Affiche de la FCPE : Pourquoi le sujet des sorties scolaires avec des mères voilées refait-il surface ?
EDUCATION Une affiche de la FCPE représentant une mère voilée a suscité l’ire du ministre de l’Education ce mardi
- Le sujet conflictuel de l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées a ressurgi ce mardi, avec une polémique concernant une affiche de la FCPE.
- Débat de société, c’est aussi un sujet éminemment politique, qui a donné lieu à de multiples offensives ces dernières années.
- Même si le droit est clair sur cette question, l’accompagnement des sorties scolaires par les mères voilées crée encore parfois des tensions dans les établissements.
Une image qui a fait sortir de ses gonds Jean-Michel Blanquer. Lors d’un séminaire sur la laïcité à l’école ce mardi, le ministère de l’Education a fustigé une affiche de la FCPE (la première fédération de parents d’élèves) montrant une femme voilée avec le slogan « Oui, je fais une sortie scolaire, et alors ? », la qualifiant d’erreur. Une affaire qui relance encore la question très inflammable de l’accompagnement des sorties scolaires par les mères voilées. L’occasion pour 20 Minutes de faire le point.
Comment est née cette polémique ?
Les élections des représentants de parents d’élèves auront lieu les 11 et 12 octobre prochains. En pleine préparation de sa campagne, la FCPE a donc imaginé des affiches à destination de ses potentiels électeurs et rappelant certains de ses engagements (la lutte contre les violences à l’école, contre les classes surchargées…). L’affiche défendant le droit pour les mères voilées à accompagner leurs enfants aux sorties scolaires a été envoyée en interne à toutes les sections départementales, il y a un mois. « Elle faisait partie d’un lot dans le cadre du matériel électoral en vue des élections. Aux sections de choisir ensuite les affiches à diffuser en fonction des réalités de terrain », a expliqué Rodrigo Arenas, le président de la FCPE, à 20 Minutes.
Selon la FCPE., « sortie de son contexte, cette affiche a été instrumentalisée par des réseaux d’extrême droite et par Laurent Bouvet, fondateur du Printemps républicain et membre du Conseil des sages de la laïcité, institué par Jean-Michel Blanquer », s’est insurgé Rodrigo Arenas. Laurent Bouvet, qui promeut une laïcité stricte, a d’ailleurs détourné l’affiche sur ses comptes Facebook et Twitter, en remplaçant par exemple le visage de la femme par des visages de djihadistes. Et la fédération de parents d’élèves se dit cyberharcelée depuis.
A ceux qui voient dans cette affiche une volonté de provoquer, la fédération de parents d’élèves s’inscrit en faux. « Nous défendons une laïcité incluante, et pas excluante. Nous sommes bien contents de trouver ces mamans pour accompagner nos enfants au musée. Ces mères siègent dans les conseils d’école mais n’auraient pas le droit d’accompagner des sorties scolaires ? L’affiche rappelle juste le droit : aucune mère n’est interdite de sortie scolaire. Et on n’embête pas un père qui porte un tee-shirt de Bérurier noir lorsqu’il accompagne des sorties… », se défend Rodrigo Arenas.
Quelle a été la réaction du ministre ?
Lors du séminaire sur la laïcité, ce mardi, Jean-Michel Blanquer s’est dit « attristé » par cette affaire. « Cette fédération de parents d’élèves a été fondée sur le principe de la laïcité. Il est inquiétant de voir une organisation héritière du principe de laïcité le trahir. Je veux croire que c’est une erreur », a-t-il fustigé. « C’est un tout petit peu inquiétant ; il y a des élections de parents d’élèves dans quelques semaines. Le fait qu’on ait maintenant des organisations qui essayent de flatter le communautarisme pour avoir des voix n’est pas une bonne chose », a-t-il poursuivi. Ce qui a fait bondir Rodrigo Arénas : « La FCPE n’a pas de leçon de laïcité à recevoir. Le ministre s’immisce dans une élection de parents d’élèves. C’est une atteinte à la démocratie scolaire », a-t-il dénoncé.
Quelle est la règle concernant l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées ?
La loi du 17 mars 2004 interdit les signes religieux ostensibles (foulard, kippa…) à l’école publique. Mais régulièrement, la question des mères voilées accompagnatrices de sorties scolaires s’impose dans le débat public. En 2012, une circulaire du ministre de l’Education de l’époque, Luc Chatel, demandait aux parents d’élèves de ne pas porter de signe religieux ostentatoire lors des sorties scolaires. Mais en 2013, le Conseil d’Etat a estimé que ces mêmes parents n’étaient pas soumis aux « exigences de neutralité religieuse » imposée aux enseignants, car ils ne peuvent pas être considérés comme des agents auxiliaires du service public.
Et lors de sa campagne électorale, en 2016, Emmanuel Macron avait été clair sur son intention de ne pas changer la donne : « Je ne crois pas, pour ma part, qu’il faille inventer de nouveaux textes, de nouvelles lois, de nouvelles normes, pour aller chasser le voile à l’université, pour aller traquer ceux qui, lors des sorties scolaires, peuvent avoir des signes religieux. »
Mais en mai dernier, le sujet a encore été remis sur la table via un amendement LR au projet de loi « Pour une école de la confiance », visant à interdire les signes religieux ostentatoires lors des sorties scolaires. Il avait été adopté au Sénat, contre l’avis du gouvernement, mais n’avait finalement pas survécu à la suite de la discussion parlementaire. Jean-Michel Blanquer s’est plusieurs fois exprimé sur le sujet, en expliquant qu’il respectait le droit, tout en émettant des réserves, comme ce mardi : « Sur le plan juridique, c’est tout à fait possible pour une mère voilée d’accompagner une sortie scolaire. En revanche, nous n’avons jamais dit que c’était à encourager », a-t-il précisé. Et dans son vade-mecum sur la laïcité, le ministère de l’Education insiste bien sur le fait que les intervenants extérieurs à l’école « ont le droit de manifester leurs convictions religieuses, mais ne peuvent faire acte de propagande ou de prosélytisme religieux, politique ou commercial ».
Que se passe-t-il réellement dans les établissements ?
La question des sorties scolaires accompagnées par des mères voilées ne pose pas de problème dans de nombreux établissements scolaires. Mais dans d’autres, plus minoritaires, cette situation crispe encore : « Je suis régulièrement saisi par des chefs d’établissement qui m’interrogent sur les règles à tenir », explique à 20 Minutes Laurent Lom, référent laïcité à l’académie de Toulouse. « Certains parents s’étonnent qu’il puisse y avoir des accompagnatrices voilées », témoigne aussi Lionel Jeanneret, référent laïcité à l’académie de Dijon.
Et parfois, les situations sont plus tendues : « Certains parents refusent une sortie scolaire car elle est accompagnée par des mamans voilées. Des situations que nous réglons généralement par le dialogue », déclare Nathalie Reveyaz, référente laïcité à l’académie de Grenoble. Ce qui pousse certains chefs d’établissement, selon Rodrigo Arenas, à vouloir éviter les conflits, « Certaines équipes pédagogiques refusent d’organiser des sorties scolaires, car seules des mamans voilées sont disponibles pour les accompagner ». Ce qui fait dire à la députée LFI Clémentine Autain que « si demain, on interdit aux femmes qui portent le foulard de faire les sorties scolaires [en Seine-Saint-Denis], il n’y aura tout simplement plus de sorties scolaires ».