«Le lanceur d'alerte est généralement découragé avant même de lancer son alerte»

PROJET DE LOI Les dernières discussions européennes entre le conseil, la commission et le parlement sur le texte portant sur la protection des lanceurs d’alerte ont eu lieu, ce lundi, à Bruxelles

Manon Aublanc
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Les quartiers généraux de la Commission européenne à Bruxelles (image d'illustration).
Les quartiers généraux de la Commission européenne à Bruxelles (image d'illustration). — Francisco Seco/AP/SIPA
  • Les lanceurs d’alerte sont les personnes qui révèlent des activités illicites ou des actes répréhensibles, au sein d’une entreprise ou d’une administration, pouvant « causer un préjudice grave à l’intérêt public ».
  • Procès, licenciement, harcèlement judiciaire… Les lanceurs d’alerte s’exposent souvent à de lourdes conséquences quand ils décident de révéler les informations à leurs connaissances.
  • Pour protéger ces personnes, l’Union européenne veut adopter un texte qui imposerait aux 28 pays membre la mise en place d’un cadre juridique spécifique.

Affaire du Mediator, les « Paradise papers », SwissLeaks… Sans les lanceurs d’alerte, difficile de savoir si ces scandales sanitaires ou fiscaux auraient été révélés. Pour tenter de protéger les Irène Frachon, Antoine Deltour (LuxLeaks) et consorts, l’Union européenne prépare un texte, dont les derniers points ont été discutés ce lundi à Bruxelles. Il obligerait les 28 pays membres à mettre en place un cadre juridique spécifique.

Selon la première version du texte « sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l’Union européenne » soumis par la commission européenne en avril 2018, le lanceur d’alerte devait passer par trois « canaux » pour bénéficier d’une protection : dénoncer les agissements dont il avait connaissance auprès de l’entreprise ou l’administration mise en cause, se tourner vers un canal externe (une autorité compétente comme le défenseur des droits, par exemple) et, enfin, alerter la presse.

« Le passage obligatoire par la communication interne peut décourager les lanceurs d’alerte »

En somme, le « whistleblowers » (en anglais) devrait mettre en premier lieu au courant les personnes suspectées d’actes répréhensibles… qu’il allait les dénoncer. « Le problème, c’est que le supérieur, en règle générale, est directement concerné ou connaît les personnes mises en cause, il ne peut pas être impartial. Ce passage obligatoire par la communication interne peut décourager les lanceurs d’alerte », explique Florence Chaltiel-Terral, professeure agrégée de droit public à Sciences Po Grenoble, interrogée par 20 Minutes.

En novembre 2018, le Parlement européen a donc décidé de supprimer toute notion de hiérarchie, considérant que c’était au lanceur d’alerte de choisir la voie la plus appropriée pour révéler ses informations. Si une dizaine de pays, comme l’Irlande, la Belgique ou le Royaume-Uni, se sont dits favorables, d’autres, comme la France, la Hongrie et l’Autriche, ont vu d’un mauvais œil la suppression des canaux obligatoires. Et pour défendre sa position, la France a brandi les spectres de la sécurité, de la défense nationale, du secret médical ou encore du secret des affaires.

Légitimer le lanceur d’alerte et protéger le secret des affaires

Selon des documents confidentiels du secrétariat général des affaires européennes, dépendant de Matignon, auxquels Le Monde a eu accès, Paris a « participé activement aux négociations sur le texte afin de parvenir à un dispositif le plus équilibré possible entre la protection des lanceurs d’alerte et la défense d’autres intérêts légitimes ». La France a donc proposé une alternative, avec un premier signalement en interne, auprès d’un interlocuteur impartial et tenu à la confidentialité. Pour Florence Chaltiel-Terral, « c’est tout le problème, il faut concilier le fait que ce soit légitime de lancer une alerte mais aussi protéger le secret des affaires ».

Eviter les représailles, les pressions ou le harcèlement judiciaire… Pour la professeure, auteure du livre Les lanceurs d’alerte (Dalloz, 2018), la dernière mouture du texte se devra « d’apporter une protection juridique aux lanceurs d’alerte pour éviter que ces personnes ne croulent sous les procédures judiciaires ou ne soient automatiquement licenciées ».

De leur côté, près de 80 organisations non gouvernementales (ONG), syndicats et associations de journalistes ont réclamé dans une lettre ouverte adressée ce 6 mars au Conseil européen et aux 28 Etats membres « la protection de ceux qui prennent la parole dans l’intérêt du public ». Et, au final, Florence Chaltiel-Terral assure, elle, que le « problème actuel est que la personne de bonne foi qui veut lancer une alerte, car elle constate une atteinte à l’intérêt général, est généralement découragée avant même de lancer son alerte ».