LGV Lyon-Turin: On vous (ré)explique tout sur ce projet vieux de 30 ans avant la décision cruciale de l'Italie

GRANDS PROJETS Alors que le gouvernement italien doit décider d'ici à vendredi de poursuivre ou non les travaux de la liaison ferroviaire entre Lyon et Turin, «20 Minutes» fait le point sur ce projet

Elisa Frisullo
Des ouvriers travaillent dans la galerie de reconnaissance de Saint-Martin-de-la-Porte, appelée à devenir un des tubes du futur tunnel transalpin de 57 km de la LGV Lyon-Turin, le 6 mai 2015 dans la vallée de la Maurienne
Des ouvriers travaillent dans la galerie de reconnaissance de Saint-Martin-de-la-Porte, appelée à devenir un des tubes du futur tunnel transalpin de 57 km de la LGV Lyon-Turin, le 6 mai 2015 dans la vallée de la Maurienne — PHILIPPE DESMAZES
  • Après la signature de plusieurs accords internationaux et de nombreux balbutiements en France comme en Italie, le gouvernement italien doit décider d’ici à vendredi de poursuivre ou non les travaux du Lyon-Turin.
  • Le projet, né il y a plus de 30 ans, a déjà donné lieu à la réalisation de plusieurs chantiers préparatoires.
  • Côté français, le percement d’un tunnel de 57 km sous les Alpes, ouvrage majeur de la ligne, est en cours.

On en parle depuis près de 30 ans, plus de 2,5 milliards d’euros ont déjà été engagés dans le projet, et le principal tunnel reliant les deux pays a commencé à être creusé côté français. Pourtant, la ligne à grande vitesse fret et voyageurs entre Lyon et Turin n’est pas encore totalement sur les rails. Après de multiples accords internationaux, de nombreuses manifestations de protestations des opposants, des hésitations côté français, les Italiens doivent se prononcer d’ici à la fin de la semaine. Le gouvernement italien, très divisé sur le Lyon-Turin, doit décider de poursuivre ou de stopper les travaux de la ligne ferroviaire censée rapprocher Paris de Milan. En attendant l’avis crucial de Rome, 20 Minutes vous propose une petite remise à niveau pour tout comprendre à ce projet titanesque, autant soutenu que controversé de part et d’autre des Alpes.

Le Lyon-Turin, qu’est-ce que c’est précisément ?

Ce projet de ligne à grande vitesse, destiné notamment à désengorger les vallées alpines du trafic des poids lourds en favorisant le report modal de la route vers le rail, comprend trois sections. Une portion française est prévue entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne. En Italie, il devrait y avoir deux lignes fret et voyageurs entre Orbassano et la gare de Turin, et entre Chiusa San Michele et la future gare internationale de Suse. Entre les deux, la section transfrontalière reliant Saint-Jean-de Maurienne à Bussoleno, comprend la réalisation d’un tunnel de 57 km sous les Alpes. C’est l’ouvrage majeur du projet sur lequel doit se prononcer le gouvernement italien, censé financer 35 % du tunnel. Son le coût est évalué à 8,6 milliards d’euros pour une mise en service prévue en 2030. La France et l’Europe doivent respectivement contribuer à hauteur de 25 % et 40 %.


Après des hésitations, la France souhaite voir la LGV finalisée

En 2017, le gouvernement avait semé le doute et l’incompréhension chez les fervents défenseurs de la LGV en annonçant une « pause » dans les grands projets d’infrastructures, dont le Lyon-Turin. Puis, lors d’un sommet franco-italien, le président Emmanuel Macron avait confirmé quelques mois plus tard l’engagement de la France pour ce projet. En visite en Savoie, le 1er février, sur le chantier du tunnel ferroviaire, la ministre des Transports Elisabeth Borne, rappelant « la position claire de la France », a invité l’Italie à prendre rapidement des décisions sur son engagement dans le projet afin que son calendrier soit respecté. « Pour faire ce tunnel franco-italien, il faut être deux. Ce projet est porté depuis des années par deux gouvernements. Il a fait l’objet d’un engagement très fort de la part des deux pays et de financements européens importants. Je suis confiante dans le fait que l’on trouvera ensemble le chemin pour le réaliser », a-t-elle indiqué.

