Qu'est-ce que le Collectif contre l'islamophobie ?

MANIFESTATION Le Collectif contre l’islamophobie, l’un des organisateurs de la marche « dire stop à l’islamophobie » prévue dimanche à Paris, est-il vraiment en lien avec les Frères musulmans, comme l’affirment certains ?

Marion Pignot
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Le 16 octobre, à Lyon, deux cents personnes se sont rassemblées place Carnot pour protester contre l'islamophobie.
Le 16 octobre, à Lyon, deux cents personnes se sont rassemblées place Carnot pour protester contre l'islamophobie. — KONRAD K./SIPA
  • Un appel à la mobilisation signé par une cinquantaine de personnalités de gauche a été publié dans Libération le 1er novembre sur fond de polémique sur le voile, et appelle à manifester dimanche pour « dire stop à l’islamophobie ».
  • En raison notamment de la présence parmi ses initiateurs du  Collectif contre l'islamophobie (CCIF), accusé de liens avec les Frères musulmans, plusieurs signataires ont pris leurs distances avec cet appel, parmi lesquels Yannick Jadot (EELV).
  • Les organisateurs de la marche dénoncent un « sabotage », alors que le CCIF, lui, assure n’entretenir aucun lien avec les Frères musulmans et espère faire de cette marche dominicale un « tournant dans la lutte contre les actes anti-musulmans en France ».

« J’en ai un peu marre de cette rumeur de collusion entre le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et les Frères musulmans, des termes qui foutent la trouille en France. C’est tout simplement faux. » Bernard Godard connaît, dit-il, « très bien les membres de Frères musulmans en France » et tout aussi bien ceux qui sont à l’origine de la création du CCIF. Pour ce chercheur spécialiste de l’islam associé au Centre d’études en sciences sociales du religieux (césor), les Frères musulmans ne se cachent « en aucun cas » derrière le CCIF et derrière la marche contre l’islamophobie prévue ce dimanche à Paris, comme certains élus et internautes l’ont relayé au lendemain de l’appel à la mobilisation paru dans Libération.

Cette tribune, publiée le 1er novembre sur fond de polémique sur le port du voile et après l’attaque contre la mosquée de Bayonne, appelle à manifester pour dire « stop à l’islamophobie » et a été signée par une cinquantaine de personnalités de gauche. Parmi elles, Yannick Jadot (EELV), François Ruffin mais aussi le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, le secrétaire national d’EELV David Cormand ou encore le fondateur de Génération-s Benoît Hamon. Depuis, plusieurs signataires ont cependant pris leurs distances avec cet appel​, en raison notamment de la présence parmi ses initiateurs du CCIF, accusé de liens avec les Frères musulmans.

« C’est de l’hypocrisie car les idées du CCIF n’ont pas changé depuis 2003 »

Yannick Jadot (EELV) par exemple a ainsi fait savoir qu’il renonçait à défiler dimanche. « Le reproche adressé à cette pétition vient d’un spectre très large, de laïcards qui frayent avec l’extrême droite, de gens de gauche et de l’extrême droite. Quand les signataires qui se dédient disent "je ne savais pas", c’est de l’hypocrisie car les idées du CCIF n’ont pas changé depuis 2003 », s’énerve Bernard Godard.

Celui qui a travaillé de 2002 à 2015 au Bureau des cultes (rattaché au ministère de l’Intérieur) poursuit : « Le CCIF est né en 2003, en pleine préparation de la loi sur les signes religieux à l’école. La structure était forcément plus orientée vers l’idéologie que vers la comptabilisation des actes anti-musulmans que peuvent être les agressions physiques ou les attaques contre les mosquées. Ce contexte l’a desservi, mais le CCIF n’a pas été créé par les Frères musulmans. »

Un contexte de défense du port du voile auquel s’est ajouté celui, tout aussi sensible, de la « réappartenance à l’islam » opérée par l’Union des organisations islamiques [Musulmans de France] dans les années 1990. « Le CCIF c’est en réalité un mouvement que l’on pourrait définir comme "frériste", un mouvement identitaire qui se décline en France de façon douce, tranche encore ce spécialiste de la montée de l’islamisme radical en France. Surtout, en 2019, ce conseil est le seul organisme digne de ce nom en France auquel les musulmans peuvent avoir recours s’ils sont victimes d’un acte islamophobe. Il est essentiel. »

« Un seul combat, celui de faire reculer le racisme en France »

Un CCIF qui, selon son directeur depuis janvier 2019, est également « apolitique et areligieux ». « Nous avons un site internet, un manifeste, nous sommes totalement transparents. Nous travaillons avec la Ligue des droits de l’homme, avec SOS Racisme ou l’Union juive française avec pour seul et même combat celui de faire reculer le racisme en France, assure Jawad Bachare. L’esprit du CCIF est celui du droit. »

Ce militant contre les discriminations s’attend à une grande mobilisation, dimanche. Des bus de manifestants doivent venir du Nord ou encore du Bordelais quand 10.000 personnes au total devraient manifester dans les rues de Paris. « Ce sera un tournant dans la lutte contre l’islamophobie en France. C’est la première fois qu’une telle marche aura lieu et ce sera aux politiques d’entendre la voix du peuple mobilisé », lance encore Jawad Bachare. L’optimiste comprend « les raideurs, les crispations » mais l’habitué des luttes qu’il est sait que « de ces tensions naîtront un rapport normalisé, une prise de conscience et des politiques publiques en faveur de la lutte contre l’islamophobie ».

Celui qui a grandi à Valenciennes et ne cesse de citer Jaurès ou Victor Hugo glisse au passage que ses « adversaires d’extrême droite qui relancent des rumeurs pour décrédibiliser le travail du CCIF et qui font passer le conseil pour une officine salafiste » n’ont d’ailleurs jamais réussi « à démontrer quoi que ce soit ». Et, comme pour s’éloigner encore un peu plus de l’image extrémiste des Frères musulmans, il détaille le travail abattu par le conseil depuis sa création en 2003 : création d’antennes locales qui œuvrent à la sensibilisation à l’islamophobie auprès des partenaires sociaux et des mosquées, collaborations avec le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), la LDH ou le Défenseur des droits ou encore sollicitations de l’Onu ou de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur l'islamophobie.

Reste que ce mot est « maudit », selon Bernard Godard. « Dès son apparition au début des années 2000, il a été confondu avec une critique de l’islam, explique celui qui dans une note transmise à sa hiérarchie en 2011 avait déjà interpellé sur ce problème de sémantique. « Plutôt qu’islamophobie, il faudrait parler d’actes anti-musulmans et le CCIF ne sera pas "blanchi" tant qu’il ne sera pas sur le même registre sémantique que la Licra ou que la LDH. Les laïcards sensibles à tout ce qui touche à l’islam continueront à mettre rapidement en place un cordon sanitaire autour de ce Collectif qu’ils considèrent comme ambigu. »