Pourquoi le système d'orientation des élèves est-il ringard en France?

EDUCATION Une étude du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) auprès des 18-25 ans montre qu’ils ne sont pas assez accompagnés dans la définition de leur projet scolaire et professionnel…

Delphine Bancaud
Lors d'un salon de l'orientation à Paris en 2017.
Lors d'un salon de l'orientation à Paris en 2017. — D.Bancaud/20minutes
  • Un jeune sur deux déclare ne pas avoir été bien accompagné dans son établissement concernant son projet d’orientation.
  • Un jeune sur cinq estime qu’il n’a pas eu le choix de son orientation.
  • Plusieurs exemples venus de l’étranger montrent la voie qu’il faudrait suivre pour moderniser notre processus d’orientation.

Paradoxe hexagonal : alors que la France peut se targuer d’un enseignement supérieur de qualité, elle ne sait pas guider les jeunes efficacement vers lui. « En France, on est complètement en retard en ce qui concerne l’éducation à l’orientation », constate ainsi Nathalie Mons, présidente du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire). Car, selon une étude de cette instance d’évaluation indépendante des politiques scolaires révélée ce mardi, les élèves français sont mal soutenus dans la construction de leurs choix d’orientation. D’ailleurs, parmi les 18-25 ans interrogés sur le sujet, un jeune sur deux déclare ne pas avoir été bien accompagné dans son établissement.

Lorsqu’on leur parle d’orientation au collège ou au lycée, c’est au mieux pour leur présenter les différentes filières du supérieur. Mais pas pour discuter avec eux de leurs ambitions et de leurs compétences. D’ailleurs, seulement 37 % des élèves interrogés déclarent avoir été guidés dans la compréhension de leurs propres envies. « En France, l’orientation dépend du passé scolaire de l’élève alors que, dans d’autres pays, elle est d’abord tournée vers son projet professionnel. Du coup, l’orientation des élèves est plus contrainte et plus socialement marquée », analyse Yves Dutercq, sociologue au Centre de recherche sur l’éducation de Nantes. D’ailleurs, un jeune sur cinq estime qu’il n’a pas eu le choix de son orientation. Et 71 % des jeunes disent qu’ils ont renoncé à certains choix d’orientation, en premier lieu pour une question de coût des études. Alors même qu’il existe des systèmes de bourses et de prêts bancaires.

« Les enfants issus des milieux sociaux privilégiés sont avantagés »

Autre signe montrant les failles du système d’orientation à la française : les parents sont les principaux interlocuteurs des jeunes en matière d’orientation, et l’école vient loin derrière. Puisque les élèves ne sont que 30 % à se dire épaulés par un membre de l’établissement (professeur principal, psychologues de l’Éducation nationale…) dans la définition de leur projet professionnel. Ce qui n’est guère étonnant lorsque l’on sait qu’il existe un psychologue de l’Education nationale pour 1 200 élèves scolarisés dans le public. Et que, dans 69 % des lycées, ils ne peuvent pas rencontrer tous les élèves de terminale. Du coup, un jeune sur cinq déclare aussi avoir déjà eu recours à un coach privé pour y voir plus clair dans son avenir scolaire. « Ce qui montre encore que les enfants issus des milieux sociaux privilégiés sont avantagés par rapport aux autres dans le processus d’orientation », souligne Yves Dutercq.

Pourtant, le ministère de l’Education nationale a tenté de redresser le tir sur le sujet. La réforme de l’entrée à l’université a ainsi prévu la mise en place de deux professeurs principaux en classe de terminale et deux semaines consacrées à l’orientation en terminale dès la fin 2017. Mais, selon le Cnesco, seul un tiers des lycées ont été en mesure d’appliquer les deux semaines obligatoires consacrées à l’orientation. Par ailleurs, quand elles existent, ces semaines abordent surtout les différentes filières existantes, mais ne prévoient que très rarement des ateliers permettant de découvrir les compétences et les appétences des élèves.

« Il faut développer les ateliers axés sur la connaissance de soi »

Alors, que faire ? Pour rendre le processus d’orientation plus performant, il serait bon de regarder ce qui se passe dans les pays voisins, suggère le Cnesco. « Dans certains pays comme la Finlande ou la Corée du Sud, l’orientation est intégrée dans les programmes scolaires sous forme de cours obligatoires. Dans d’autres pays, les élèves reçoivent aussi des cours d’éducation professionnelle (pour apprendre à faire un CV, chercher un job ou pour visiter des entreprises…) », observe Yves Dutercq. « Il faut travailler sur la connaissance de ses compétences et de ses appétences des élèves. Pour cela, il faut développer les ateliers axés sur la connaissance de soi, comme cela est fait au Canada », recommande aussi Nathalie Mons.

Et, comme avec la réforme de l’entrée à l’université, les professeurs principaux de terminale sont en première ligne pour soutenir les élèves dans leur projet d’orientation, « il est nécessaire qu’ils soient formés à cet accompagnement-là », insiste Yves Dutercq.

Lutter contre l’autocensure des élèves

L’autre impératif pour rendre le système d’orientation plus performant est de lutter contre les formes d’autocensure des élèves dans leur choix de filière. « Pour cela, le mentorat par un autre élève et les stages de découvertes des métiers sont plus efficaces que les présentations de filières », estime Nathalie Mons. Selon la présidente du Cnesco, les programmes de lutte contre les stéréotypes de genre interviennent trop tard actuellement. « Ce ne sont pas des visites d’entrée en troisième qui vont les déconstruire. Il faut donc commencer ce travail beaucoup plus tôt », souligne-t-elle. En Angleterre, le programme Aimhigher organise des immersions courtes de lycéens en université afin de les rassurer sur leur légitimité à faire des études supérieures.

Pour lutter contre les inégalités en matière d’informations, le Cnesco recommande aussi la création d’une plateforme numérique nationale consacrée à l’orientation, beaucoup plus moderne que l’actuel site de l’Onisep. « Aujourd’hui, mes jeunes ont à leur disposition une myriade de sites sur l’orientation sur lesquels ils se perdent. Ils ne savent pas si les informations qu’ils contiennent sont vraiment fiables. Il faut une plateforme avec des informations labellisées sur l’orientation, comme celle qui existe en Australie, par exemple. Elle permet de tchater avec un professionnel de l’orientation, elle possède un système de géolocalisation qui aide à repérer les formations autour de chez soi, les cités universitaires… », indique Nathalie Mons. Et pour briser encore davantage la fracture entre zones urbaines et zones rurales, il serait utile selon le Cnesco de développer des bus de l’orientation circulant dans les territoires excentrés pour offrir un accompagnement aux élèves.