Coronavirus : Mal-logés et confinés, la double peine

PRECARITE Risques pour la santé, tensions intrafamiliales et angoisses financières : les problèmes rencontrés par les personnes mal-logées en période de confinement sont nombreux

Lise Abou Mansour
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Confinement : Le calvaire des personnes mal-logées — 20 Minutes

Quatre millions de personnes sont mal-logées en France. Quatre millions de personnes qui vivent dans un appartement trop petit ou insalubre. Quatre millions de personnes pour qui le confinement est un cauchemar. « Toute l’année ces personnes souffrent de conditions de mal-logement, mais en période de confinement, elles voient s’accentuer les problèmes liés à ces mauvaises conditions de logement », explique à 20 Minutes Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.

Youlia et sa famille font partie de ces quatre millions de personnes. Elle vit avec son mari et leurs cinq enfants dans un appartement en sous-sol de 39 mètres carrés à Menton. « Je pense qu’avant, ce n’était même pas un lieu habitable… », nous a-t-elle raconté. C’est aussi le cas d’Hélène qui vit dans un 14 mètres carrés à Toulon avec son compagnon. « La pièce principale est un salon-chambre-cuisine de 10 mètres carrés dans laquelle l’humidité est omniprésente. » Pour Mikaël qui habite avec sa compagne à Strasbourg, dans un appartement en rez-de-chaussée donnant sur un autre immeuble, avec des barreaux aux fenêtres, « la lumière naturelle passante est ce qui nous manque le plus. »

Des logements qui « rendent malades »…

Un appartement mal isolé, avec des infiltrations d’eau ou de l’humidité, peut rendre ses occupants malades. Rhinites, angines voire maladies respiratoires : les conséquences sur leur santé s’avèrent nombreuses. Mais si, en temps normal, ils tentent de passer le plus de temps possible à l’extérieur de chez eux, ils sont contraints d’y rester toute la journée depuis trois semaines et demie.

« Le confinement vient accroître les risques de problèmes de santé liés à leur mal-logement », constate Christophe Robert. « La précarité a un impact sur la santé. Les personnes mal-logées sont plus fragiles. Elles ont plus de risque de maladie cardio-vasculaire et de diabète et on sait que ce sont des facteurs de risque Covid-19 », abonde Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde.

… et empêchent l’isolement des malades du coronavirus

Cette vulnérabilité face au Covid-19 des personnes précaires est particulièrement visible en Seine-Saint-Denis. Le département compte parmi les plus touchés par l’épidémie. En cause, le nombre d’habitants du département contraints d’aller travailler en raison de leur profession, mais aussi le surpeuplement qui touche le département. Un tiers des habitants de Seine-Saint-Denis sont en suroccupation dans leur logement, c’est-à-dire vivent à plus de 4 personnes dans 35 mètres carrés.



« Quand dans notre entourage, quelqu’un est suspecté d’avoir le Covid-19, on le met dans une chambre à part. Mais les plus pauvres n’ont pas cette possibilité-là, » déplore Claire Hédon. Les personnes vivant dans des logements trop petits ont donc plus de risque de se transmettre le virus. Franck, qui vit dans un 15 mètres carrés en banlieue de Bordeaux, confirme : « Dans mon immeuble, la salle de bains est partagée. Il est donc très difficile de respecter les mesures barrières. »

« Parfois, je m’isole dans ma voiture »

Si le surpeuplement accroît le risque sanitaire, il accroît aussi le risque de tensions intrafamiliales. Ne pas pouvoir disposer d’un espace pour se retirer ou avoir un peu d’intimité, peut créer des tensions entre parent et enfant mais aussi entre enfants ou au sein du couple, comme le raconte Hélène, qui partage un studio de 14 mètres carrés avec son compagnon : « Vivre ainsi en confinement est une épreuve. Nous sommes 24 heures sur 24 " l’un sur l’autre " ».

« Quand on est mal-logé, le fait d’être dehors, d’aller voir des amis, est une soupape. Mais depuis le début du confinement, cette soupape n’existe plus », explique Christophe Robert. Pour trouver des moments de tranquillité et souffler, Hélène s’isole dans sa voiture, sur le parking en face de son immeuble.

Cette promiscuité est d’autant plus problématique qu’avec le confinement, l’école doit être faite à la maison. « En temps normal, on a des témoignages d’enfants qui font leurs devoirs dans des cages d’escalier, des toilettes, ou une voiture », déplore Christophe Robert. « Le fait de vivre dans un logement surpeuplé accroît les risques d’échec scolaire. C’est vrai en temps normal et c’est encore plus vrai en période de confinement. » Alors les professeurs ont dû s’adapter.

La peur d’être expulsé après le confinement

La fermeture des écoles représente aussi un coût supplémentaire pour les parents qui doivent désormais nourrir davantage de bouches. Plus de dépenses, donc, avec parfois moins de revenus. « Ces craintes financières créent des situations de stress très importantes sur le risque d’impayé et donc sur le risque d’expulsion », constate Christophe Robert. Un prolongement de deux mois de la trêve hivernale a été mis en place jusqu’au 31 mai. Mais les personnes ayant de faibles revenus redoutent l’après.

« La peur est omniprésente chez les habitants victimes de précarité de tout temps, parce que c’est plus difficile de boucler la fin de mois, mais cette épidémie rajoute de la peur », explique la présidente d’ATD Quart Monde. Pour tenter de diminuer ces angoisses, les associations continuent leur travail d’aide et d’écoute. « On utilise beaucoup le téléphone et lorsque l’on sent que les gens vont très mal, les bénévoles d’ATD Quart Monde se rendent sur place », raconte Claire Hédon. Mais le crédit téléphonique, comme le reste, coûte cher.

Plusieurs associations demandent donc une aide exceptionnelle pour les ménages précaires, de l’ordre de 250 euros par personne et par mois pour ceux qui sont bénéficiaires des minima sociaux et de l’aide à la rentrée scolaire. Tout comme un fonds exceptionnel d’aide au paiement des quittances (loyers et charges). « Le but est que ces personnes puissent honorer leurs charges de logement et ne se mettent pas en difficulté dès la sortie du confinement, ce qui réduirait considérablement leur stress », commente Christophe Robert.

« Ce confinement accentue les inégalités »

Pour la présidente d’ATD Quart Monde « ce confinement accentue les inégalités et les montre de manière plus flagrante. » Une situation d’autant plus visible dans les quartiers pauvres. « Ces personnes vivent dans des quartiers plus denses et donc quand elles sortent, il y a plus de monde dans la rue. Mais ce n’est pas leur faute. Dans certains quartiers de Paris, la moitié des résidents est partie dans leur résidence secondaire. Les plus pauvres n’ont pas cette chance-là. »

« Toutes les difficultés qui pèsent sur les personnes mal-logées toute l’année sont exacerbées puissance 1.000. Les plus fragiles sont en train de payer un lourd tribut du fait de ce confinement. J’espère qu’il y aura un sursaut dans la prise de conscience des dégâts sociaux et sanitaires que provoque le mal-logement. » Hélène, elle, tente de relativiser : « Je ne suis pas à plaindre car je ne vis pas dehors et je suis en bonne santé. Je me dis aussi que lorsque l’on vit le pire, il ne reste que le meilleur à venir. »