VIDEO. Mobilisation des gilets jaunes: Une véritable «insurrection» partie pour durer?
MOBILISATION Après un troisième samedi de mobilisation émaillé de violences, l’appel à une prochaine journée de mobilisation le 8 décembre prochain est déjà lancé…
- Ce troisième samedi de mobilisation des gilets jaunes a été émaillé de violences, à Paris mais aussi en régions.
- Ce mouvement est-il «insurrectionnel» comme l'affirment certains ?
- Pour l’heure, si le gouvernement se dit prêt au dialogue, aucun «changement de cap» n’est à l’ordre du jour.
- Une position qui pourrait favoriser le durcissement du mouvement, alors que l’appel pour une nouvelle journée de mobilisation le 8 décembre est déjà lancé sur les réseaux sociaux.
Scènes de guérilla urbaine, de chaos. Pour commenter ce nouveau week-end de mobilisation des gilets jaunes, émaillé de violences et de destructions perpétrées par des groupes de casseurs, les termes employés empruntent volontiers au champ lexical guerrier. Certains l’affirment d’ailleurs sans équivoque : les images de voitures incendiées, de barricades enflammées et de mobilier urbain saccagé ressemblaient à « des scènes de guerre ». A mille lieues d’autres images montrant des distributions de café et de croissants aux barrages montés en province dans une ambiance bon enfant. Mais que retenir de ce mouvement des gilets jaunes, démarré il y a plusieurs semaines ? Révolution citoyenne, mouvement insurrectionnel ou les deux ? Le mouvement peut-il durer ? Si le gouvernement se dit prêt au dialogue, Benjamin Griveaux, son porte-parole, a rappelé dimanche qu’aucun changement de cap n’était envisagé, « car le cap est bon ». Dans le même temps, les appels à se mobiliser de nouveau le 8 décembre prochain fleurissent déjà sur les réseaux sociaux.
Un tournant insurrectionnel
Pour le syndicat Alliance, qui déplore des blessés parmi ses rangs, le doute n’est pas permis, le mouvement des gilets jaunes est insurrectionnel.
De quoi réjouir le leader de La France insoumise, qui se félicite du fait que, « En France, l’insurrection citoyenne fait trembler la macronie et le monde du fric ».
Benjamin Cauchy, fondateur des « gilets jaunes libres », estime pour sa part dans un entretien à franceinfo dimanche que « l’on est à deux doigts de l’insurrection », espérant toutefois « un dialogue avec le gouvernement ». « On est dans une forme de jacquerie moderne, de tournant insurrectionnel », commente Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la chaire « territoires et mutations de l’action publique » de Sciences-Po Rennes. Certes, « il n’y a pas d’échauffourées partout sur le territoire, tempère Stéphane Sirot, historien spécialiste des mouvements sociaux et du syndicalisme. Il faut se méfier de ceux qui emploient le terme d’insurrection pour décrédibiliser le mouvement ou servir leur cause politique. Ce qu’il y a d’insurrectionnel en revanche, c’est l’idée du peuple qui se soulève en masse contre ceux qui le dirigent. Il y a dans ce concept la notion que dans une démocratie il y a d’une part le pouvoir politique élu, et d’autre part le pouvoir légitime des citoyens, supérieur au premier en ce que c’est lui qui l’a élu et peut lui retirer ce pouvoir par la voie insurrectionnelle ».
Un mouvement disparate et composite
Mais qui est ce peuple des gilets jaunes ? Un mouvement disparate et composite, qui dépasse les clivages politiques, mais encore ? S’il est difficile de dresser le portrait-robot des gilets jaunes, « il faudrait remettre au premier plan la question sociale, prescrit Stéphane Sirot. Quand vous avez des manifestants qui ont été renvoyés à 20, 30 kilomètres des centres-villes, devenus trop chers pour eux, et que dans le même temps les politiques publiques, dans une logique de métropolisation, ont concentré l’emploi dans les centres urbains, c’est intenable. On voit là qu’il découle de cette question sociale une question territoriale ».
Et à regarder de plus près, « on observe toutefois un ensemble de traits communs chez les gilets jaunes, avance Romain Pasquier. Ce sont des gens qui vivent un clivage centre-périphérie très fort. D’abord au plan politique, en ayant le sentiment de vivre dans des territoires qui subissent les effets de la politique gouvernementale (prélèvements obligatoires, hausse des taxes, réduction de la vitesse à 80 km/h), mais qui n’en sont pas les destinataires, ni les acteurs. Il y a aussi une composante économique, avec des gens à revenus modestes qui n’ont pas vu leurs revenus et leur pouvoir d’achat progresser depuis des années, poursuit le politologue. Et enfin, une composante culturelle :On leur a dit des années durant d’aller travailler en voiture, d’aller faire leurs courses en voiture, de consommer du diesel, on leur dit aujourd’hui qu’il faut tout changer et que ça va leur coûter plus cher. On leur propose un modèle basé sur la transition écologique. Mais les valeurs défendant le bio, les circuits courts, les mobilités douces et l’abandon de la voiture sont attachées à un modèle bâti pour les élites urbaines ».
