«Monstres légendaires»: La bête du Gévaudan, la mystérieuse créature qui semait la terreur dans les campagnes

SERIE (1/5) Au XVIIIe siècle, une étrange bête s’attaquait aux habitants du Gévaudan, un territoire sauvage au sud de l’Auvergne…

Thibaut Chevillard
La bête du Gévaudan a tué entre 88 et 124 personnes selon les sources.
La bête du Gévaudan a tué entre 88 et 124 personnes selon les sources. — BnF Gallica
  • 20 Minutes, en partenariat avec Retronews, propose une série d’articles sur les « monstres légendaires ».
  • Aujourd’hui, retour sur la légende de la bête du Gévaudan.
  • L'animal a répandu la peur au XVIIIe siècle dans les campagnes du sud de l'Auvergne.

20 Minutes, en partenariat avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France, propose une série d’articles sur les « monstres légendaires ». Aujourd’hui, focus sur la bête du Gévaudan.

Novembre 1764. La nouvelle est enfin arrivée jusqu’à Paris, d’où la presse s’en fait l’écho. Une « bête farouche » répand « la consternation dans toutes les campagnes » du sud de l' Auvergne depuis maintenant deux mois, indique La Gazette de France, le 23 novembre. Les habitants du Gévaudan sont terrorisés. « Elle a déjà dévoré une vingtaine de personnes, surtout des enfants et particulièrement des jeunes filles », s’inquiète le premier journal français à avoir été publié. « Il n’y a guère de jours qui ne soient marqués par quelque nouveau désastre. La frayeur qu’elle inspire empêche les bûcherons d’aller dans les forêts, ce qui rend le bois fort rare et fort cher. »



« On ne peut pas parler de psychose mais cette bête suscitait une grande peur dans la région », raconte Blandine Gires, responsable du musée fantastique de la Bête du Gévaudan, à Saugues ( Haute-Loire). Il faut dire que cet animal « est beaucoup plus haut qu’un loup », écrit début novembre le correspondant du journal dans le Gévaudan. « Il est bas du devant et les pattes sont armées de griffes. Il a le poil rougeâtres ; la tête fort grosse, longue et finissant en museau de levrier ; les oreilles petites, droites comme des cornes ; le poitrail large et un peu gris ; le dos rayé de noir, et une gueule énorme armée de dents si tranchantes qu’il a séparé plusieurs têtes du corp comme pourrait le faire un rasoir. »

Prières publiques

Cette bête, que certains disent sortie des enfers, attaque ses proies « toujours au cou par-derrière ou par le côté ». Il faut agir vite, éviter qu’elle ne fasse davantage de victimes. On organise des prières publiques afin de la repousser, et le marquis de Marangis « a rassemblé quatre cent paysans pour donner la chasse à cet animal féroce ». Mais les mois passent, et elle demeure introuvable dans cette région située du côté de la Lozère, de la Haute-Loire, du Cantal et de l' Ardèche. « Si on n’est pas bientôt délivré de ce fléau, on n’osera plus sortir pour aller aux champs, parce que les productions de la terre venant à être assez élevées pour cacher la bête, on sera toujours dans la crainte d’en être surpris », écrit le 8 mai 1765 le correspond de La Gazette à Montpellier.



Il y a bien eu cet homme, Martel de la Chaumette, qui, après avoir aperçu la créature depuis sa fenêtre, est sorti de chez lui avec ses deux frères, armés de fusils. Durant leur traque, le cadet de la fratrie lui a tiré dessus à au moins deux reprises. « Il paraît qu’elle a été bien blessée et on l’a suivie jusqu’à la nuit à la trace du sang qu’elle répandait en abondance. » Martel de la Chaumette était même certain qu’elle ne survivrait pas à ses blessures. Mais le lendemain, elle récidive en égorgeant « une fille âgée de 40 ans, dans un pâturage du lieu de Pépinet, près la ville de Saugues ».

Louis XV moqué par les Anglais

De nouvelles chasses sont alors organisées pour neutraliser « la bête féroce du Gévaudan ». Un jour, « un chasseur la tira à vingt pas et crut la toucher, mais elle gagna la montagne et il ne fut pas possible de la retrouver », relate La Gazette, le 3 juin 1765. Et la bête continua « ses ravages avec autant de fureur que jamais ». Ainsi, le 24 mai, « elle dévora une fille à Mazelle et une autre à Saint-Privas en Auvergne. Le même jour, elle attaqua à Marsilla une fille à qui elle ne fit aucun mal ; un jeune garçon de 14 ans vint au secours de cette fille et enfonça dans le flanc de la bête une baïonnette qu’il retira ensanglantée ». Mais une fois de plus, l’animal parvient à prendre la fuite et s’évapore dans le bois de Clavières.



Cinq mois plus tard, les habitants du Gévaudan poussent un ouf de soulagement. « On est enfin heureusement délivré de la bête féroce qui pendant si longtemps a désolé » la région, assure La Gazette dans son édition du 4 octobre 1765. Il était temps : Louis XV en avait assez que « toute l’Europe, et notamment les Anglais, se moque des Français qui n’étaient pas capables de neutraliser cette bête », poursuit Blandine Gires. Alors, au mois de juin, le monarque a envoyé sur place François Antoine, son lieutenant des chasses, pour mettre fin aux agissements de « ce redoutable animal ». Trois mois auront été nécessaires pour qu’il retrouve la trace de sa proie : elle s’est réfugiée dans un bois des environs. En cette journée du 19 septembre 1765, François Antoine et plusieurs chasseurs s’y rendent promptement.

« Une nouvelle bête féroce »

Soudain, l’envoyé spécial du roi aperçoit ce « très grand loup » et lui tire dessus. L’animal est touché. Mais il se relève si vite que François Antoine n’a pas le temps de recharger son fusil. C’est un garde à cheval du Duc d’Orléans qui donnera le coup de grâce à la bête qui « tomba morte » dans la plaine. « Plusieurs habitants des villages voisins, qui avaient été attaqués en différents temps par la bête féroce qui ravageait le pays », ont ensuite assuré que « c’était le même animal » qui s’en était pris à eux. Le fils de François Antoine, qui avait accompagné son père, « a eu l’honneur de le présenter au roi ».



Pourtant, remarque le journal, « les chasseurs les plus expérimentés ont jugé que c’était un véritable loup qui n’avait rien d’extraordinaire ni pour la taille ni pour la conformation ». Est-ce vraiment la bête du Gévaudan qui a été tuée ? Le doute subsiste et quelques mois plus tard, « une nouvelle bête féroce qui a déjà dévoré et blessé plusieurs personnes » fit son apparition dans la région, indique succinctement La Gazette, le 24 mars 1766. Détail troublant, cet animal possédait « les mêmes caractères que le loup qui a désolé si longtemps cette province ».

« L’énigme reste entière »

Les atrocités ont pris fin « le 19 juin 1767 lorsque Jean Chastel tua une bête » de grande taille, au lieu-dit La Sogne-d'Auvers, souligne Blandine Gire. Cela voudrait-il dire qu’il y a eu plusieurs bêtes du Gévaudan ? « Ça on ne sait pas, l’énigme reste entière », souffle la responsable du musée. Entre 88 à 124 attaques mortelles sont imputées à « la Bête ». Mais d’ailleurs, était-ce véritablement un loup de taille hors norme ? Certains ont affirmé qu’il s’agissait en réalité d’un loup-garou, d’autres d’un tueur en série. Aujourd’hui encore, historiens, chercheurs et journalistes tentent de percer le mystère de la bête du Gevaudan.