«Gilets jaunes»: La loi alimentation va-t-elle mettre le feu aux poudres?
CONSOMMATION La valse des étiquettes depuis le 1er février provoque la grogne d’une partie des Français de la classe moyenne inférieure
- Depuis vendredi, la loi Alimentation impose aux distributeurs que les produits alimentaires soient vendus au moins 10 % de plus qu’ils n’ont été achetés. Et d’en finir avec les promotions monstres sur les denrées.
- Les « gilets jaunes » craignent de perdre en pouvoir d’achat et pourraient faire rebondir leur colère sur cette nouvelle donne.
La colère monte. Sur les murs Facebook de plusieurs groupes de « gilets jaunes », les messages pestant contre la hausse de certains produits alimentaires se sont multipliés ce week-end. Car depuis vendredi dernier, les prix de nombreux produits alimentaires de grandes marques ont augmenté dans les supermarchés, en raison du relèvement à 10 % du « seuil de revente à perte » imposé par la récente loi Alimentation. Elle interdit aussi les promotions supérieures à 34 %.
Le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a d’ailleurs évoqué sur franceinfo des hausses de tarif de l’ordre de 4 %. Dans les supermarchés, « 500 produits sur 13.000 » devraient augmenter, alors que dans les hypermarchés, « c’est 800 produits sur 20.000 » qui sont concernés, a-t-il ajouté. L’objectif de la loi Alimentation est de mieux rémunérer les producteurs issus des filières agricoles et aquacoles.
« Le gouvernement n’a pas mesuré le coût social de cette loi »
Mais l’application de cette loi tombe plutôt mal à l’heure où le gouvernement tente d’apaiser la crise des « gilets jaunes » avec le grand débat national. « D’autant que la classe moyenne inférieure est très représentée dans le mouvement, et que c’est elle qui va être le plus touchée dans son pouvoir d’achat. Dès qu’on touche à l’alimentation, on touche au pouvoir d’achat des plus pauvres », explique Dominique Desjeux, anthropologue spécialiste de la consommation.
« Lorsque les prix baissent, les consommateurs ne s’en rendent pas compte, mais lorsqu’ils montent, ils le perçoivent vite. D’autant que certains acteurs de la grande distribution, comme Michel-Edouard Leclerc, ont clamé dans plusieurs médias que les consommateurs allaient y perdre. Les personnes qui ont déjà des fins de mois difficiles vont avoir l’impression d’une nouvelle pression sur leurs dépenses contraintes. Le gouvernement n’a clairement pas mesuré le coût social de cette loi », complète le politologue spécialiste des mouvements protestataires, Eddy Fougier.
« Ils vont devoir faire des arbitrages dans leurs dépenses »
Par ailleurs, une grande partie des «gilets jaunes» résidant dans la France périphérique, ils font généralement leurs courses dans les hypermarchés. Et c’était justement dans ces magasins que fleurissaient les promos monstres qui ont disparu depuis vendredi. « Ils vont devoir faire des arbitrages dans leurs dépenses, en délaissant certains produits de marques, pour des produits d’entrée de gamme », prévoit Eddy Fougier.
La valse des étiquettes dans les supermarchés et hypermarchés risque donc de tendre encore les relations entre le gouvernement et les « gilets jaunes » « D’autant qu’une partie des Français ne voient pas comment on va mieux rémunérer les agriculteurs avec cette loi. Ils pensent qu’elle va surtout servir à accroître les marges des groupes agro-alimentaires et des enseignes de distribution. Ces hausses de prix sont une raison de plus pour faire durer la crise des “gilets jaunes” jusqu’aux élections européennes », estime Dominique Desjeux.
Démontrer que la loi porte ses fruits pour les agriculteurs
Même son de cloche chez Eddy Fougier : « Cette hausse des prix des denrées peut être perçue par une partie des “gilets jaunes” comme une sorte de conspiration des élites pour rogner leur pouvoir d’achat. Un peu comme cela avait le cas lors du passage à l’euro, accusé par une partie de l’opinion d’avoir entraîné une hausse du prix de la baguette. Cela peut conforter leur ressentiment à l’égard du gouvernement et leur permettre d’élargir leur mouvement. Notamment si dans quelques mois les agriculteurs estiment n’avoir pas été gagnants avec cette loi », indique-t-il.
Le gouvernement va devoir s’efforcer de faire passer la pilule. D’autant que certains acteurs de la grande distribution vont continuer à mettre de l’huile sur le feu. « Le mieux à faire pour l’exécutif est de refaire de la pédagogie et de prouver que la rémunération des agriculteurs va bel et bien augmenter avec cette loi », estime Dominique Desjeux.