Pourquoi la «circulaire Collomb» sur le recensement des migrants pourrait être suspendue par le Conseil d'Etat
IMMIGRATION Une circulaire controversée du ministère de l’Intérieur adressée aux préfets permet l’évaluation administrative des personnes bénéficiant d’un hébergement d’urgence...
- 28 associations ont saisi en référé le Conseil d’État pour demander la suspension du texte. L’audience doit avoir lieu ce vendredi à 15h à Paris.
- Un premier « test » pour le ministre Gérard Collomb, cinq jours avant la présentation de son projet de loi sur l’immigration en Conseil des ministres.
Premier test d’envergure pour le ministre de l’Intérieur. Après le vif émoi suscité par la « circulaire Collomb » sur le recensement des migrants dans les centres hébergement d’urgence, les juges du Conseil d’État vont devoir trancher. Faut-il suspendre ce texte envoyé en décembre dernier à tous les préfets de régions et de départements ? C’est précisément ce que vont demander ce vendredi les 28 associations qui ont saisi les magistrats.
Le texte avait déjà fait l’objet à la fin de l’année d’une saisine auprès du Défenseur des droits, d' un avis très mitigé de la Cnil et de vives critiques de la part de plusieurs députés, y compris au sein de la majorité. À cinq jours de la présentation du très controversé projet de loi «asile et immigration» devant le Conseil des ministres, la décision du Conseil d’État est particulièrement attendue.
Que dit la circulaire ?
Les quatre pages du texte sont limpides. Elles invitent les préfets à mettre en place des équipes composées d’agents de la préfecture et de fonctionnaires de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) chargées d’évaluer la situation administrative des personnes hébergées dans des centres d’accueil d’urgence, sans-domicile fixe comme étrangers en situation irrégulière ou demandeurs d’asile. Selon le ministère, ces établissements publics ou gérés par des associations abriteraient « trop de gens qui ne devraient pas s’y trouver ».
En France, le Code de l’action sociale et des familles est pourtant clair : « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ». Peu importe qu’il s’agisse d’un SDF avec une carte d’identité française ou d’un Syrien éligible à l’asile. C’est ce principe « inconditionnel » d’accueil qui est mis à mal par le texte selon les associations. Autre élément problématique, la collecte et le traitement de données à caractère personnel.
Que peuvent plaider les associations ?
Pour justifier la demande de suspension, l’avocat des associations Patrice Spinosi pourra notamment s’appuyer sur les observations du Défenseur des droits Jacques Toubon. Lui aussi plaide pour le retrait du texte. Le 19 janvier dernier, il justifiait ainsi sa démarche :
- « Le seul critère pour la mise en œuvre de l’accueil inconditionnel dans l’hébergement d’urgence est la vulnérabilité des personnes, sans que puisse être prise en compte la régularité du séjour »
- « L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) n’a pas vocation à exercer (…) le contrôle administratif qu’il assure dans le dispositif national d’accueil des demandes d’asile et des réfugiés relevant de sa compétence. La légalité de son intervention, sans autorisation ni contrôle juridictionnel, apparaît dès lors incertaine ».
- « Le recensement des personnes étrangères présentes dans l’hébergement d’urgence envisagé dans la circulaire, se heurte aux règles de confidentialité qui s’appliquent aux données sensibles ».
Pour la Fédération des acteurs de la solidarité, le texte serait contraire à plusieurs principes fondamentaux et textes de loi que sont « l’inviolabilité du domicile », le « secret professionnel des intervenants sociaux », la « protection des données personnelles » ou encore le « non-respect des procédures légales prévues en matière de contrôle d’identité ».
Si le Conseil d’État accède à la demande des associations, la suspension (provisoire) pourrait être actée la semaine prochaine. Le texte sera ensuite examiné au fond et « jugé d’ici six à huit mois » selon les plaignants contactés par 20 Minutes. Si le ministère de l’Intérieur s’est refusé à tout commentaire, Matignon a fait savoir que le groupe de suivi mis en place après la fronde suscitée par le texte devrait se réunir une fois la décision rendue par les juges.