«Ecole de la confiance»: Pourquoi le devoir «d'exemplarité» prévu dans le projet de loi horripile les profs

EDUCATION L’article 1 du projet de loi pour une école de la confiance est interprété comme une volonté de museler les profs

Delphine Bancaud
Manifestation contre le projet de loi Blanquer le 04/04/2019. Crédit:Jacques Witt/SIPA.
Manifestation contre le projet de loi Blanquer le 04/04/2019. Crédit:Jacques Witt/SIPA. — Jacques Witt/SIPA
  • Le projet de loi Blanquer sera examiné au Sénat à partir du 14 mai, mais son article 1 a déjà été retouché par le Sénat qui a cherché une formulation plus consensuelle.
  • Mais il suscite toujours l’ire des enseignants qui voient dans le devoir «d’exemplarité» signifié dans l’article 1, une volonté de les mettre au pas.

C’est le premier article du projet de loi pour une école de la confiance et il ne passe pas toujours chez les enseignants. Voté en première lecture par l’Assemblée nationale en février, le texte sera examiné au Sénat à partir du 14 mai. Mais début mai, le projet de loi Blanquer a été largement remanié en commission par le Sénat.

Et l’article 1 a été retouché. Dans sa version initiale, il indiquait que « la qualité du service public de l’éducation dépend de la cohésion de la communauté éducative autour de la transmission de connaissances et de valeurs partagées. Cela signifie, pour les personnels, une exemplarité dans l’exercice de leur fonction et, pour les familles, le respect de l’institution scolaire, dans ses principes comme dans son fonctionnement ». Des mots qui ont mis le feu aux poudres, certains syndicats enseignants ayant vu dans cette injonction à l’exemplarité, une volonté de réduire leur liberté d’expression.

Jean-Michel Blanquer se défend de vouloir « museler » les profs

Ce qu’a récusé le ministre de l’Education, affirmant qu’il ne voulait pas « toucher en quoi que ce soit au devoir de réserve ». Les trois groupes de gauche à l’Assemblée ont tenté de supprimer cet article, dénonçant une volonté de « museler » les profs. Mais Jean-Michel Blanquer a défendu cette mesure « de principe », en reprochant à ses détracteurs de droite comme de gauche d'« entretenir » la crise de défiance que connaît le pays.

Une polémique qui a poussé les sénateurs à adoucir les propos dans la nouvelle version de l’article : « L’engagement et l’exemplarité des personnels de l’éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui unit les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire », indique-t-il.

Une formulation atténuée par le Sénat

« Dans le texte initial, la notion d’exemplarité était très liée aux droits et devoirs des enseignants. Dans notre version, le sens du mot a évolué : les professeurs doivent se montrer exemplaires vis-à-vis des élèves et c’est cette exemplarité qui conforte le respect dû à leur autorité », explique Max Brisson, sénateur (LR) et rapporteur du projet de loi. « Les sénateurs ont clairement changé de cap. Ils ont voulu insister dans cet article sur le respect qui est dû aux enseignants, dans un contexte de dégradation du climat scolaire et d’augmentation des violences contre le corps éducatif. Du coup, c’est devenu un article de loi de circonstance », estime de son côté, Marc Vannesson, délégué général de VersLeHaut, un think thank éducatif qui se définit comme non partisan.


Mais cette nouvelle formulation ne semble pas avoir calmé les inquiétudes des profs, à l’instar de Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa : « Cet article introduit un signal politique à peine amoindri par la nouvelle formulation. Il insiste sur les notions d’autorité et d’exemplarité des enseignants et donne un sentiment de suspicion à leur égard ». Un avis partagé par Frédérique Rolet, secrétaire générale du syndicat enseignant Snes-Fsu : « Cet article est comme un signal donné aux enseignants, en leur rappelant leur devoir de réserve et en leur sous-entendant qu’ils ne doivent pas critiquer la politique de leur ministre. D’ailleurs, l'étude d'impact du projet de loi évoque clairement les personnels de la communauté éducative qui dénigrent "par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire" ». Des réactions un peu exagérées selon Marc Vensson : « Le devoir de réserve des fonctionnaires est défini par la loi du 13 juillet 1983 et l’article 1 de la loi Banquer n’ajoute rien juridiquement ».

Reste à savoir si cet article tant commenté subira encore un lifting lors de la navette parlementaire. « S’il reste en l’état, il demeurera un élément de crispation pour les enseignants qui le considéreront comme un signe de défiance », prévient Stéphane Crochet.