Coronavirus à Bordeaux : Cette épidémie « est une course de fond qui va durer des semaines, voire des mois »
INTERVIEW Directeur du CHU de Bordeaux, Yann Bubien évoque pour « 20 Minutes » la stratégie mise en place par l’établissement face au coronavirus, et annonce que l'établissement sera en mesure de pratiquer 3.000 tests par jour à partir du 11 mai
- Si le CHU constate un ralentissement net de l’épidémie, il reste vigilant face à l’éventualité d’une nouvelle vague.
- Il prépare activement la phase de déconfinement, avec notamment une nouvelle plateforme qui permettra à l’hôpital universitaire de réaliser en tout 3.000 dépistages par jour.
- Parallèlement, il poursuit ses expérimentations, notamment Coverage qui va comparer quatre molécules contre le Covid-19.
Après avoir été à l’initiative de nombreux projets autour de la prévention et du traitement du Covid-19, le CHU de Bordeaux se prépare dorénavant à la phase du déconfinement progressif. Dans une interview à 20 Minutes, son directeur Yann Bubien annonce que l’établissement hospitalier sera en mesure de réaliser 3.000 dépistages par jour à compter du 11 mai.
Le CHU de Bordeaux avait traité un des tout premiers patients Covid-19 en France. Est-ce que cela vous a aidé dans l’organisation à mettre en place face à l’épidémie ?
Très clairement, le fait d’avoir eu le premier patient français Covid-19 le 24 janvier dernier, un Bordelais qui était en voyage d’affaires à Wuhan, nous a donné un coup d’avance. Tout de suite, il a fallu répondre à ce cas hospitalisé dans le service des maladies infectieuses du professeur Denis Malvy, et cela a permis à nos équipes soignantes de très vite appréhender ce nouveau virus que personne ne connaissait encore. Cela nous a permis de penser notre stratégie, alors qu’on ne savait pas encore à ce moment que nous aurions une épidémie en France. Nous avons isolé le patient qui est resté trois semaines dans le service, nous avons identifié tous les cas contacts pour éviter la propagation de la maladie.
Puis vous avez réorganisé le CHU, avec notamment un poste avancé devant les urgences ?
Nous avions d’abord mis en place une unité de dépistage au sein même du CHU pour dépister tous les patients symptomatiques, dans un grand hangar où on peut venir en voiture, avec un circuit de marche en avant. Ensuite, nous avons ouvert un poste médical avancé devant les urgences, avec deux grandes tentes du Samu, pour distinguer deux filières : les patients Covid ou suspect, et les patients qui a priori n’ont pas le Covid. Et nous avons aussi un poste médical avancé aux urgences de pédiatrie.
Comme les autres hôpitaux, avez-vous constaté une baisse de fréquentation des patients pour d’autres maladies que le Covid-19 ?
On le constate partout. On a une baisse de 60 % aux urgences adultes, on a moins d’AVC… Les patients préfèrent attendre, mais leur problème ne peut pas attendre. Ils prennent un vrai risque, alors même que nous nous sommes organisés avec des filières distinctes pour continuer à accueillir les patients au CHU sans aucun problème. On garantit une protection maximale, il ne faut donc pas hésiter à venir à l’hôpital quand on en a besoin.
Les opérations non-urgentes déprogrammées, seront-elles bientôt reprogrammées ?
C’est un sujet qu’il faut anticiper avec le déconfinement qui arrive, en effet. Cela va se faire progressivement, avec la baisse du nombre de personnes hospitalisées Covid. La reprogrammation d’activité n’est pas pour demain matin, mais certainement à partir du mois de mai, en restant vigilant à pouvoir réaugmenter les capacités rapidement si jamais on voit qu’une nouvelle vague arrive.
Aujourd’hui en tout cas on constate un ralentissement de l’épidémie ?
Il y a un ralentissement net de l'épidémie en Nouvelle-Aquitaine. Ce qui montre très clairement que le confinement marche. On l’a vu dans les chiffres : au bout de deux semaines de confinement, nous avons constaté un plateau, puis une légère baisse, puis une baisse plus prononcée comme aujourd’hui. Mais nous devons rester vigilants devant tout signe qui montrerait une relance de l’épidémie. C’est pourquoi on réorganise les salles d’attente, les chambres, pour éviter toute difficulté. Et nous dépisterons toutes les personnes qui seront opérées au CHU. Nous avons cru pendant longtemps qu’on aurait une épidémie avec un pic, on voit aujourd’hui que nous sommes sur une épidémie qui va durer. Il faut donc que l’on ait une stratégie à long terme, avec un virus qu’on connaît encore mal. C’est une course de fond qui va durer des semaines, voire des mois.
La clé du succès du déconfinement, ce sera en partie le dépistage. Qu’est-il prévu en la matière ?
Aujourd’hui on réalise en moyenne 500 dépistages par jour, mais nous avons la capacité de monter à 1.000. Et nous avons une nouvelle plateforme qui est arrivée mercredi, et qui va nous permettre de faire 2.000 dépistages supplémentaires par jour, soit 3.000 en tout à partir du 11 mai. Il faut voir aussi si on organisera une sorte de drive en centre-ville, sur un parking. C’est encore à travailler avec la mairie.
Sur la recherche, vous avez lancé plusieurs expérimentations, dont Coverage qui va comparer quatre traitements.
Coverage est un énorme projet, totalement inédit, avec des équipes qui se déplacent à domicile chez des personnes qui ont le Covid. On va tester quatre molécules, l'hydroxychloroquine évidemment, le favipiravir, l' imatinib, et le telmisartan, auprès de patients de plus de 65 ans. L’idée est d’avoir 1.000 patients, et on devrait avoir de premiers résultats d’ici un mois. Mais l’étude durera tout le long de l’épidémie en France, et nous aurons ainsi des résultats tout au long. En tout, nous avons lancé une dizaine d’essais cliniques au sein du CHU.
Vous avez aussi initié deux plateformes, pour renseigner les professionnels libéraux, et pour suivre les patients.
La plateforme Ville Hop fait le lien entre le CHU et les professionnels libéraux, qu’ils soient médecins, pharmaciens, kiné, infirmiers… Ils ont un numéro spécial pour appeler nos médecins qui répondent sur le Covid 7/7 jours. Et la deuxième plateforme, c'est Rafael, une appli pour tout patient Covid suivi à domicile, qui peut renseigner tous les jours son état de santé, ce qui nous permet d’appeler chaque patient quand il y a un doute. Ce suivi permet d’éviter toute hospitalisation au dernier moment.