«Avec cette polémique, on ne favorise pas l’enseignement de l’arabe pour des raisons culturelles mais pour lutter contre une peur»

INTERVIEW Pour Claude Lelièvre, historien de l’Education, la polémique autour de l’apprentissage de la langue arabe à l’école traduit « les tensions » et « les peurs » de notre société actuelle, favorisées par une « récupération politique »…

Propos recueillis par Hélène Sergent
Le ministre de l'Education a dénoncé un
Le ministre de l'Education a dénoncé un — FRED DUFOUR / AFP
  • Lundi, le ministre de l'Education s'est dit favorable au développement de l'apprentissage de l'arabe.
  • Sa déclaration a été immédiatement critiquée et déformée par certains élus de droite et d'extrême droite.
  • En France, 11.200 élèves du secondaire (sur près de 5 millions d'élèves au total) ont suivi des cours d'arabe en 2017-2018 dans le cadre de l'enseignement des langues vivantes, selon le ministère.

Depuis trois jours, le ministre de l’Education nationale fait l’objet de vives critiques d’élus de droite et d’extrême droite. Invité lundi à commenter une proposition d’un rapport de l’Institut Montaigne proposant de « relancer l’apprentissage de la langue arabe » pour lutter contre l’islamisme, Jean-Michel Blanquer s’est attiré les foudres de députés RN (Rassemblement national) et LR (Les Républicains).

Accusé de vouloir faire « entrer » l’islamisme « dans l’Education nationale » et de promouvoir une « idéologie de soumission », le ministre a vivement réagi ce mercredi à ces attaques. Pour Claude Lelièvre, historien de l’Education, cette polémique autour de l’apprentissage de la langue arabe à l’école traduit « les tensions » et « les peurs » de notre société actuelle, favorisées par une « récupération politique ».

Quel lien entretien la France avec l’apprentissage de la langue arabe ?

Contrairement à ce que l’on peut penser, l’agrégation de l’arabe « classique » a été créée il y a un certain nombre d’années puisque seules quatre langues l’ont précédé. Instituée dès 1905, cette distinction intervient bien avant celle accordée au russe (1947), au portugais en 1973, à l’hébreu en 1977, au polonais en 1978, au Japonais en 1984 ou au chinois bien plus récemment encore. Elle a été instituée après l’allemand et l’anglais puis l’espagnol et l’Italien. A l’époque, on considérait cette langue, fort littéraire et philosophique, comme une grande langue de civilisation.

Les tensions et polémiques autour de cet apprentissage sont-elles récentes ?

En 1985, le ministre de l’Education nationale de l’époque, Jean-Pierre Chevènement qui peut difficilement être taxé de "communautariste" avait envisagé de créer des lycées franco maghrébins. Il proposait de créer des établissements expérimentaux reposant sur des accords bilatéraux avec les pays concernés, dont le modèle existait déjà, à savoir le lycée franco-allemand de Buc dans les Yvelines. Cette proposition, qui n’a jamais vu le jour pour cause de changement de majorité politique, n’avait pas suscité de bronca particulière.

On peut noter toutefois un épisode similaire plus récent. En mai 2016, la ministre de l’Education Najat Vallaud Belkacem avait suscité une vive polémique en proposant de requalifier les enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO). Comme Jean-Michel Blanquer, elle souhaitait limiter l’influence des associations communautaires. Elle s’était fait alpaguer à l’époque par plusieurs élus, notamment par la députée LR Annie Genevard, qui dénonçait l’introduction d’une langue communautaire.

Comment expliquez-vous cette crispation ?

C’est selon moi un déplacement d’une hostilité raciste contre les Arabes. Cela en dit long sur les angoisses et les peurs qui traversent notre société. Cela fait longtemps qu’on a délaissé et externalisé l’enseignement de cette langue qu’on cantonne à une « langue d’origine ». Or, il faut la considérer comme une langue d’apport. Son enseignement s’adresse à tout le monde. Cela me semble particulièrement absurde de le voir comme un moyen favoriser le communautarisme, c’est exactement le contraire !

Cette nouvelle polémique s’explique également par la tournure employée dans le rapport de l’Institut Montaigne. L’institut propose de « relancer l’apprentissage de la langue arabe » pour lutter contre le fondamentalisme islamiste et l’argument a été repris par le ministre. On ne favorise pas l’enseignement de l’arabe pour des raisons culturelles et intellectuelles mais pour lutter contre une peur et ça, c’est un fait nouveau.