« Demain est à nous » : Un documentaire interroge sur l’engagement des enfants et des adolescents
CINEMA Un documentaire, qui sort en salles ce mercredi, donne la parole à plusieurs enfants qui aident les autres aux quatre coins du monde, mettant en lumière l’engagement renouvelé de la jeunesse
- Le documentaire « Demain est à nous » sort en salles ce mercredi et suit le parcours d’enfants qui se battent contre la pollution, la grande pauvreté, les mariages forcés.
- Du Pérou à l’Inde en passant par Cambrai, Gilles de Maistre promène sa caméra pour donner à voir des enfants bienveillants et courageux.
- Alors que le phénomène Greta Thunberg bat son plein et qu’elle s’est montrée très virulante et émue lors de son discours à l’ONU lundi, ce film vient interroger l’engagement de ces très jeunes, concret, immédiat et inventif.
Heena, 11 ans, rédige un journal pour donner la parole aux enfants des rues de New Dehli. Aïssatou, 12 ans, lutte contre les mariages de filles mineures en Guinée. José Adolfo, 13 ans, a créé une banque écologique pour enfants au Pérou. Arthur, 10 ans, vend ses toiles pour offrir aux SDF sandwichs et couvertures à Cambrai. Autant de leçons d’humanité et de solidarité qui prouvent que l’âge ou la taille n’empêchent pas d’agir. Gilles de Maistre met en lumière ces jeunes têtes bien faites dans le documentaire Demain est à nous, en salles ce mercredi. Alors que Greta Thunberg, du haut de ses 16 ans, alerte (et crispe) sur l’état de la planète, notamment lundi devant les dirigeants du monde à l'ONU, ce film stimulant pose la question de l’engagement de cette (très) jeune génération.
« Un mouvement mondial qui ne va pas s’arrêter »
« J’ai six enfants et j’ai envie de leur parler au dîner, mais aussi au travers de mes films », explique le réalisateur. Gilles de Maistre a longtemps filmé les enfants soldats ou victimes de violences et de catastrophes climatiques. « Il y a trente ans, ils courbaient l’échine, analyse-t-il. Aujourd’hui, les enfants de ces enfants sont en train de se lever. »
L’explosion médiatique de Greta Thunberg, qui a lancé la grève de l’école il y a un an pour lutter contre le réchauffement climatique, en est une preuve. Elle était d’ailleurs l’une des figures majeures du récent sommet de la jeunesse pour le climat à New York. La Suédoise fait notamment des émules dans le monde, notamment en Thaïlande, où Lilly, 12 ans, collecte du plastique.
Le documentariste avait déjà commencé le tournage quand le « phénomène Greta » s’est imposé. Il s’est alors posé la question d’aller en Suède la rencontrer. « Mais pour moi, Greta est une lanceuse d’alerte. Elle inspire, et c’est tant mieux ! Mais les enfants que je filme sont dans l’action, ne stigmatisent pas les adultes. » En effet, pas de responsable pointé du doigt par Athur, Aïssatou ou José Adolfo.