Un projet qui divise fortement au sein du gouvernement italien

La Ligue (extrême droite) de Matteo Salvini est favorable au projet, tandis que le Mouvement Cinq Etoiles (M5S, antisystème) de Luigi Di Maio le considère comme inutile. Pour prendre une décision, le gouvernement a commandé l’an passé une étude coût-bénéfice sur le Lyon-Turin, dont les conclusions plombent clairement le projet de LGV. D’après cette analyse, la ligne présenterait « une rentabilité très négative », avec des coûts supérieurs de 7 milliards d’euros à ses bénéfices d’ici à 2059. Mais la composition de la commission d’experts et la méthodologie utilisée sont très contestées par les défenseurs du projet. Difficile donc, dans ces conditions, de présager de la décision qui sera prise côté italien. La semaine passée, le ministre des Finances Giovanni Tria a évoqué une « évolution positive » au sein de son gouvernement concernant la liaison. De son côté, le président du conseil Giuseppe Conte a seulement assuré, mardi, qu’il serait le « garant » d’une décision prise sans préjugés. « Nous prendrons une décision visant à protéger l’intérêt national », a-t-il affirmé.

Plusieurs chantiers déjà engagés

Depuis 2003, trois galeries de reconnaissances, des descenderies, ont été réalisées côté français à Modane, La Praz-et Saint-Martin-la-Porte. Depuis octobre 2016, le percement de l’ouvrage de 57 km entre la France et l’Italie a commencé côté français. Le tunnelier, plusieurs fois à l’arrêt depuis le début du chantier, avance lentement mais sûrement. En Italie, le chantier du principal tunnel n’a pas débuté mais le creusement d’une galerie de reconnaissance à Chiomonte a été réalisé et achevé en 2017. Au total, entre les différentes études, les chantiers et les travaux préparatoires, plus de 2,5 milliards d’euros ont déjà été investis dans le projet.


Un projet vivement contesté

Si le projet compte de nombreux partisans, il est aussi vivement décrié depuis de nombreuses années. Son coût pharaonique est dénoncé de part et d’autre de la frontière, à commencer par Europe-Ecologie-Les-Verts. Il faut dire qu’au-delà des 8,6 milliards prévus pour le tunnel, le montant global du Lyon-Turin devrait plutôt s’établir autour de 16 milliards d’euros, en comptant le percement de trois autres tunnels entre Lyon et Chambéry et la construction d’une gare internationale à Saint-Jean-de-Maurienne. Début février, trois recours ont été déposés - l’un devant le conseil d’Etat et deux autres gracieux adressés au Premier ministre - pour s’opposer au décret prorogeant de cinq ans la déclaration d’utilité publique du Lyon-Turin, publiée en 2007. Les contestataires, parmi lesquels la coordination des opposants au Lyon-Turin, estiment que les prévisions de cette époque pour justifier la ligne nouvelle ne correspondent plus à la situation actuelle. Sur les routes entre la France et l’Italie, on est loin des 2,7 millions de camions prévus à l’époque pour 2017. Cette année-là, selon la coordination, il est passé moitié moins de poids lourds. Et sur la ligne ferroviaire existante, sur laquelle « l’enquête publique prévoyait un trafic de fret ferroviaire de 16,2 millions de tonnes en 2017, le trafic réel dépasse à peine 3 millions de tonnes », indiquent les opposants.

Selon les chiffres publiés en janvier par la Transalpine, 1,4 million de poids lourds ont emprunté le tunnel du Mont-Blanc et du Fréjus en 2018. « Cela représente une augmentation 18,6 % pour le Fréjus et de 13,3 % pour le Mont-Blanc, soit 196.316 véhicules supplémentaires sur 5 ans », a indiqué le Comité pour le Lyon-Turin. « Après le trou d’air de la crise de 2009 qui a entraîné une baisse mondiale des volumes de marchandises transportées, le trafic de camions entre la France et l’Italie a repris depuis 2013 une forte pente ascendante », ajoute la Transalpine, plaidant « avec détermination » pour le report modal de la route au rail.