Dépôt de plainte, secret médical, autorité parentale… Les mesures phares du grenelle des violences conjugales

PROTECTION DES VICTIMES Les groupes de travail du grenelle des violences conjugales ont remis ce mardi au gouvernement 60 propositions qui peuvent « changer la donne », selon Marlène Schiappa

Anissa Boumediene
Marlène Schiappa s'est prononcée en faveur de la suppression de l'autorité parentale pour le parent auteur de féminicide.
Marlène Schiappa s'est prononcée en faveur de la suppression de l'autorité parentale pour le parent auteur de féminicide. — Louise MERESSE/SIPA
  • Le grenelle des violences conjugales a été lancé le 3 septembre dernier.
  • Depuis, onze groupes de travail ont planché sur des mesures concrètes qui permettraient de mieux protéger et prendre en charge des victimes de violences conjugales.
  • Amélioration du recueil des plaintes, réquisitions des armes des conjoints violents à la première menace ou encore signalement des violences par les médecins comptent parmi les mesures phares remises au gouvernement ce mardi.

Une réalité glaçante, marquée par des chiffres qui, invariablement, ne baissent pas. Encore aujourd’hui, une femme meurt tous les deux jours en France, tuée par son conjoint ou son ex-compagnon et chaque année, près de 270.000 femmes sont victimes de violences conjugales. C’est pourquoi « cette cause est l’affaire de tous », a insisté la secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, à l’occasion ce mardi de la restitution des groupes de travail du grenelle des violences conjugales. Amélioration de l’accueil des victimes en commissariat, suppression de l’autorité parentale du conjoint auteur de féminicide ou encore réquisition des armes à feu dès la première plainte, 20 Minutes présente les propositions phares dévoilées ce mardi.

Améliorer l’accueil des victimes qui viennent déposer plainte

Offrir une écoute bienveillante aux victimes qui viennent déposer plainte et leur fournir une information claire sur leurs droits, telle a été la mission du groupe de travail piloté par le ministère de l’Intérieur, consacré à l’amélioration de l’accueil des victimes par les forces de l’ordre. « Aujourd’hui, les victimes ne sont pas toujours prises au sérieux », ont rappelé les experts. Ils ont ainsi préconisé « le renforcement de la formation initiale et continue des policiers et gendarmes, la mise en place d’une grille d’évaluation du danger » de la personne qui vient déposer plainte. Mais aussi l’élaboration d’un « protocole clair d’accueil en gendarmerie et commissariat » et la « remise systématique d’un document d’information simplifié aux victimes sur leurs droits et dispositifs d’accompagnements ». L’objectif : éviter qu’une victime quitte un commissariat sans connaître ses droits ou les structures qui peuvent lui venir en aide. Des dysfonctionnements qui devraient être identifiés puis évités après le lancement « d’un audit de grande ampleur sur l’accueil des femmes victimes de violences, dans 400 commissariats et brigades de gendarmerie ».

En outre, les membres de ce groupe de travail ont plaidé pour que les plaintes des victimes de violences conjugales puissent être recueillies en milieu hospitalier.

Faire évoluer le secret médical

Que faire lorsque l’on est tenu au secret médical mais que l’on soigne une patiente présentant des signes de violences conjugales ? Très souvent sous l’emprise psychologique de leur conjoint violent, les victimes n’osent pas parler. C’est pourquoi « nous voulons permettre à un médecin et à tout soignant de porter à la connaissance des autorités, sans l’accord de la victime majeure, des faits de violences conjugales en cas de risques sérieux de renouvellement de celles-ci », ont indiqué les experts. Un signalement qui serait possible après modification « des dispositions législatives applicables en matière de secret professionnel ». « C’est une proposition qui me tient à cœur, même si je conçois que ça peut bousculer des habitudes, a souligné Marlène Schiappa. Mais quand le soignant voit qu’il y a un risque de récidive et que la vie de la femme est en danger, nous pensons qu’il faut faire évoluer le secret médical ».

