«Gilets jaunes»: Pourquoi Vinci a renoncé à faire payer aux automobilistes la facture des péages gratuits?

TRANSPORTS La société autoroutière Vinci, qui avait déclenché un tollé en annonçant vouloir réclamer aux automobilistes la facture des opérations « péages gratuits » menées par les « gilets jaunes », a finalement renoncé ce mardi…

Vincent Vantighem
— 
Des «gilets jaunes» bloquent un péage près de Toulouse (Haute-Garonne), le 17 novembre 2018.
Des «gilets jaunes» bloquent un péage près de Toulouse (Haute-Garonne), le 17 novembre 2018. — FRED SCHEIBER/SIPA
  • Ces dernières semaines, les « gilets jaunes » ont organisé de nombreuses opérations « péages gratuits ».
  • Plusieurs barrières de péages ont également été incendiées ou dégradées.
  • Vinci Autoroutes estime à plusieurs dizaines de millions d’euros le coût des dégradations.
  • La société a laissé entendre qu’elle allait réclamer la facture aux automobilistes ayant bénéficié des « péages gratuits ». Une procédure à laquelle elle a finalement renoncé face au tollé.

Un retropédalage en règle. Après avoir annoncé lundi qu’elle comptait identifier les automobilistes ayant profité, ces dernières semaines, des opérations « péages gratuits » menées par les «gilets jaunes» afin de leur demander de s’acquitter, a posteriori, des droits de passage, Vinci Autoroutes a finalement fait machine-arrière ce mardi après-midi. 20 Minutes revient sur la polémique que cette annonce a déclenchée.

Pourquoi Vinci voulait-elle réclamer, a posteriori, les droits de passage ?

Dimanche, la société autoroutière a estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros le coût des dégradations engendrées par le mouvement des « gilets jaunes » sur ses infrastructures. « Certaines barrières de péage ont été brûlées, d’autres taguées, d’autres abîmées », indiquait ce mardi matin un porte-parole du groupe.


En conséquence, Vinci a décidé de demander aux automobilistes ayant profité des opérations « barrières levées » de finalement s’acquitter, a posteriori, de la facture de péage. « Pour nous, il s’agit aussi de rappeler que le prix du péage englobe le coût de fonctionnement du réseau et de l’entretien », expliquait le porte-parole du groupe.

Comment Vinci comptait-elle réclamer son dû aux automobilistes ?

En 2013, la loi a autorisé les sociétés d’autoroute a posé des caméras sur toutes ces barrières de péage. Celles-ci sont capables de lire les plaques d’immatriculation et, donc, de savoir où l’automobiliste est entré sur l’autoroute, où il est sorti et combien il aurait dû payer. « Depuis la loi de 2013, notre personnel est assermenté pour analyser ces données et réclamer la facture aux fraudeurs », indiquait encore le porte-parole du groupe.


A combien la facture aurait-elle pu s’élever ?

Habituellement, les automobilistes fraudeurs qui se font attraper par la patrouille doivent s’acquitter de deux factures : la première est celle du coût du péage auquel ils ont échappé, la seconde est celle de l’amende de 35 euros qui revient, au final, non pas à Vinci mais à l’État.

Les dégâts sont colossaux au péage de Narbonne.
Les dégâts sont colossaux au péage de Narbonne. - Préfecture de l'Aude.

Vinci avait indiqué qu’au vu des circonstances, elle ne réclamerait que le montant du péage qui n’a pas été acquitté et ne demanderait pas le montant de l’amende de 35 euros qui, de toute façon, n’aurait jamais atterri dans ses caisses.

Comment Vinci comptait-elle chasser les automobilistes ?

Selon l’un des membres du service « Communication » du groupe autoroutier, « de très nombreux automobilistes » appelaient la société depuis quelques jours pour se renseigner sur la façon de procéder pour s’acquitter de leur facture. « Certains n’ont pas eu d’autre choix que de passer le péage sans payer et ils ne veulent pas avoir de problèmes », indiquait ce mardi matin le porte-parole.

Vinci proposait alors à tous ceux qui souhaitaient régulariser la situation de composer le 3605, de se connecter sur le site Internet ou de sonner à l’interphone lors d’un prochain passage sur un péage Vinci. « Cela se fera sur la base du déclaratif, poursuivait le porte-parole. Nous n’aurons pas les moyens de vérifier chaque trajet de chaque automobiliste… » En revanche, le groupe promettait d’envoyer un courrier à tous les automobilistes qui ne se seront pas manifestés. Et n’excluait pas, alors, d’autres sanctions. Avant de rétropédaler. 

Pourquoi Vinci a-t-elle officiellement renoncé à cette procédure ?

Dans un communiqué, Vinci a finalement annoncé ce mardi après-midi qu'elle renoncait à récupérer l'argent dû par les automobilistes passés sans payer lors des opérations «péage gratuit», «Cette procédure sans doute insuffisamment expliquée, donc mal comprise, a suscité depuis hier un grand nombre de réactions négatives», a reconnu le groupe, «appelant au civisme de chacun dans ces circonstances exceptionnelles.»

La procédure était-elle pratiquement appliquable?

Ce n'était pas certain. Contacté par 20 Minutes, avant le renoncement de Vinci, Rémy Josseaume, avocat spécialisé dans les délits routiers avait déjà pensé à une bonne combine. « Il suffit de renvoyer un courrier dans lequel l’automobiliste explique qu’il n’a pas pu bénéficier d’un service optimal, l’autoroute ayant été perturbée par les ‘’gilets jaunes’’ et que Vinci aurait dû le prévenir avant afin qu’il ne s’engage pas sur la chaussée… »

Surtout, l’avocat prédisait que la société allait faire marche arrière devant le tollé déclenché par son annonce. « Les Français savent bien que les sociétés autoroutières dégagent des bénéfices. » De l’ordre d’1,325 milliard d’euros pour Vinci autoroutes en 2017. D’autant que les tarifs des péages devraient augmenter, en moyenne, de 1 à 2 % en 2019.

Vinci a-t-elle cédé à la pression du gouvernement ?

Contacté par 20 Minutes, le porte-parole de Vinci a officiellement écarté tout lien entre sa décision de ne pas appliquer la procédure de paiement rétroactif et la réunion prévue dans la soirée avec la ministre des Transports Elizabeth Borne.

Mais depuis l'annonce de son projet, les critiques du gouvernement ont plu sur le groupe autoroutier. Sur franceinfo, ce mardi matin, Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, a estimé que la décision de Vinci était « très incongrue ». « Pour le dire avec politesse, ce n’est pas une bonne manière de procéder dans la période. J’invite les cadres dirigeants du groupe Vinci à aller sur les ronds-points. »


De son côté, François de Rugy, ministre de la Transition énergétique, avait déjà imaginé la fin de l’histoire. « On ne peut pas faire cela [faire payer les automobilistes]. En réalité, sans doute que c’est l’État qui va devoir payer une grande partie de la facture. »