Coronavirus : « Le risque de mutineries pèse sur les prisons » alerte la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté Adeline Hazan
« 20 MINUTES » AVEC... Adeline Hazan, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, exhorte le gouvernement à désengorger les prisons et fermer les centres de rétention pendant l’épidémie de coronavirus
- Tous les vendredis, « 20 Minutes » propose à une personnalité de commenter un phénomène de société, dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
- Depuis plus d’un mois, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, alerte sur les risques sanitaires accrus dans les prisons françaises.
- Elle appelle le gouvernement à fermer temporairement les centres de rétention et à accélérer le désengorgement des établissements pénitentiaires.
Tout faire pour éviter la contagion. Depuis le début du confinement et de l’épidémie de coronavirus en France, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) multiplie les alertes. À la tête de cette institution indépendante depuis six ans, Adeline Hazan se fait le porte-voix de toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui privés de leur liberté. Centres de rétention, prisons, hôpitaux psychiatriques, la Contrôleuse générale s’inquiète des risques sanitaires encourus pour les pensionnaires de ces structures coupées du reste de la société.
Depuis le 17 mars, elle exhorte le gouvernement à fermer les centres de rétention et plaide pour un désengorgement massif et rapide des prisons françaises. Confrontés à un manque d’hygiène et à une surpopulation endémique, les établissements pénitentiaires présentent, selon elle, un risque sanitaire majeur. Dans cet entretien accordé à 20 Minutes, elle pointe les lenteurs accumulées par le gouvernement pour endiguer l’épidémie derrière les barreaux.
Après votre audition devant la commission des Lois mercredi, vous vous êtes rendue au centre de rétention de Paris-Vincennes. Pourquoi avez-vous tenu à faire ce déplacement ?
Depuis plus d’un mois nous suivons à distance la situation des centres de rétention. Pendant le week-end de Pâques, nous avons reçu de nombreuses alertes émanant d’associations et syndicats d’avocats relatives au centre de rétention de Vincennes (Val-de-Marne), notamment sur la détection de trois cas de Covid-19. Cela a généré une très forte inquiétude chez les personnes retenues et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de m’y rendre avec deux contrôleurs de mon équipe. Et nous allons nous rendre prochainement au centre du Mesnil-Amelot.
Des heurts ont justement éclaté dans ce centre et certains retenus ont entamé une grève de la faim à Oissel près de Rouen. Mais le ministère de l’Intérieur refuse de fermer temporairement ces centres. Cette décision vous paraît-elle justifiée ?
Je suis très surprise par cette décision. Je demande au gouvernement la fermeture temporaire des centres de rétention depuis le 17 mars déjà et ce pour deux raisons essentielles. La première, c’est qu’il existe dans ces centres une forte promiscuité, dans les chambres, dans les lieux de restauration collective… Je considère qu’il y a un risque sanitaire. Ensuite, à partir du moment où les frontières sont fermées, notamment celles hors Schengen, cela signifie qu’il n’y aura plus de reconduite à la frontière. J’estime que ce maintien des rétentions est contraire à la loi. La loi autorise à retenir des personnes en vue de leur éloignement du territoire. Mais à partir du moment où ces éloignements ne sont plus possibles, la base légale de ce placement en rétention n’existe plus.
« J’estime que le maintien des rétentions est contraire à la loi »
Le 17 mars, Nicole Belloubet confiait dans les colonnes de « 20 Minutes » « ne pas être du tout dans l’optique » de libérer des détenus en raison de la situation sanitaire. Depuis, on l’a appris mercredi, la population carcérale a diminué d’environ 10.000 personnes en un mois. Les décisions en ce sens ont-elles tardé ?
Oui, la Garde des Sceaux a pris des décisions trop tardivement. Et même si on arrive à un seuil important de détenus en moins dans les établissements pénitentiaires, ce n’est toujours pas suffisant. Au 1er mars 2020, il y avait dans les maisons d’arrêt – qui regroupent notamment les personnes placées en détention provisoire en attente de leur jugement – plus de 13.000 détenus en surnombre. Si on veut arriver à un encellulement individuel, il faut libérer au moins 13.000 détenus. Il y avait à cette même date environ 72.000 détenus en France pour 61.000 places de prison, dont seules 55 000 environ sont en réalité utilisables. Donc on voit bien que nous sommes encore loin du compte.
Le gouvernement doit-il réfléchir à une loi d’amnistie ? Qu’est-ce que cela impliquerait et qui pourrait être concerné ?
Oui, une loi d’amnistie permettrait de faire sortir un certain nombre de personnes de prison. Les infractions en matière de terrorisme ou de violences intrafamiliales en seraient exclues. Mais à ce stade, la Garde des Sceaux s’interdit de réfléchir à ce dispositif et je trouve cela regrettable. On pourrait aussi prévoir des grâces individuelles. La loi interdit les grâces collectives, mais pas les grâces au cas par cas. Cela peut être une voie envisageable en excluant là encore certaines infractions.
