Mal-logement : Pourquoi le fait d’être seul complique-t-il la donne pour trouver un toit ?
PAUVRETE Le rapport de la Fondation Abbé-Pierre montre que l’isolement accroît les difficultés à faire valoir son droit au logement
- L’isolement augmente les risques de mal-logement, comme le montre le rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre qui sort ce jeudi.
- Surtout dans les zones tendues, où les solos font face à une pénurie de petits logements, qui sont de surcroît plus chers que les autres au m2.
- Vivre seul rend aussi plus ardues les démarches à accomplir.
Trouver un toit, alors que les prix de l’immobilier flambent dans les grandes villes et que les appartements sont rares sur le marché : une gageure pour beaucoup de Français. Mais lorsque l’on est seul, cela peut virer au parcours du combattant. C’est ce que montre le rapport de la Fondation Abbé-Pierre paru ce jeudi. Selon ce dernier, 22 % des personnes vivant seules sont mal-logées. Et elles représentent 65 % des sans domicile fixe (personnes sans abri, en hébergement d’urgence, en hôtel…).
Les personnes seules sont aussi surreprésentées parmi celles qui sont expulsées de leur habitation. Cette fragilité face au logement affecte aussi bien les jeunes qui vivent en solo que les migrants, les célibataires et les veufs.
Moins de ressources financières pour trouver un toit
Si le chemin pour parvenir à décrocher les clés de chez soi est si difficile pour les personnes seules, « c’est tout d’abord parce qu’elles disposent de moins de ressources que les autres ménages », souligne Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre. En effet, selon l’Insee, leur revenu annuel s’élevait à 21.600 euros en 2016, contre 36.340 euros pour l’ensemble des ménages français. Et la pauvreté affecte 20 % des personnes seules, contre 14 % de l’ensemble de la population.
Contrairement aux couples, impossible pour les solos de faire des économies d’échelle sur le chauffage, l’électricité, les courses… Du coup, en 2018, ils subissaient un taux d’effort de 26 % pour se loger, supérieur de 8 points à la moyenne de l’ensemble des ménages français, selon Eurostat. Et en cas de dépense imprévue, leur budget est vite déséquilibré. Ce qui entraîne parfois une impossibilité à payer le loyer.
Une crise du logement qui s’explique aussi par des raisons démographiques
Autre explication de cette fragilité des solos face à l’habitat : « Le parc de logement a été pensé autour d’une famille avec deux enfants, et dont les parents ont un emploi stable. Mais ce schéma n’est plus adapté à la montée en puissance des ménages solos », explique Manuel Domergue. En effet, selon l’Insee, les solos représentent désormais 35 % des ménages français, voir 50 % dans les centres-villes des grandes métropoles.
Or, en 2016, 18,6 % des logements étaient composés d’une ou deux pièces, soit un taux de couverture de la demande potentielle des ménages d’une personne de l’ordre de 50 %. « Cela impliquerait de disposer de 7 millions de logements supplémentaires », indique Manuel Domergue. Idem dans le parc social, où les petits logements sont une denrée rare : « Du coup, chaque année seulement 19 % des attributions de logements du parc HLM sont dédiées aux personnes seules », observe Manuel Domergue.
Les plus petits logements sont aussi les plus chers au m2
Par ailleurs, dans le parc privé, les loyers des petits appartements sont plus élevés au m2 que ceux des grands. Exemple en Ile-de-France, où le loyer moyen d’une pièce est en moyenne 40 % plus cher que celui d’un 5 pièces. Un phénomène amplifié par la plus forte rotation des petits logements, qui permet aux propriétaires de réajuster plus fréquemment le loyer. Un phénomène d’autant plus pénalisant que c’est en Ile-de-France que les personnes habitent le plus souvent seules.
Par ailleurs, les ménages à la recherche d’un T1 ou d’un T2 et ayant des revenus inférieurs au SMIC ne peuvent pas envisager une accession à la propriété dans les grandes villes.
« Les personnes qui n’ont pas de famille sont moins stimulées dans leurs démarches »
L’isolement social est également susceptible d’aggraver des situations de mal-logement. Car les personnes seules sont moins susceptibles d’être repérées et orientées vers des travailleurs sociaux. « Elles sont de fait moins informées sur leurs droits et y ont moins recours. Ces personnes intériorisent aussi le fait que les familles sont prioritaires dans les demandes de logement. Et le fait d’être isolé engendre parfois de la défiance vis-à-vis des travailleurs sociaux », note Manuel Domergue.
Et lorsqu’on est seul à affronter les difficultés de la vie, c’est encore plus dur de se battre. « Les personnes qui n’ont pas de famille sont moins stimulées dans leurs démarches de recherche de logement. Elles se découragent plus vite », poursuit Manuel Domergue.
Des leviers politiques à actionner
Pour améliorer le sort de ces solos, il existe pourtant des solutions. « Les politiques sociales et du logement doivent s’adapter à ce public : il faut produire davantage de logements plus petits et à des loyers abordables », recommande Manuel Domergue. Certaines municipalités, comme Rennes, se sont engagées dans cette voie. Autre levier politique à actionner : l’encadrement des loyers qui permet de contenir ceux des petites surfaces. Il est déjà en vigueur à Paris et à Lille.
« Il faut aussi développer les colocations, les pensions de famille, ouvrir les chambres d’internat à des loyers maîtrisés aux saisonniers… », recommande Manuel Domergue. Autant d’idées dont les candidats aux municipales devraient se saisir pour tenter de conquérir les solos, une part grandissante de leur électorat potentiel…