Les jeunes boivent moins d'alcool et on ne sait pas trop pourquoi
ET GLOU ET GLOU ET GLOU La plupart des études sont formelles, les jeunes boivent moins d’alcool qu’avant, même si leur consommation reste élevée
- Binge-drinking, biture express, alcoolisation ponctuelle importante (API), trois termes qui font froid dans le dos et qui font des ravages chez les jeunes.
- Sauf qu’en fait, pas vraiment, disent la plupart des études sur le sujet.
- Mieux, les jeunes ont tendance à moins boire, sans toutefois qu’on sache vraiment pourquoi.
Qui dit jeune, dit alcool et notamment mauvaise bière (celle tout en bas du rayon). Voire binge-drinking, vous savez cette pratique qui consiste à boire le plus vite possible des quantités importantes d’alcool pour mieux en ressentir les effets. Une pratique qui fait bien flipper les parents et qui fait les choux gras de certains médias. Sauf que dans la vraie vie, ce n’est pas tout à fait comme ça. Non seulement le binge-drinking est un « comportement minoritaire », selon Alexis Capitant, DG d' Avec Modération*, mais surtout les jeunes boivent de moins en moins, et cela depuis plusieurs années. La majorité des chiffres de référence sur le sujet l’attestent.
L'étude Escapad (Enquête sur la santé et les consommations lors de l'appel de préparation à la défense), par exemple, menée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, révèle, chez les jeunes de 17 ans, une baisse de 4 points de l’expérimentation de l’alcool entre 2014 et 2017. Mieux, sur la même période, l’usage massif de 10 verres par mois dégringole de 12 % à 8 %. Enfin les API (alcoolisations ponctuelles importantes) – c’est comme ça que les spécialistes désignent le binge-drinking – s’effondrent également, de 24,9 % pour les API répétées (au moins trois fois dans le mois).
Les mêmes tendances se retrouvent dans l'enquête Espad (European School Project on Alcohol and other Drugs), qui elle, cible les années lycée. L’expérimentation de l’ivresse passe ainsi de 61 % des jeunes à 51 % entre 2011 et 2015.
L'enquête HBSC (Health Behaviour in School-Aged Children), qui cible les années collège, aboutit aux mêmes conclusions. Ainsi la consommation d’alcool dans le mois chez les ados de 4e et 3e régresse de 46 % à 30 % entre 2010 et 2014. Et quand on regarde les chiffres chez nos voisins, on s’aperçoit que la consommation d’alcool baisse également chez eux.
Une prévention à l’école pas très efficace
Face à ces données, Bernard Basset, vice-président de l’association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) se montre mesuré. « La consommation d’alcool diminue un peu, constate-t-il. Ce n’est ni anecdotique, ni affirmé dans le temps. On ne sait pas si c’est juste une tendance ou un mouvement durable. » Même son de cloche chez Sophie Choquet, ancienne directrice de recherche à l’Inserm qui a siégé au conseil scientifique de la Fondation de recherche en alcoologie. Elle note une « légère baisse, significative, mais pas époustouflante. Cette baisse est constatée mais on ne sait pas si elle va être pérenne, si à l’âge adulte, il n’y a pas un rattrapage qui s’opère ». Bernard Basset souligne d’ailleurs l’importance de la consommation d’alcool chez les jeunes qui est « d’autant plus inquiétante que l’on sait que l’alcool a un impact négatif sur le développement du cerveau chez les jeunes ».
Alors, si les jeunes boivent (un peu) moins, comment l’expliquer ? D’emblée, Sophie Choquet écarte « tout ce qui implique une intervention à l’école qui n’est pas très efficace, voire inefficace ». Alexis Capitan, quant à lui, avance « l'interdiction effective de la vente aux mineurs [depuis 2009] » mais sans trop y croire. « Malheureusement la loi n’est pas très bien appliquée, juge-t-il. Et je ne suis pas certain que ça ait eu un effet concret. Je crois que les jeunes qui ont envie de consommer de l’alcool n’ont pas trop de difficultés à s’en procurer. »
Du vin dans les cantines d’école
Une autre piste est liée à la baisse généralisée de la consommation d’alcool en France. Tout le monde a en tête ce reportage de 1975 qui conseillait de boire 1,5 litre de bière pour lutter contre la canicule. Mais ça, c’était avant. « Depuis cinquante ans, la baisse est très nette, note François Beck, chercheur au Centre d’épidémiologie et de santé des populations (CESP-Inserm). Il y a moins d’alcool à table, qui est beaucoup moins présent de manière systématique. Dans les années 1950, il pouvait y avoir du vin, coupé à l’eau, dans les cantines des écoles ! »
Pour résumer, « la notion de vin aliment a vraiment disparu, le vin est vraiment perçu comme un alcool ». Or, relève Sophie Choquet, « la consommation des parents influence celle des enfants. D’ailleurs, la seule éducation qui a fonctionné est quand on a mis les parents dans le coup. » « La génération des parents actuels a une consommation d’alcool qui lui permet plus facilement d’engager la discussion pour montrer que boire de l’alcool n’est pas quelque chose de normal », abonde François Beck.
Cette baisse peut aussi s’expliquer par une tendance de fond de la société. « L’ivresse est peut-être moins hype, tente Alexis Capitan. Il y a peut-être l’idée de garder le contrôle. » « On est face à une société plus prudente, estime Sophie Choquet. Est-ce qu’on va se mettre en risque facilement, au regard des bénéfices ? Il y a une certaine prudence, une méfiance vis-à-vis des produits, surtout chez les jeunes. » Même si ce n’est représentatif de pas grand-chose, sur Instagram le hashtag #health rassemble 138 millions de publications contre à peine 10 millions pour #alcohol.
L’effet réseaux sociaux ?
Dernière hypothèse et pas des moindres, l’effet des réseaux sociaux. Souvent critiqués, ils pourraient avoir un effet bénéfique sur la consommation d’alcool des jeunes, selon François Beck. Grâce à eux, « les jeunes sont chez eux mais communiquent avec leur groupe, ils sont donc moins avides de se retrouver dehors dans des endroits où il n’y a pas du tout de contrôle parental, ni de présence d’adulte référent ». Ce qui réduirait de fait les occasions de boire : « C’est ce que j’appelle les diminutions d’opportunité d’être en contact avec l’alcool, qui contribuent à retarder l’entrée dans l’alcoolisation. »
S’il n’y a sûrement pas qu’une explication à cette baisse de consommation d’alcool et si elle reste mesurée, celle-ci demeure une évolution positive car, comme le note Alexis Capitan, « les jeunes qui ne boivent pas tous les jours continueront à ne pas boire tous les jours ». Une bonne nouvelle pour les prochaines années ?
*Avec modération est une association financée par des entreprises qui se présente « comme une force d’action et de proposition en matière de prévention du risque alcool ».