VIDEO. Manifestation des policiers : « Il y a trente ans ce métier faisait rêver, maintenant ce n’est plus le cas »
REPORTAGE Hausse des suicides, réforme des retraites, dégradations des conditions de travail… Plusieurs milliers de policiers ont manifesté, ce mercredi, à Paris, pour exprimer leur malaise
- Entre 22.000 et 29.000 policiers ont manifesté, ce mercredi, à Paris, pour exprimer leur « colère ».
- Alors que le nombre d’agents qui se sont suicidés depuis le début de l’année atteint des records, les manifestants ont dénoncé la dégradation de leurs conditions de travail, le manque de considération de l’administration.
- Les syndicats attendent désormais une réponse du gouvernement et se disent prêts à se remobiliser.
« Drapeaux les gars ? C’est bon ? » Près de l’entrée de l’opéra Bastille, un syndicaliste de l’Unsa-Police s’assure que les agents présents ont bien récupéré leur matériel pour manifester. Sous le regard intrigué des ouvriers qui refont la place, des milliers de policiers – entre 22.000 et 29.000 selon les organisateurs – se préparent à s’élancer en direction de la place de la République pour exprimer leur «colère». Tous les syndicats ont, pour l’occasion, répondu présents ce mercredi. Une première depuis 2001, révélatrice de l’ampleur du malaise qui règne dans l’institution policière.
« Ça fait quatre ans que l’on dit que ça va péter, tempête Denis Jacob, secrétaire général d’Alternative Police CFDT. Les policiers en ont marre de ne pas être entendus. Alors ça y est, on y est. » Bruno, 50 ans, est venu de Metz pour « dénoncer le trop grand nombre de suicides dans la police ». Déjà une cinquantaine depuis le début de l’année. « C’est sans précédent », affirme cet agent affecté à la police de l’air et des frontières. « L’administration doit prendre en compte notre malaise, dit-il. Quand je suis rentré dans la maison, il y a trente ans, ce métier faisait rêver. Maintenant, ce n’est plus le cas. » Ce que confirme Emmanuel, commissaire de police dans le Val-de-Marne.
« Ils ont raison ! »
« La police a du mal à créer des vocations », explique celui qui est policier depuis vingt-sept ans. Il se souvient qu’à ses débuts « la plupart des gens venaient au boulot avec plaisir. Alors qu’aujourd’hui, on a des interrogations sur notre avenir ». Parmi les raisons du malaise, il cite « la procédure pénale qui est de plus en plus complexe », « les sanctions judiciaires qui ne sont pas assez dissuasives », les difficultés à « travailler sur le terrain ». Il y a aussi « l’insalubrité des locaux », le manque de voitures, ou le matériel de protection qui fait défaut, note Gus, 47 ans dont 20 passés dans les commissariats. « Certains collègues sont même obligés d’acheter du matériel d’appoint », souligne ce policier du Val-de-Marne.
Vers 13h30, le cortège se met en branle. « On est en colère ! » scandent les manifestants. « Ils ont raison ! », souffle un commerçant qui les observe sur le perron de sa boutique. Drapeaux, ballons, sifflets, pétards, musique… « Ils ont les moyens pour faire leur manif », s’étonne une jeune fille qui fume une cigarette devant une librairie avec une amie. Une petite trentaine de « gilets jaunes », parmi lesquels Eric Drouet, tentent alors de perturber la manifestation. Julien fait face à la tête du cortège en tenant dans ses mains des photos de personnes blessées, dit-il, lors d’interventions de la police. « Je veux rappeler aux flics qui manifestent toutes les violences qu’ils ont commises depuis dix mois », nous explique-t-il.
« On attend maintenant des réponses »
« Ils ne respectent pas leur code de déontologie quand ils gazent des gens ou leur tirent dessus au lanceur de balle de défense », s’agace de son côté Ludovic. Des gendarmes mobiles interviennent et bloquent ces « gilets jaunes » le temps que les manifestants passent à leur niveau en les sifflant. Les accusations de violences policières, Laurent, 43 ans, estime qu’elles pèsent sur le moral des troupes. « Dans les médias, on ne voit que le côté violent des interventions », regrette ce policier en poste dans les Hauts-de-Seine. « Nous utilisons des techniques apprises à l’école. Notre objectif, c’est de rétablir l’ordre, je n’y vois rien de choquant. »
Alors que le cortège arrive place de la République, il s’immobilise un instant. Les manifestants chantent la Marseillaise puis observent une minute de silence en hommage aux policiers qui se sont suicidés. Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance police nationale, est content. « C’est une belle mobilisation », sourit le responsable syndical. « C’est un avertissement lancé au gouvernement et à la présidence de la République, un carton jaune qu’on leur adresse. » Si rien ne bouge, prévient-il, les policiers n’hésiteront pas à se remobiliser. « On attend maintenant des réponses et des actes concrets. »