Affaire Grégory: «Il n'y avait pas un, mais plusieurs "corbeaux"»

INTERVIEW Le journaliste Thibaut Solano tente de percer le mystère du «corbeau» dans son livre, «La voix rauque»...

Propos recueillis par Emilie Petit
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Affaire Grégory: Qui sont les «corbeaux» qui ont harcelé les Villemin ? — 20 Minutes
  • La requête en nullité déposée par l’avocat de Marcel Jacob, le frère de la grand-mère de Grégory Villemin, et sa femme, mis en examen pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi de mort », est étudiée ce jeudi, par la chambre de l’instruction de Dijon.
  • Le journaliste Thibaut Solano a remonté le fil des années qui ont précédé le meurtre du jeune garçon pour tenter de percer le mystère du « corbeau ». Il en a même fait un livre, La voix rauque.
  • Lors des quatre années pendant lesquelles a sévi le « corbeau » (de 1981 à 1984), les Villemin ont échafaudé des hypothèses, et ils ont soupçonné plusieurs personnes de leur entourage.

« Je m’en prendrais à ton mioche, ça te fera plus de mal. » Lettres de menaces, coups de téléphone : de 1981 à 1984, Jean-Marie et Christine Villemin ainsi que leurs proches, ont été harcelés par une ou plusieurs personnes. Jusqu’à la date fatidique du 16 octobre 1984 où leur fils âgé de quatre ans, Grégory Villemin, a été repêché pieds et poings liés, sans vie, dans la Vologne.

Plus de trente ans plus tard, Marcel Jacob, le frère de la grand-mère de Grégory, et sa femmeont été mis en examen pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi de mort ». Tandis que la requête en nullité déposée par leur avocat, doit être étudiée ce jeudi, le journaliste Thibaut Solano a remonté le fil des années qui ont précédé le meurtre du jeune garçon pour tenter de percer le mystère du «corbeau». Il en a même fait un livre, La voix rauque.

Comment se fait-il, après toutes ces années, que les personnes qui ont harcelé et menacé la famille Villemin, n’aient toujours pas été identifiées ?

On a l’impression, quand on se penche sur ces quatre années pendant lesquelles le « corbeau » a harcelé la famille Villemin, que c’était quelqu’un d’extrêmement machiavélique, calculateur. Est-ce que c’est exagéré ? On peut penser qu’il y a sans doute eu une espèce de paranoïa qui a servi ce ou ces « corbeaux ». Et cette paranoïa a conduit les Villemin à accuser tout le monde, y compris des gens qu’ils appréciaient, et avec qui ils n’avaient aucun contentieux. Le « corbeau » a aussi profité de tensions, de conflits qui existaient déjà, auparavant, au sein de la famille, pour se fondre dans le décor.

Il est donc possible qu’en fait, le ou les « corbeaux » soient parmi les plus secondaires des personnes de cette histoire.

Au vu des différentes informations distillées par le « corbeau » lors de ses appels et dans ses lettres, est-il possible que le ou les coupables fassent partie du cercle proche de la famille Villemin ?

Lors des quatre années pendant lesquelles a sévi le « corbeau » (de 1981 à 1984), les Villemin ont échafaudé des hypothèses, et ils ont soupçonné plusieurs personnes. Dans leur propre famille, mais aussi des commerçants, notamment un buraliste. Mais ces soupçons étaient formulés à l’occasion de déjeuners ou de dîners en famille, et de discussions entre les membres de la famille Villemin uniquement. Il n’y a jamais eu de confrontations claires. Jusqu’au moment où les soupçons se sont essentiellement focalisés sur une belle fille du grand-père Villemin.

Marcel et Jaqueline Jacob, le grand-oncle et la grand-tante de Grégory, ont été mis en examen en juillet 2017. Pourtant, ils sont très peu présents lors des quatre années qui ont précédé le meurtre du jeune garçon…

Les Jacob, qui font figure de suspects principaux avec Bernard Laroche, apparaissent seulement en arrière-plan pendant toute la « période corbeau ». C’est aussi la raison pour laquelle ils ont été peu soupçonnés. Même si, malgré tout, Jean-Marie Villemin les avait sur sa liste de suspects, notamment après un an de harcèlement par le « corbeau ». Car les Jacob avaient tout de même leurs raisons d’en vouloir aux Villemin. Il y avait une jalousie sociale, notamment à l’égard de Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, qui était considéré comme « chef ». Il y avait aussi une vieille haine qui courait depuis des années envers les grands-parents de Grégory.

