Incendie de l’usine Lubrizol à Rouen : « Ce qui me chagrine, c’est le manque d’information et de logique »

TEMOIGNAGES Quatre jours après l’incendie qui a ravagé une usine à Rouen et au lendemain de la publication des premières analyses, beaucoup de Rouennais s’interrogent sur les conséquences sanitaires de cet accident chimique

Oihana Gabriel
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Feu de l'usine Lubrizol de Rouen, septembre 2019.
Feu de l'usine Lubrizol de Rouen, septembre 2019. — Robin Letellier/SIPA
  • Jeudi, un nuage noir a envahi Rouen après un incendie qui a ravagé l’usine Lubrizol, classée Seveso seuil haut, qui produit, notamment, des additifs pour l’huile.
  • Samedi, le préfet de Normandie a évoqué une « catastrophe majeure », mais assuré que les analyses de l’air montraient une qualité habituelle.
  • Pour autant les habitants restent très inquiets. Certains de nos internautes, qui vivent à Rouen ou aux alentours, ont partagé leurs doutes.

Faut-il déposer les enfants à l’école ce lundi ? Reprendre le chemin du travail ? A Rouen, les habitants s’interrogent toujours sur les conséquences sanitaires à court et long terme de l’incendie de l’usine chimique Lubrizol, classée Seveso. Samedi, le préfet de Normandie a tenté de rassurer les citoyens. Si Pierre-André Durand parle de « catastrophe majeure », il évoque « un état habituel de la qualité de l’air sur le plan sanitaire à l’exception de la mesure effectuée sur le site de Lubrizol pour ce qui concerne le benzène ». Tous les premiers résultats des analyses sont accessibles sur le site de la préfecture. Malgré tout, trois jours après l’accident, certains habitants partageaient leurs craintes sur les réseaux sociaux.


A la veille d’une reprise, à l’école ou au travail, nous avons demandé à nos internautes, qui vivent à Rouen et dans les environs, comment ils envisageaient cette semaine.

« La minimisation de cette catastrophe industrielle est dérangeante »

Mélissande, 29 ans, travaille à Rouen et ne cache rien de ses appréhensions. Enceinte de cinq mois, elle n’a pas rejoint son bureau jeudi et vendredi, hésite à en reprendre le chemin lundi, après un week-end dans l’Eure loin des fumées noires et nauséabondes. « Je n’ai aucune confiance en ce que dit le préfet, déjà en 2013 [cette même usine avait déjà connu un accident], lorsque j’étais à Saint-Etienne-du-Rouvray nous avions senti l’odeur du mercaptan et le préfet avait dit que c’était du gaz odorant, mais aucunement toxique, alors qu’il s’avère être bien toxique. Des études montrent déjà que la pollution de l’air est néfaste pour les personnes fragiles et entraînent des conséquences directes sur le placenta du bébé, donc effectivement je ne suis pas rassurée. La minimisation de cette catastrophe industrielle est vraiment dérangeante. »

Marion, étudiante en 5e année de droit, n’est pas davantage rassurée : « j’ai hésité tout le week-end à abandonner mes études pour cette année, parce que je ne veux pas retourner à la fac et mettre en danger ma santé. Je pense sincèrement que le préfet ne nous dit pas tout et que l’incident est beaucoup plus grave que ce qu’il veut bien nous dire. » Ce dimanche matin, Florian, 38 ans, sentait « des odeurs d’hydrocarbures dans l’air, par vague. Ce qui me chagrine, c’est le manque d’information et de logique. Quand cet été on nous demandait de rouler moins vite pour des pics de pollution aux particules fines, et que là un entrepôt de produit chimique brûlé entièrement n’apporterait aucun risque. »

Des résultats qui ne rassurent pas tout le monde

Les affirmations du préfet n’ont pas rassuré Karl, un internaute, qui regrette : « Loin d’être adepte des théories du complot, des questions se posent et ce n’est pas la préfecture qui vient y répondre. Qualité de l’air, de l’eau… Tout reste en suspens. Les résultats d’analyse n’ont pas été communiqués bien que promis par le préfet. » En effet, le bilan publié samedi soir précise que d’autres analyses, qui prennent plus de temps, seront communiquées ultérieurement.

Pour Pascale, au contraire, il n’y a pas de secret bien gardé. Cette Rouennaise de 60 ans n’a subi « aucun effet secondaire, pas de trace dans mon jardin ni sur ma voiture et plus du tout d’odeur dans l’air ambiant aujourd’hui dimanche. J’ai eu accès à tous les résultats chiffrés des prélèvements, ils corroborent tout ce qui a été dit par le préfet samedi, j’étais pourtant très inquiète mais je suis à 90 % rassurée, les prélèvements de gaz dans l’air sont tous négatifs sauf sur le site de l incendie, donc nous n’avons pas respiré de gaz toxiques. »

Beaucoup d’inquiétudes pour les enfants

Et beaucoup de ces Rouennais avouent qu’ils s’angoissent pour leur progéniture. Des enfants plus fragiles et dont le système respiratoire est encore en construction. « Même si les infos, celles du préfet se veulent rassurantes, je suis anxieuse d’aller travailler demain et de laisser mon fils de dix mois chez la nourrice, explique Floriane, 30 ans, qui vit sur le plateau ouest de Rouen. J’ai un masque chirurgical pour lui mais je reste sceptique de son efficacité et du fait qu’il va le garder. »

Audrey s’est rendue avec sa mère samedi soir à Rouen. « En arrivant vers le boulevard des Belges, une odeur forte nous a incommodées. Proche du palais de justice, l’air du parking sous-terrain était irrespirable, nous avons été prises de nausées, d’étourdissements et très rapidement de maux de tête. Hier soir, en empruntant le pont Flaubert avec mes deux enfants pour aller en direction de Barentin, l’odeur était persistante, même plus forte. J’étais inquiète pour eux. »

Même réticences du côté de Nicolas, médecin au CHU de Rouen. « De nombreux patients se présentent aux urgences​ avec des symptômes à type de maux de tête, diarrhées et vomissements, qui sont difficilement attribuables aux fumées seules et à leur caractère irritant. Les relevés et analyses communiquées par la préfecture n’ont mesuré l’air qu’à un instant donné et en seulement six lieux différents. Les odeurs restent envahissantes en ville. J’ai personnellement emmené mon fils chez mes parents en région parisienne tant que les explications apportées ne seront pas plus cohérentes. »