En baladant sa caméra de l’Inde à la Guinée en passant par la Bolivie, Gilles de Maistre montre que cet engagement n’est pas uniquement le fait d’enfants occidentaux. Si l’on sent un même dévouement et une évidence dans leur combat, le film ne gomme par pour autant les immenses différences entre une enfant des rues indiennes et un jeune français dont l’école est gratuite. Et notre vision très occidentale peut se fracasser sur de dures réalités : les trois enfants boliviens se battent non pas pour que le travail des enfants soit interdit, mais encadré…
« Je voulais montrer que c’est un mouvement mondial qui ne va pas s’arrêter et qui ne dépend pas de la classe sociale », reprend le réalisateur. Qui espère que ce documentaire donnera des idées à d’autres. « Le lendemain d’une projection du film à Boulogne-sur-Mer, quatre enfants sont allés donner à manger à un SDF pour "faire comme Arthur". Cela m’a bouleversé. »
Un engagement renouvelé
Contrairement à ses aînés, cette génération n’est séduite ni par les partis politiques, ni par les syndicats. Mais choisit une action immédiate et concrète. Trouve des réponses simples à des questions complexes. Comme distribuer des sandwichs aux SDF du coin de la rue plutôt qu’attendre que le gouvernement lutte contre la grande pauvreté. « Les adultes ont tendance à penser qu’il y a tant à faire qu’il ne sert à rien de se battre, assure le réalisateur. Les enfants n’ont pas ces barrières. Par exemple, José Adolfo ne veut pas régler le problème de l’environnement, mais il ramasse cartons et plastiques pour permettre à des enfants de se nourrir et d’étudier. C’est ce qui révolutionne notre regard. »
Si ce documentaire délivre un message d’espoir assez rare quand on parle d’avenir aujourd’hui, il dénonce en creux l’inaction des puissants. « Ces enfants et adolescents mettent en avant les défauts du politique traditionnel, explique Vincent Tiberj, chercheur à Sciences Po Bordeaux et auteur de l’ouvrage Les citoyens qui viennent*. On a de moins de moins de militants et de plus en plus d’associatifs chez les jeunes, parce qu’ils ont l’impression d’être plus utiles. Autre spécificité : on est face à une génération qui est dans un militantisme continu : vous mangez, vous vous déplacez, vous respirez en pensant climat. Mais attention, toute cette génération ne va faire que des activistes ».
Hyperconnectés et médiatisés
Pour Gilles de Maistre, les changements dans l’éducation ont à voir avec cette créativité. « A mon époque, les enfants ne parlaient pas, n’avaient pas d’opinion, tranche-t-il. Aujourd’hui, non seulement ils sont à même de comprendre le monde qui les entoure, mais ils ont droit de le juger. » Autre ingrédient de cette petite révolution : les enfants hyperconnectés peuvent se filmer et communiquer aux quatre coins du monde. Ainsi, Arthur, à Cambrai, a pu découvrir l’ambition de Khloé, qui épaule les SDF de Los Angeles. « On est face à une génération qui a les moyens de son autonomie, souligne Vincent Tiberj. Avec les réseaux sociaux, on peut monter une manif en deux clics. » Ce qu’on a bien vu avec les marches pour le climat. « Mais on est seulement au début d’une transformation des logiques d’expression et de mobilisation », prévient le chercheur.
L’autre gros changement concerne la visibilité de ces mouvements. Des mobilisations de jeunes, il y en a eu, beaucoup. Mais les médias – et maintenant le cinéma – n’ont peut-être jamais autant donné la parole à des enfants et adolescents. « Il y a clairement une mobilisation globale de la société sur la question de l’environnement », reprend le sociologue.
De nombreuses difficultés
Le problème, selon Vincent Tiberj, est que « ces volontés des jeunes de participer ne rencontrent pas le désir des adultes de laisser la place… » D’où une certaine frustration. Le documentaire ne tait d’ailleurs pas les difficultés auxquelles ces enfants doivent faire face. José Adolfo, qui a accouché de cette idée de banque écologique dès l’âge de 7 ans, explique qu’il a longtemps été moqué, puis dupé. Heena, elle, doit affronter la colère des parents qui exploitent leurs propres enfants.
Pour Vincent Tiberj, il reste donc du travail avant que la société n’écoute les conseils d’un enfant. « Certes, Greta Thunberg est devenue une icône internationale. Mais les réactions d’une partie des intellectuels ou politiques sont révélatrices d’un certain mépris. La délégitimation de la jeunesse comme acteur politique a encore de beaux jours devant elle… »
Vers un clash des générations ?
Ce mépris risque-t-il, au final, d’enclencher une guerre des générations ? « On est en train d’assister à une polarisation autour de ces questions écologiques, analyse l’enseignant. Il y aura énormément de discussions à table dans les familles ! Mais je ne crois pas à un clash des générations. Plutôt à une opposition croissante entre ceux qui ont pris conscience des enjeux écolos et des autres. Une opposition qui sera déterminée par un mélange de social, de géographique et d’habitudes de consommation. »
* Les citoyens qui viennent, Puf, 2017, 25 €.
En librairie
Un roman retraçant les histoires hors du commun de ces enfants, ainsi que plusieurs albums de photos, publiés par Gründ, accompagnent la sortie du documentaire Demain est à nous.