Si les mobilisations contestataires ne sont pas nouvelles, « ce mouvement des gilets jaunes a ceci d’inédit qu’il remporte l’adhésion et le soutien d’une large part de l’opinion publique, observe Pascal Sirot. Même après les violences du week-end dernier et celles de ce samedi, les Français soutiennent en masse les gilets jaunes et dénoncent ces représentants politiques qui ne les représentent plus ».
L'impasse de la représentativité
Or la représentativité, c’est aussi ce que réclament les gilets jaunes. Mais c’est aussi ce qui leur manque, eux qui n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la désignation de porte-parole de leur mouvement. Dans ces conditions, difficile de trouver des interlocuteurs légitimes pour lancer le dialogue avec le gouvernement. « Historiquement, c’est le rôle des corps intermédiaires – syndicat en tête et partis politiques —, mais dans ce contexte de démocratie sociale amorphe, et alors que l’objectif du pouvoir ces dernières décennies a été de les reléguer au rang de figurants, aujourd’hui on se retrouve pris entre une hypercentralisation de la prise de décisions et une population en colère », analyse Romain Pasquier. Résultat : « il n’y a plus d’intermédiaires pour assurer le relais entre pouvoir élu et pouvoir légitime. Difficile de trouver la voie du dialogue », ajoute Stéphane Sirot.
Le rejet du discours politique et des élites
Dimanche encore, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, l’a rappelé, il n’y aura pas de changement de cap « car le cap est bon ». Après ce troisième samedi de mobilisation émaillé de violences, le gouvernement maintient donc le cap décidé par le président Macron, au risque d’alimenter le durcissement du mouvement. « On se croirait revenu au temps des Etats généraux qui ont précédé la Révolution française, commente l’historien Stéphane Sirot. Emmanuel Macron se transforme en Louis XVI : il reçoit les cahiers de doléances du peuple français mais n’y comprend rien et y reste hermétique, il est incapable de faire preuve d’empathie. Lui et son gouvernement ne peuvent décemment pas dire : "on vous a entendus mais on ne fera rien" ».
Car le discours politique, les gilets jaunes en ont soupé. « Il y a un rejet du système, de la classe politique et des élites, souligne Romain Pasquier. Les élus politiques sont aujourd’hui totalement inaudibles ». Pourquoi ? « Parce que les gens ne sont pas dupes, les Français savent parfaitement distinguer les annonces politiques concrètes des discours de pure communication politique dont on leur rebat les oreilles, indique Stéphane Sirot. Une difficulté qui tient à la nature même du gouvernement en place, qui n’est pas composés de purs hommes et femmes politiques, mais de personnes de cabinet, d’experts, convaincus de la véracité de leur diagnostic, un diagnostic rejeté en profondeur et en masse. Or, ce gouvernement et ses équipes sont dépourvus d’affect et de l’imagination nécessaire pour proposer un autre schéma, ce qui crée un contexte explosif. La communication ne prend plus, le peuple attend du concret maintenant ».
Et après ?
Alors, quel avenir pour le mouvement des gilets jaunes ? Peut-il se structurer et durer ? Cela dépend désormais du gouvernement. « Le mouvement peut durer et devenir irrationnel, tant il est éruptif, prévient Stéphane Sirot. Plus il dure et plus la sortie de crise sera compliquée, que les gilets jaunes se structurent ou pas, ils ne lâcheront pas tant que le gouvernement ne reculera pas et ne fera pas un geste très significatif ». Pour parvenir à un apaisement, « il faut retrouver le sens de l’impôt juste et surtout, il y a besoin d’une réforme profonde de l’Etat, il faut lancer des Etats généraux de la dépense publique, et il faut que la politique soit plus décentralisée et plus près des préoccupations des Français », préconise Romain Pasquier.
Mais « en premier lieu, Macron doit annoncer le gel de la hausse des taxes sur l’énergie, conseille le politologue. Si le gouvernement s’entête à vouloir maintenir la hausse des taxes, il va être très compliqué pour le président d’instaurer un climat de dialogue constructif s’il reste dans un discours se limitant à : "je vous entends, mais je maintiens mon cap", prédit-il. Il devrait annoncer un moratoire sur la hausse des prix de l’énergie d’au moins six mois, pour prendre le temps de discuter. Etre jusqu’au-boutiste dans sa volonté de maintenir le cap peut être désastreux pour le gouvernement, c’est jeter de l’huile sur le feu et risquer de bloquer l’économie au moment des fêtes de fin d’année. Or, ces spectacles de guerrillas urbaines sont terribles, pour les commerçants, pour le secteur du tourisme et pour l’image de Macron. S’il reste sur cette ligne, l’acte 4 de la mobilisation sera suivi d’autres. Le président n’a d’autre alternative que de faire un geste fort qui donne aux gilets jaunes le sentiment tangible qu’ils ont été entendus ».