Hommes solidaires de #MeToo: «On ne pourra pas avancer sur l’égalité femme-homme sans les hommes»

FEMINISME Des hommes viennent de publier deux tribunes pour exprimer leur solidarité avec le mouvement #MeToo de libération de la parole des femmes et de lutte contre les inégalités...

Oihana Gabriel
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Harcèlement sexuel, agressions, les femmes réagissent avec le hashtag #Metoo
Harcèlement sexuel, agressions, les femmes réagissent avec le hashtag #Metoo — pixabay
  • Longtemps silencieux, certains hommes ont décidé de prendre la parole pour dire leur soutien au mouvement #MeToo lancé depuis trois mois par des femmes pour dénoncer le harcèlement et les agressions sexuels.
  • Une solidarité trop rare ? L’historienne Christine Bard rappelle que les hommes féministes ont accompagné bien des luttes.
  • Un tournant pour réclamer plus d’égalité ? Un soutien essentiel en tout cas, qu’il faudra étudier sur le long terme.

Ils sortent du silence. Certains hommes, titillés par la tribune des 100 femmes qui défendait la « liberté d’importuner » ont décidé d’afficher leur solidarité au mouvement #MeToo. Deux tribunes concomitantes viennent changer la donne : l’une parue lundi dans le Nouveau Magazine littéraire, signée par son directeur de la rédaction, Raphaël Glucksmann et le réalisateur Michel Hazanavicius, lance un nouveau mot d’ordre et mot dièse : #WeToo. Un parti pris amplifié par une deuxième tribune,  publiée ce mardi dans Le Monde, et intitulée Des hommes solidaires de #MeToo, dans laquelle des médecins, politiques, réalisateurs, universitaires, expriment leur soutien clair à ce mouvement.


« On ne pourra pas avancer sur l’égalité femme-homme sans les hommes »

Une bonne nouvelle, pour la sociologue spécialiste de l’égalité femmes-hommes et militante féministe Stéphanie Le Gal-Gorin. « On ne pourra pas avancer sur l’égalité femme-homme sans les hommes. Même si c’est un combat mené avant tout par les femmes. Cette tribune est une réaction saine et sobre. Et ils ne se posent pas en sauveurs des femmes. »

Côté timing, ces hommes s’expriment après avoir, selon leurs dires, écouté et encouragé la libération de la parole des premières concernées. « Il est temps que certains hommes, ceux qui se sentent en capacité de le faire, prennent le parti des femmes, reprend la sociologue. Et en tout cas qu’ils aillent à l’encontre de certaines généralités énoncées par la fameuse tribune cosignée par Catherine Deneuve. »

Des hommes engagés dans la lutte féministe depuis le XIXe

Un soutien trop rare ? Pas si l’on fait un détour par l’histoire des luttes féministes, souligne Christine Bard, historienne et directrice du Dictionnaire des féministes*. « A la naissance des premières grandes associations féministes, à la fin du XIXe siècle, il y a eu jusqu’à un tiers d’hommes militant pour le féminisme. La Ligue du droit des femmes était mixte : y adhéraient des avocats, des journalistes, des écrivains, des enseignants, des médecins… Il y eut une Ligue des électeurs pour le suffrage des femmes ; dans l’éducation, le monde du travail, au Parlement, partout, des hommes se sont engagés aux côtés des féministes. Ils n’étaient certes pas très nombreux », nuance tout de même l’historienne.

La difficulté de trouver sa place

Mais avec mai 68 et l’émergence du Mouvement de libération des femmes (MLF), les hommes se sont faits plus discrets. « Ils furent encore moins nombreux dans les années 1970, à la grande époque du MLF, poursuit Christine Bard. Mais une minorité a vraiment accompagné les luttes pour la contraception, l’IVG… Non sans tension parfois, car beaucoup de ces militants gardent un habitus masculin dans le rapport à la parole, au pouvoir. Les femmes féministes ont ainsi d’abord apprécié puis contesté le rôle de Léon Richer, autrefois qualifié de "père du féminisme". »

Prendre sa place d’homme dans la lutte des femmes n’est pas forcément chose aisée. Derrière ces quelques hommes qui prennent la plume, et qui ont l’écoute des médias, quantité d’hommes expriment parfois dans le privé leur solidarité. « Mais parfois ceux qui soutiennent le mouvement #MeToo ne veulent pas parler à la place des femmes, analyse la sociologue. Et je crois qu’il y a des femmes qui craignent que certains hommes confisquent la parole ou le pouvoir, ce qui peut s’entendre, remarque Stéphanie Le Gal-Gorin.

Des associations mixtes

Et aujourd’hui, la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes se fait-elle main dans la main ? Les associations comme Osez le féminisme ou le collectif Georgette Sand comptent quelques hommes. De même, dans l’association féministe et mixte Mix-Cité, co-fondée en 1997 par Clémentine Autain, le mot d’ordre, c’est de mélanger hommes et femmes.

« Ce soutien des hommes aux causes féministes arrive de plus en plus, mais c’est trop rare à mon goût », nuance la sociologue, qui cite notamment l’initiative d’Emma Watson, qui avait lancé à la tribune de l’ONU en 2014 la campagne Heforshe. Elle invitait garçons et hommes à défendre la lutte contre les inégalités entre les sexes.

« Mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas eu énormément de réalisations concrètes depuis. Il n’y a pas des masses de mouvements de solidarité d’hommes féministes », regrette Stéphanie Le Gal-Gorin. Elle cite tout de même l’action de certains hommes clairement engagés pour le féminisme, comme Patric Jean, réalisateur de La Domination masculine, qui a créé zéromacho avec ceux qui s’engagent de manière ouverte contre la prostitution et pour plus d’égalité.

« Ce soutien est essentiel »

Est-ce que cette solidarité masculine peut constituer un tournant dans le mouvement #MeToo ? Il est bien trop tôt pour le dire. « Mais ce soutien est essentiel, assure Christine Bard, historienne. Comparez cette cause avec la lutte contre le racisme ou l’homophobie, et imaginez ces causes sans alliés du côté des dominants, des majoritaires, des privilégiés… »

Stéphanie Le Gal-Gorin applaudit, mais reste prudente. « Je l’espère, mais j’attends de voir les conséquences dans le temps. On voit tout de même des hommes qui font semblant de soutenir des initiatives féministes et qui sont par ailleurs incriminés eux-mêmes pour harcèlement…. C’est compliqué, pour beaucoup de militantes féministes comme moi, de faire confiance. »


*Dictionnaire des féministes de Christine Bard, avec la collaboration de Sylvie Chaperon, PUF, février 2017, 32 €.

>> Et vous les hommes, que pensez-vous de ce mouvement ? Et de cette prise de parole des hommes solidaires ? Avez-vous changé d’attitude depuis #MeToo ? On attend vos contributions dans les commentaires ci-dessous ou par mail en écrivant à contribution@20minutes.fr. Vos témoignages pourront nourrir un futur article.