Grenoble: Un chirurgien suspendu pour une série d’erreurs médicales, son avocat évoque « un acharnement »
POLEMIQUE L’Assurance maladie a diligenté une enquête faisant état de 54 dossiers portant sur les années 2013 et 2014
- Un chirurgien de Grenoble, spécialisé dans les opérations du dos, va être suspendu dix-huit mois de ses activités à la suite d’une enquête de l’Assurance maladie.
- La CPAM fait état de 54 dossiers dans lesquels « les patients ont été opérés sans justification médicale ».
- Trois d’entre eux ont porté plainte au pénal.
- L’avocat du praticien estime que l’enquête a été « orientée » et dénonce « un acharnement » à l’encontre de son client.
Aujourd’hui, Christophe Fuselier se déplace en fauteuil roulant. Il y a dix ans, cet ancien chauffeur routier ne pensait pas qu’il finirait par se faire amputer de la jambe gauche. A l’époque, l’homme souffre de problèmes de dos et contacte un chirurgien de Grenoble afin de se faire opérer. La suite ne sera qu’une série de complications qui le conduira à se faire couper la jambe.
Depuis, l’homme a porté plainte contre le praticien. La Sécurité sociale avait donné l’alerte en diligentant une enquête, dans laquelle elle recensait 54 dossiers portant sur les années 2013 et 2014 et dans lesquels « les patients ont été opérés sans justification médicale ». « Ce qui les a exposés à un risque injustifié », selon le rapport de la CPAM que 20 Minutes a pu consulter. Au mois de janvier, le Conseil national de l’ordre des médecins a pris la décision de le suspendre de ses fonctions pour une période de dix-huit mois. Une mesure qui prendra effet à compter du 1er mai.
« Un scandale de santé publique local »
« Cet homme ne peut en aucun cas reprendre ses activités. C’est un scandale de santé publique local. Tout le monde aurait dû savoir », lâche en préambule Edouard Bourgin, l’avocat d’une dizaine de plaignants, précisant que trois plaintes étaient sur le point d’être déposées au pénal et confirmant ainsi une information du Parisien. Christophe Fuselier, l’un de ses clients, avait déjà saisi la justice en 2008.
« Il a fallu attendre presque dix ans pour que les choses bougent. Si un ordinateur de la Sécurité sociale n’avait pas sorti ces dossiers, si les statistiques concernant les soins apportés à ses patients n’avaient pas explosé, on n’en serait pas là. Pendant toutes ces années, ce praticien a été protégé par la force des choses. Il a bénéficié d’une certaine mansuétude de la part de ses pairs », dénonce Edouard Bourgin.
« Après 53 autres cas, on n’est plus dans l’erreur humaine »
Christophe Fuselier, lui non plus, ne comprend pas. « Au départ, je pensais que j’étais le seul, qu’il s’agissait d’une erreur humaine. Mais après 53 autres cas, on n’est plus dans l’erreur humaine. Ce n’est pas normal, on ne peut pas opérer les gens en faisant n’importe quoi », déplore-t-il. Lui a eu la veine iliaque sectionnée durant l’intervention. « L’opération a duré très longtemps, l’hémorragie a eu du mal à suturer. Mes jambes n’ont plus été irriguées, témoigne-t-il. L’un de mes mollets n’a pas été refermé. Pendant dix ans, j’ai eu infection sur infection. Ce qui m’obligeait à retourner pratiquement tous les mois à l’hôpital. » Le mal s’est ensuite propagé au pied puis à la jambe, qu’il a fini par se faire amputer au bout de dix ans.
Gracieuse Masciave tient également le chirurgien responsable de son handicap. Un praticien qu’elle n’a jamais rencontré avant l’opération. « En 2015, je suis allée aux urgences car je souffrais le martyre. On m’a diagnostiqué une fracture spontanée d’une vertèbre et on m’a proposé de m’opérer le lendemain sans que je signe aucune décharge. Je souffre d’ostéoporose, je n’étais donc pas opérable », raconte-t-elle. Le surlendemain de l’intervention, les douleurs redoublent.
Placée sous morphine pendant un mois, elle retourne faire un scanner dans un autre établissement. « La vertèbre qu’on m’avait cimentée pesait très lourd. Résultat, la vertèbre, située au dessous, a été fracturée », explique la patiente, obligée désormais de porter un corset au moins quatre heures par jour. « Cela sera ainsi jusqu’à la fin de ma vie, se désole-t-elle, en colère. Cet homme effectue les opérations à la chaîne. Il m’a pris 7.600 euros pour une intervention de vingt minutes et aujourd’hui, je suis handicapée pour le restant de mes jours. »
Des accusations contestées
Mais pour Bernard Boulloud, l’avocat du chirurgien qui conteste ces accusations, la réalité est tout autre. « Aujourd’hui, on le fait passer pour le boucher de Grenoble et on foule des deux pieds la présomption d’innocence », affirme-t-il, précisant qu’il compte saisir le conseil d’Etat pour contester la décision du Conseil de l’ordre des médecins.
« Dans les dossiers des patients (ceux qui vont déposer plainte), les experts médicaux concluent que le handicap dont ils souffrent, ne résulte pas d’une faute médicale mais d’un aléa médical. Il ne faut pas tout confondre. Dans le rapport de la CPAM, on reproche à mon client un manque de qualité de soins, un manque d’informations préalables suffisantes, une absence de qualité dans le suivi opératoire qui lui incombait mais on ne parle pas d’erreurs médicales, ni d’actes chirurgicaux manqués », argumente l’avocat.
Victime d’un acharnement ?
« Mon client ne comprend pas. A chaque fois que sa responsabilité a été engagée, il a répondu présent. Il l’a déclaré à l’assurance. Croyez-vous que s’il était aussi dangereux que cela, il n’aurait été suspendu que dix-huit mois ? », questionne Bernard Boulloud, persuadé que « l’enquête de la CPAM a été orientée » et que son client serait victime d’un « acharnement ».
« Je détiens des éléments en ce sens et je vais saisir le parquet de Grenoble afin de porter plainte contre X. On va découvrir des choses qui expliquent ce lynchage médiatique », conclut l’avocat, rappelant que son client était « quelqu’un de reconnu dans la profession ».