«La Vie sexuelle en France»: «Ne pas avoir de vie sexuelle est tabou, on n'en parle pas», explique Janine Mossuz-Lavau
INTERVIEW La sociologue Janine Mossuz-Lavau a mené une enquête sur la sexualité des Français auprès de 65 personnes de tous âges, tous milieux sociaux et toutes orientations sexuelles…
Elle s’est plongée dans l’intimité de 65 Français. De janvier à novembre 2017, la sociologue Janine Mossuz-Lavau a sillonné l’Hexagone pour discuter longuement de sexualité avec des hommes et des femmes, de 19 à 85 ans, de tous milieux sociaux et de diverses orientations sexuelles. La directrice de recherche émérite au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) en a tiré un livre paru jeudi, La Vie sexuelle en France (éditions de La Martinière), 17 ans après sa première enquête sur le sujet. « Il y a une envie et une pratique de la liberté plus importante qu’il y a 17 ans », constate-t-elle. Elle a aussi rencontré des couples qui n’ont plus de vie sexuelle, un sujet « tabou » dans notre société.
Vous avez rencontré des personnes en couple qui n’ont pas ou plus de vie sexuelle. Y a-t-il des profils particuliers ?
Les situations sont différentes. Certaines ont 50 ans d’autres 30. Ça n’arrive pas qu’au troisième âge. Toutes m’en ont parlé librement lors de nos entretiens au long cours. Parfois une seule personne dans le couple n’a plus de désir, l’homme ou la femme, parfois ce sont les deux. Dans le premier cas, l’autre s’en accommode parfois, parce qu’il n’est pas très demandeur non plus. Ou alors il va voir ailleurs. Parfois, les deux vont voir ailleurs. Cette situation ne mène pas toujours à une séparation car il reste des sentiments, car on élève ou on a élevé des enfants ensemble.
Comment vivent-elles cette fin du désir ?
Chaque cas est unique. J’ai rencontré un jeune couple qui n’a plus de vie sexuelle car l’homme n’a plus de désir. Mais ils ne veulent pas se séparer car ils veulent avoir des enfants. Ils ont essayé d’aller voir un sexologue, de se stimuler, en vain.
Certaines n’en souffrent pas, comme cette femme qui ne supportait plus la pénétration avec son mari. D’autres en souffrent, comme cet homme qui a cessé de désirer sa femme et cherche d’autres femmes pour satisfaire son désir. Mais il me disait que sa femme est beaucoup plus belle et désirable, mais qu’il n’a plus envie.
Comment expliquent-elles la fin du désir ?
Un homme m’a raconté avoir cessé de désirer sa femme quand il a assisté à l’accouchement, car il a vu son sexe sous un jour nouveau, il était devenu une fabrique à bébé. Beaucoup m’ont dit ne plus avoir la même admiration pour l’autre, et cela diminue la désirabilité. J’ai aussi le cas d’un couple de jeunes partis en van autour du monde, comme le van était petit ils se cognaient lorsqu’ils couchaient ensemble, ils ont donc cessé pendant un an. Mais à leur retour, cette situation a perduré.
J’ai constaté qu’il y a des raisons différentes à cette fin du désir, mais l’usure du quotidien joue beaucoup, la vie quotidienne répétitive où chacun n’étonne plus l’autre.
Pourquoi est-ce le dernier tabou dans notre société de plus en plus libérée selon vous ?
C’est tabou, les gens qui n’ont pas de vie sexuelle n’en parlent pas autour d’eux. D’ailleurs ils offrent parfois l’image d’un couple parfait. Dans notre société plus sexualisée, où l’on valorise le plaisir, le bonheur, cela peut être ressenti comme dévalorisant. Ce n’est pas glamour d’en parler.