Ce sont tous ces éléments qui ont pesé dans l’instruction, et qui font qu’aujourd’hui, ils comptent parmi les suspects principaux.

Tout comme les Jacob, Bernard Laroche, inculpé d’assassinat en 1984, relâché puis finalement tué d’une balle par le père de Grégory, ne semble pas faire partie de la liste des suspects établie entre 1981 et 1983. Pourquoi ?

Bernard Laroche, cousin du père de Grégory, fait, toujours aujourd’hui, figure de suspect principal. Que ce soit pour le harcèlement des Villemin par le « corbeau » ou pour le meurtre de Grégory Villemin. Pourtant, c’était un personnage très secondaire. Il ne prenait pas part aux conflits familiaux.

Et justement, si c’est bien lui, il a d’autant plus réussi à passer inaperçu, puisque personne ne pouvait vraiment le soupçonner d’entretenir une haine particulière à l’encontre des Villemin. Mais quand on se penche sur le dossier, on s’aperçoit que Bernard Laroche pouvait nourrir une certaine frustration : une promotion sociale qui n’arrivait pas, des difficultés personnelles, son père qui était lui-même considéré comme la bonne poire dans la famille, etc. Tout ça fait que Bernard Laroche a pu, à un moment donné, nourrir un certain ressentiment envers la famille Villemin.

Lorsque le harcèlement téléphonique commence, les Villemin ne font pas tout de suite appel aux autorités. Les gendarmes, qui débutent donc leur enquête en décembre 1982, un an après les premiers appels, ont-ils pu passer à côté d’indices ?

Les premiers appels du « corbeau » surviennent au début de l’année 1981. Pourtant, la première plainte déposée par les Villemin est enregistrée le 1er décembre 1982. Et l'enquête a, par la suite, systématiquement été sabordée. Les gendarmes ont d’abord essayé de mettre au point un système d’écoute téléphonique pour piéger le « corbeau ». Sauf que la grand-mère Villemin en avait parlé autour d’elle, et tout le monde était déjà au courant avant même que ce système ne soit mis en place. Le corbeau a sans doute été mis au courant puisqu’il a, à ce moment-là, arrêté de les contacter.

Il y avait un manque de discrétion, de confidentialité, et l’enquête des gendarmes a beaucoup pâti du fait que les Villemin étaient trop bavards.

Dans votre livre, La voix rauque, vous décrivez une scène chez Jean-Marie Villemin, qui a lieu deux jours avant l’enlèvement et le meurtre de son fils. En quoi cet épisode pourrait-il être considéré comme l’événement déclencheur de l’assassinat de Grégory Villemin ?

Le « corbeau » cesse ses appels à partir de 1983. Il passe un autre appel en 1984, mais qui est un peu perdu dans l’oubli. Et finalement, il décide de frapper de manière terrible en tuant et enlevant Grégory Villemin. Pourquoi a-t-il sévi un an après être resté silencieux ? On peut penser qu’il y a eu un élément déclencheur, deux jours avant l’enlèvement de Grégory, au moment où Jean-Marie Villemin bénéficiait de rentrées d’argent plutôt avantageuses : il s’était acheté un nouveau salon, des bouteilles de vin, etc. Ce sont des petites choses qui paraissent anodines, mais qui ont pu susciter la jalousie autour de lui parce qu’il en faisait étalage et qu’il était fier de sa réussite.

Peut-être que c’est cette fierté qui a accentué la haine de certains. Selon les gendarmes, cette scène clé, qui a lieu deux jours avant le meurtre de Grégory Villemin, pourrait être le déclencheur du crime.

Finalement, quelle est la seule certitude concernant l’identité du corbeau ?

Il n'y avait pas un, mais plusieurs « corbeaux ». C’est ma certitude, et il est clairement établi dans le dossier qu’il y avait un duo de « corbeaux » qui agissaient soit séparément, soit ensemble, et qui s’en prenaient à la famille Villemin. On peut penser que c’est ce duo qui commettait les appels les plus cruels, car il mettait en lumière des secrets de famille dont certains ne voulaient plus entendre parler.

Il y a eu ensuite des imitateurs qui ont agi soit par vengeance, soit pour essayer de piéger le véritable « corbeau ». Ce qui n’a pas fonctionné.

Thibaut Solano, La Voix rauque, édition Les Arènes.