Vous demandez aussi la libération des détenus qui sont à six mois de la fin de leur peine. Pourquoi ?
Je n’ai pas proposé le seuil de six mois au hasard. C’est le quantum fixé par la loi de mars 2019 en dessous duquel les magistrats doivent, dans la mesure du possible, aménager ces peines en milieu ouvert pour éviter la détention. Le législateur considère donc que jusqu’à six mois, la priorité doit être donnée aux alternatives à l’incarcération. Donc fondons-nous sur cette durée et libérons tous les détenus qui sont à moins de six mois de la fin de leur peine. Comme pour l’amnistie ou les grâces, certains détenus pourraient être exclus de ce dispositif. Le problème avec les réductions de peine exceptionnelles mises en place par le gouvernement, c’est qu’elles ne sont censées s’appliquer qu’après un délai d’un mois suivant le début de l’état d’urgence sanitaire et en fonction du comportement des détenus. Ce n’est pas cela qui va désengorger les prisons pendant la crise.
L’objectif d’un seul détenu par cellule dans les maisons d’arrêt est-il vraiment réaliste au regard de la surpopulation carcérale qui touche toutes les prisons françaises ?
Pas encore. Si la Garde des Sceaux prenait des mesures permettant de libérer encore quelques milliers de détenus, alors on pourrait arriver à un encellulement individuel dont je rappelle qu’il est obligatoire depuis 1875. Mais de moratoire en moratoire, cette obligation légale est sans cesse repoussée.
De quoi souffrent le plus les détenus actuellement ?
Tout a été supprimé, ils n’ont plus aucune activité, aucune soupape et, en maison d’arrêt, ils se retrouvent toute la journée à deux ou trois dans des cellules. Nous recevons beaucoup de courriers et d’appels de détenus quinous disent qu’ils sont très angoissés par le virus, par les conditions dans lesquelles ils vivent et par leurs conditions d’hygiène. Les douches restent majoritairement collectives, ils n’ont pas de gants, pas de masques. Les surveillants en ont été dotés mais très tardivement - le 29 mars - et il n’est pas question aujourd’hui d’en distribuer aux détenus. Il faut aussi rappeler qu’environ trois quarts des détenus souffrent de troubles psychologiques ou psychiatriques. Enfin on reçoit de nombreuses lettres de familles qui s’inquiètent de ne pas avoir de nouvelles de leur proche incarcéré et qui craignent pour leur santé.
Des mesures ont toutefois été mises en place pour « faciliter » la vie quotidienne des détenus. Est-ce suffisant ?
Non. La gratuité de la télévision, c’est très bien. Mais concernant le crédit téléphonique de 40 euros accordé à chaque détenu, c’est insuffisant. Le téléphone est leur seule activité possible, leur seul contact avec l’extérieur. Je plaide pour une gratuité totale du téléphone le temps de la crise sanitaire. Il ne s’agit pas de faire des économies de bout de chandelle, il s’agit de donner aux détenus la possibilité de garder un lien avec le reste du monde.
« Le risque de mutineries pèse aujourd’hui sur les prisons françaises et tout le monde est inquiet »
Le risque de mutineries généralisées existe-t-il vraiment selon vous ?
Oui bien sûr, le risque pèse aujourd’hui sur les prisons françaises et tout le monde est inquiet. Il y a eu quelques mouvements assez sérieux au moment de l’annonce de la suppression des parloirs familiaux. Depuis, hormis quelques incidents ici ou là, cela semble s’être tassé. Ce dont il faut se féliciter c’est que pour le moment nous ne sommes pas confrontés à une explosion de cas de Covid-19 dans les prisons puisqu’on recense 60 cas sur l’ensemble des établissements. Mais si ce chiffre venait à augmenter, des refus de rentrer en cellule et des mutineries sont à craindre.
Cette crise sanitaire peut-elle avoir, selon vous, un impact « positif » sur la gestion des lieux de privation de liberté ?
Je l’espère. On parle beaucoup du « monde d’après » alors si on pouvait tirer un certain nombre de leçons à l’issue de cette crise dramatique, je pense que ce serait positif. Cela fait six ans que je prône une forme de régulation carcérale pour les prisons et c’est exactement ce qui est en train de se produire. Cela montre bien que la solution n’est pas systématiquement l’enfermement et qu’on peut faire autrement. La surpopulation carcérale n’est pas une fatalité. Si on le voulait vraiment et si on s’en donnait les moyens, on pourrait sortir de la culture du tout enfermement. J’espère que cette crise sanitaire le démontrera.