », avance-t-il prudemment : « Il faudra voir comment on sort du chômage partiel renforcé », qui doit courir jusqu’à fin mai.

Quid du deuxième référendum ?

En Nouvelle-Calédonie, contextualise le Cerom, cette crise sanitaire survient alors que l’économie est installée depuis plusieurs années dans une trajectoire de croissance ralentie, et que l’année 2020 s’annonçait déjà délicate en raison des incertitudes institutionnelles liées au deuxième référendum sur l’indépendance, maintenu au 6 septembre.

« Pour le moment, ça n’a pas d’impact, croit savoir Christopher Gygès. Mais je parle en tant que membre d’un parti loyaliste [L’Avenir en confiance, droite anti-indépendantiste]. Je peux juste vous dire qu’on voit que c’est grâce à la France qu’on peut payer des salaires aujourd’hui, et qu’on a un système de santé performant, qui nous a permis de juguler l’épidémie. »

Un nouveau modèle de société

La Nouvelle-Calédonie a résisté au Covid-19, elle pourrait même en sortir plus forte. La crise sanitaire aurait en effet accéléré le nouveau modèle de société sur lequel travaillent provinces et gouvernement.

« On souhaite un système économique beaucoup plus agile, solidaire et environnemental, martèle Christopher Gygès. Sur l’agilité, on vise des contraintes administratives beaucoup moins lourdes que par le passé : on est 270.000 habitants, on n’a pas besoin de demander quatre formulaires quand il n’y en a besoin que d’un. La crise a aussi montré que la numérisation pouvait être accélérée. Pour ce qui est de la solidarité, nous devons améliorer les salaires. Enfin, sur l’aspect environnemental, on doit rendre l’activité minière plus durable : en vendant un nickel plus propre, nous aurons un avantage sur le marché. »