Abolition de l'esclavage: «Il faut absolument qu’il y ait un jour férié national, un jour d’unité nationale»

INTERVIEW Alexandre Cailleteau, l’attaché parlementaire du député LFI qui a déposé une proposition de loi sur la création d’un jour férié national pour commémorer l’abolition de l’esclavage, a répondu aux questions de « 20 Minutes »…

Jean Hugues Ratenon, le député de la France insoumise, devant l'Assemblée nationale le 23 juin 2017.
Jean Hugues Ratenon, le député de la France insoumise, devant l'Assemblée nationale le 23 juin 2017. — ALAIN JOCARD / AFP
  • Jean-Hugues Ratenon, député de la France insoumise, a déposé une proposition de loi sur la création d’un jour férié national pour commémorer l’abolition de l’esclavage.
  • Il existe déjà une journée nationale de commémoration de l’esclavage, le 10 mai, instauré en 2006 par Jacques Chirac, mais dans les territoires d’outre-mer, plusieurs jours fériés existent déjà pour commémorer l’esclavage.
  • L’esclavage a été définitivement aboli en France et dans les colonies françaises (Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane, Sénégal), le 27 avril 1848.

Alors qu’il existe déjà le 10 mai, la journée nationale de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, Jean-Hugues Ratenon, député de la France insoumise, milite pour l’instauration d’un jour férié qui permettrait à tous les Français de commémorer l’abolition de l’esclavage.


C'est Jacques Chirac, en 2006 qui a adopté le 10 mai comme journée nationale de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, une tradition perpétuée par ses prédécesseurs. Une date qui correspond au jour de l’adoption définitive par le Parlement, en 2001, de la loi Taubira reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité​. En outre-mer, des jours fériés de commémoration existent déjà : le 27 mai en Guadeloupe et à Saint-Martin, le 10 juin en Guyane, le 22 mai en Martinique, le 9 octobre à Saint-Barthélemy, le 20 décembre à la Réunion et le 27 avril à Mayotte. Alexandre Cailleteau, l’attaché parlementaire de Jean-Hugues Ratenon, a répondu aux questions de 20 Minutes sur cette proposition de loi.

Pourquoi vouloir créer un jour férié pour commémorer l’abolition de l’esclavage ?

On s’est rendu compte que la population hexagonale ne savait pas qu’il existait des jours fériés pour commémorer l’abolition de l’esclavage en outre-mer. L’abolition de l’esclavage ne concerne pas seulement les territoires d’outre-mer mais toute la France. Il faut absolument qu’il y ait un jour férié national, on veut créer une date nationale qui ne se substituera pas aux jours fériés déjà existants en outre-mer. Il s’agirait d’un jour d’unité nationale qui pourrait relier l’Hexagone aux territoires d’outre-mer.

On a choisi la date de la première abolition en France, pendant la Révolution française, le 4 février 1794. On estime que c’est l’élément fondateur de la volonté d’abolition de l’esclavage en France. La proposition de loi que nous avons déposée comporte trois articles. Un premier article sur l’instauration même d’un jour férié pour commémorer l’abolition de l’esclavage, un second article sur le dispositif législatif du jour férié, et un dernier article qui explique que ce jour férié s’appliquera aussi en outre-mer, sans supprimer ceux qui existent déjà.

Pourquoi l’actuelle journée de commémoration, le 10 mai, est-elle si méconnue ?

Il y a un déficit d’éducation sur la question de l’abolition de l’esclavage. C’est un problème global. L’instauration de jours fériés en outre-mer date de François Mitterrand. On peut légitimement se poser la question du regard que l’on pose sur notre passé et surtout sur notre responsabilité. Il est enfin temps de rouvrir ce chapitre et d’informer la population. Il y a encore 46 millions d’esclaves dans le monde aujourd’hui, c’est énorme. Il y a différentes formes d’esclavage moderne. Ce n’est donc pas seulement une question d’histoire, c’est toujours d’actualité. Il s’agit aussi de l’importance de la parole française sur la scène internationale de la question de l’esclavage.

La question de l’esclavage n’est-elle pas survolée à l’école ?

Dans les programmes scolaires et les manuels, on note une présentation très éloignée de la réalité historique. On voit ça de manière distanciée sans creuser la question du rôle de la France. Il y a un vrai travail sur l’écriture de l’histoire à faire. On a déporté une partie de la population, massacré une autre et tout ça est très peu abordé. Il faut s’améliorer et voir comment on peut se saisir du sujet. C’est la responsabilité du gouvernement par le biais de l’Education nationale. Il est impératif que l’Education nationale se saisisse de la question de l’esclavage dans les programmes scolaires.

Comment explique-t-on le peu de monuments ou de lieux de commémoration de l’abolition de l’esclavage en France ?

On peut se questionner sur la place du colonialisme dans l’histoire française. Pourquoi y a-t-il si peu de lieux de commémoration de l’esclavage ? Il en existe quelques-uns mais ils ne sont pas forcément mis en valeur. C’est un problème global du regard de notre histoire. Il va falloir donner une place aux récits de victimes et plus de pédagogie sur qui était qui. Il y a une nécessité de se saisir du sujet et de lui redonner une place avec des monuments et des lieux de commémoration.

Si on reconnaît l’esclavage comme crime contre l’humanité depuis maintenant 17 ans, pourquoi ne fait-on pas davantage la promotion des auteurs qui parlaient déjà de ce sujet il y a 30 ou 40 ans ? Ces auteurs avaient un discours contre la colonisation et les empires coloniaux.

Que pensez-vous de l’absence d’Emmanuel Macron, le 10 mai dernier, à la cérémonie de commémoration de l’abolition l’esclavage ?

C’est dommageable, même si on salue quand même la présence d’Edouard Philippe. L’agenda du président est rempli, certes, mais il a fait son choix. Il aurait pu avoir une prise de parole forte sur le sujet. Il faut toujours attendre un déplacement en Outre-mer pour voir une prise de parole forte, comme si la question de l’esclavage ne concernait que ces territoires.