Réquisitionner les armes à feu des auteurs de violences

Rien que depuis le début de l’année, 125 féminicides ont eu lieu en France, selon le collectif féministe Féminicides par (ex) compagnons, soit plus que durant toute l’année 2018. « On entend souvent que les femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint, or 31,8 % des féminicides sont liés à l’utilisation d’une arme à feu, a rappelé mardi Marlène Schiappa. Ce qui en fait le premier mode opératoire dans les féminicides, devant les coups ».


Face à ces chiffres, l’une des 60 propositions présentées ce mardi porte sur la réquisition des armes à feu des auteurs de violences, et ce dès la première plainte déposée à leur encontre.

Rendre le 3919 plus accessible

Quasiment inconnu il y a quelques semaines, le 3919 est désormais dans la tête de « 59 % des Français », a précisé la secrétaire d’Etat, et enregistre « deux fois plus d’appels chaque jour ». Mais ce n’est pas encore assez, et désormais, l’objectif est de rendre cette plateforme d’écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences conjugales accessible 24 heures sur 24. Une avancée qui serait particulièrement utile pour celles résidant dans les DOM, actuellement gênées par le décalage horaire. Un numéro d’écoute qui devrait en outre être plus adapté aux personnes ne parlant que les langues locales. Mais aussi aux femmes en situation de handicap, « qui ne se reconnaissent pas forcément comme victimes », a précisé le groupe de travail dédié.

L’affichage dans les entreprises du 3919 et des coordonnées des associations d’aide aux femmes victimes de violences est également préconisé.

Supprimer l’autorité parentale en cas de féminicide

Au sein des couples séparés qui se partagent la garde, l’échange des enfants est souvent le moment où l’auteur de violences peut passer à l’acte. C’est pourquoi, il faut en premier lieu « demander au JAF [juge aux affaires familiales] de se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale par le parent auteur des faits en cas d’interdiction d’entrer en contact avec la victime dans le cadre de l’ordonnance de protection ».

La secrétaire d’Etat s’est également prononcée en faveur de la suppression de l’autorité parentale pour les auteurs de féminicides. « Un homme qui a tué la mère de ses enfants ne peut en aucun cas en avoir la garde », a-t-elle insisté. Dans la continuité de cette « mesure portée par le Premier ministre, a rappelé Marlène Schiappa, il faut décharger les descendants de leur obligation alimentaire envers le parent condamné pour homicide volontaire sur l’autre parent. Une obligation alimentaire qui contraint des enfants – devenus adultes – à verser une pension à leur père qui a assassiné leur mère ».

Inscrire dans la loi les violences psychologiques

Pour Marlène Schiappa, les violences psychologiques doivent être « mieux spécifiées dans la loi, qui n’est pas assez claire ». Yael Mellul, qui a piloté l’un des onze groupe de travail, a appelé à « définir les violences psychologiques et l’emprise, et préciser leurs éléments constitutifs ». L’ancienne avocate pénaliste spécialiste des violences conjugales a rappelé que « les violences psychologiques – insultes, dénigrement, isolement, chantage – sont la racine des violences physiques ».

L’experte souhaite également « faire du suicide forcé [d’une victime de violences conjugales] une circonstance aggravante ». Une mesure importante pour Marlène Schiappa : « Je pense au cas où un homme violent a forcé son ex-conjointe à sauter par la fenêtre. N’a-t-il aucune responsabilité ? » Selon les estimations de l’un des onze groupes de travail, 217 femmes ont été victimes de « suicides forcés » en 2018.

Après les 60 mesures proposées ce mardi, le gouvernement va mener une réflexion interministérielle qui aboutira à l’annonce de nouvelles mesures. Elles seront dévoilées le 25 novembre lors de la conclusion du grenelle des violences conjugales, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

* L’appel au 3919 est anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 22h du lundi au vendredi, et de 9h à 18h les samedis, dimanches et jours fériés, en métropole comme dans les départements d’outre-mer.

Le 3919 n’est pas un numéro d’urgence : en cas de danger immédiat, il faut appeler la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17, le 112 ou le 18.